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Boureima Badini, démissionnaire du CDP : «Blaise doit pouvoir rentrer tranquilos à Ziniaré»

 

Magistrat, ancien directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale, ancien ministre de la Justice sous Blaise Compaoré et ex-représentant du Facilitateur dans le dialogue direct inter ivoirien, Boureima Badini est un homme qui a eu à occuper d’importantes fonctions dans notre pays. Ce proche de Blaise Compaoré vient de donner sa démission (le 23 septembre 2019) du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) au lendemain de sa suspension pour un an par le congrès extraordinaire de l’ex-parti au pouvoir. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, hier 24 septembre 2019, Boureima Badini revient sur les raisons de son départ du CDP, les tentatives de rapprochement entre lui et Eddie Komboïgo, la réconciliation nationale, qui est nécessaire selon lui pour prendre le dessus sur les terroristes, etc. Il nous a dit sa grande déception de quitter le CDP mais garde l’espoir que lui et ses anciens camarades, par le jeu de la politique, pourraient être amenés à collaborer dans le futur.

 

 

 

 

Remontons, si vous le voulez bien, au dernier congrès du CDP, où vous avez perdu la présidence du parti face à Eddie Komboïgo par six petites voix. Qu’est-ce qui s’est passé au juste ?

 

 

 

Rien ne s’est passé.  C’était des élections. Le collège électoral était composé du Bureau exécutif national (BEN). Chacun est venu avec sa profession de foi et a eu dix minutes pour la développer. J’ai développé ma vision pour le CDP pour l’horizon 2020 et au-delà. Il y a eu des votes à bulletin secret et j’ai été battu dans les urnes par 33 voix contre 39. C’est un verdict que j’ai accepté, et j’ai félicité le candidat Eddie Komboïgo.

 

 

 

Avant ledit congrès, on avait pourtant entendu dire qu’avec Eddie, vous êtes allé voir Blaise Compaoré. Qu’est-ce qu’il vous a dit concrètement ?

 

 

 

Je ne peux pas vous dire ce que Blaise nous a concrètement dit. Ce qui est évident, c’est que nous l’avons rencontré à sa demande. J’ai beaucoup travaillé dans les arcanes de l’Etat. C’est difficile de raconter ce qu’un chef d’Etat vous a dit. Mais je vais essayer d’éclairer vos lecteurs sur cette affaire parce que cela a fait beaucoup de bruit. Je suis allé voir le président Compaoré pour lui dire que je me porterais candidat à la présidence. Donc, je n’ai pas été porté candidat par une coalition.

 

J’ai décidé d’abord d’être candidat à la tête du CDP. Le président Compaoré m’a dit qu’il n’y avait pas de problème. Entre-temps, Eddie était de passage à Abidjan. Blaise Compaoré m’a dit qu’il préfère que je vienne pour qu’on rencontre Eddie. On s’est effectivement rencontré, et on a discuté. Le président Compaoré nous a dit : «Comme vous êtes les deux potentiels candidats, je souhaite que l’un d’entre vous soit candidat et l’autre premier vice-président». Il a dit : «Eddie, toi qui es candidat, qu’est-ce que tu en dis ?»

 

Eddie a expliqué qu’il a déjà fait sa campagne et qu’il a choisi Mohamed Topan Sané comme premier vice-président et que si Boureima Badini vient, il sera deuxième ou troisième vice-président.

 

Je ne vous dirai pas la réaction du président Blaise Compaoré, mais voici ce que je lui ai dit: « Je suis plus ancien qu’Eddie, j’ai une vision pour qu’on puisse reconquérir le pouvoir en 2020. Je pense qu’Eddie serait très inspiré en me laissant prendre la présidence du parti. Il a le temps de se former et de venir par la suite ».

 

On se connaît très bien et je pense qu’il n’aurait pas de problème. Eddie a refusé. J’ai alors proposé au président Compaoré, comme il en est ainsi, qu’on reparte au pays pour continuer la discussion et si on s’entend, tant mieux ; sinon on ira aux élections. J’ai également dit au président Compaoré que si en 2020 Eddie est candidat, on va avoir des difficultés à reconquérir le pouvoir.

 

 

 

Qu’est-ce que vous trouvez comme point faible chez Eddie s’il est candidat ?

 

 

 

Ce n’est pas une question de point faible. Chacun a son intime conviction sur un certain nombre d’éléments. Un candidat dans ce pays a besoin d’une certaine expérience. Il doit connaître l’administration. Il doit avoir du charisme. Ça doit s’acquérir au fil des fonctions qu’on exerce. Pour l’instant, je ne trouve pas cela en Eddie. Je souhaite qu’il soit candidat en 2025 ou en 2030. Il aura alors eu le temps de se forger une bonne carapace parce qu’il n’est pas facile d’être président. Je sais de quoi je parle. Je n’ai pas été président mais j’ai quand même fréquenté les palais et j’ai occupé des postes de responsabilité à un certain niveau. En Côte d’Ivoire, j’ai fréquenté les premiers responsables du pays. Donc, je sais que ce n’est pas facile. Je me dis que s’il est président du parti et qu’il occupe certaines fonctions telles que  ministre d’Etat, Premier ministre, président de l’Assemblée nationale, il va se forger une bonne carapace pour revenir demain être un président qui est tout de suite opérationnel. C’est pour cela, sinon il n’y a aucune animosité entre nous. On se connaît très bien. Et puis je le dis pour le bien du pays.

 

Ma position est claire et chacun doit le savoir, si j’avais la présidence du parti, j’aurais dit à Kadré Désiré Ouédraogo : «Comme tu as plus d’expérience que moi, je vais m’aligner derrière toi et ensuite on verra ». Ce qui m’intéresse en premier, c’est que le CDP revienne au pouvoir, surtout dans l’intérêt de la nation. Ce ne sont pas les ambitions personnelles qu’il faut considérer, mais l’intérêt général.

 

 

 

Vous avez récemment démissionné du parti, après en avoir été suspendu. Est-ce une façon de dire que vous préférez partir de vous-même que d’être défenestré  à terme?

 

 

 

J’ai ressenti en cela une humiliation. Excusez-moi, mais je suis un magistrat. Si on vous condamne avec sursis, cela veut dire que votre problème est très sérieux. On me dit que je suis suspendu pendant douze mois. Durant ce temps, je ne peux rien faire alors que j’avais déjà enclenché mon engagement pour quelqu’un qui, lui-même, sera entendu et subira pratiquement le même sort que moi.

 

Si je reste, demain si on me voit avec Kadré Désiré Ouédraogo, tout de suite on révoque ce sursis-là. Ce n’est que de l’humiliation.

 

Je pense que ce que j’ai pu acquérir dans ce pays comme estime des populations, je ne vais pas la vendanger. Je me suis donc dit que, comme il en est ainsi, c’est mieux de partir. Il y en a qui se disent membres fondateurs du CDP mais on était tous là au moment de la création du parti. On a ensemble quitté l’ODP/MT pour y aller. Donc ce n’est vraiment pas de gaité de cœur que je pars. C’est pour préserver mon honneur et ma dignité et surtout voir dans quelle mesure nous pouvons opérationnaliser cette vision que nous avons d’aller à la conquête du pouvoir  d’Etat en 2020. Je suis tout simplement excité par le fait que le Burkina doit retrouver la stabilité, la croissance et lutter efficacement contre ces bandits qui sont en train d’écumer le pays.

 

 

 

Si le CDP est aujourd’hui déchiré à ce point, n’est-ce pas parce que les partisans de Kadré ont raté leur OPA sur le parti ?

 

 

 

En fait, il ne s’agit pas d’OPA. Dans un parti politique qui marche normalement, il doit y avoir plusieurs courants. Par exemple, vous me posez actuellement des questions, je peux ne pas être d’accord mais j’y réponds quand même. Il en est de même dans un parti politique. Même à l’échelle d’une famille, je pense qu’il faut savoir être ouvert au dialogue à tous les niveaux. Ce sont plutôt des débats à mener. Tu peux gagner comme perdre.

 

Moi en tout cas, j’ai la constance dans les idées. Je parle de Kadré Désiré depuis 2012, c’est-à-dire même avant qu’on ne mette cette histoire d’article 37 sur la place publique. Je ne vous dirai pas ce qui a été fait depuis, mais j’ai estimé que c’était ce monsieur qui pouvait nous aider à avoir la paix dans notre pays et nous conduire à une bonne transition à l’époque. Mais maintenant, il ne s’agit pas de qui a gagné ou perdu parce qu’on avait voulu qu’on puisse s’entendre au niveau du CDP. Moi, en tout cas, j’y ai cru jusqu’à la dernière minute. J’ai même entrepris des démarches pour arriver à cela, et beaucoup le savent. Pour moi, il fallait une dynamique à l’interne pour amener les gens à s’entendre. Je suis même allé voir Arsène Bongnessan Yé, le premier président du CDP, et qui d’ailleurs a la légitimité dans le parti depuis 1996. Je lui ai dit qu’il pouvait bien faire la réconciliation. Toutes choses qui auraient aidé le fondateur, qui est à Abidjan, à œuvrer dans ce sens pour qu’on puisse se retrouver.

 

 

 

Selon vous, comment cette réconciliation devrait se faire ?

 

 

 

A mon avis, il n’est pas difficile de mettre les gens ensemble : « Bon Eddie, toi tu veux être président, Kadré, toi aussi. Venez ! On s’assoit, on discute et on regarde entre les deux si l’un accepte d’être candidat à la présidentielle et l’autre organise ». Le problème serait où à ce moment ? Puisque si on gagne, on va répartir le pouvoir et diriger le pays. J’ai vraiment espéré, malgré ces suspensions et ces exclusions, qu’on parviendrait à la réconciliation, mais ils n’ont pas accepté le dialogue.

 

 

 

Ça veut dire qu’Arsène Bongnessan Yé n’a pas pu faire cette médiation ?

 

 

 

Je ne sais pas. Je l’ai relancé, mais il ne m’a pas fait signe. Il était d’accord dès le départ quand je lui en avais parlé, mais après je n’ai pas eu de suite. J’estime qu’il se préparait certainement, mais cela a mis du temps et la situation se détériorait.

 

On a entrepris des démarches envers d’autres personnes afin qu’elles voient dans quelle mesure elles auraient fait la médiation… Honnêtement si on partait dans le cadre du CDP unifié, ce serait une très bonne chose. C’était mon espoir. Mais tel n’est  peut-être pas l’avis des uns et des autres.

 

 

 

Est-ce que vous pensez que le président Compaoré a laissé la situation se détériorer  ainsi sans essayer de tenter quelque chose ?

 

 

 

Je ne peux rien dire à ce propos.  Peut-être qu’il a tenté quelque chose, je n’en sais rien. Sûrement il est préoccupé par cette situation.

 

 

 

Vous-même personnellement, au vu de vos états de services, vous ne vous sentez pas de destin présidentiel ?

 

 

 

Si je l’avais senti ainsi, j’allais être candidat. Je ne pense pas que ceux qui dirigent le pays puissent le faire mieux que moi. Je le dis très sincèrement et très honnêtement. Je connais mes capacités. Mais chacun s’évalue et dans les critères  que j’ai personnellement, il y en a un essentiellement que je ne remplis pas, ce qui fait que je ne me suis pas présenté. Et j’estime que Kadré peut couvrir tout cela.

 

 

 

Et qu’est-ce qui vous manque ?

 

 

 

C’est personnel et intime.

 

 

 

Les gens se demandent finalement ce que le président d’honneur  pense de tout ce charivari au CDP. Vous qui êtes proche de Blaise, pouvez-vous nous dire son opinion sur ce sujet ?

 

 

 

Je ne pense pas qu’il soit à l’aise dans cette situation. Mais si la démarche de rencontrer les deux avait été faite, je suis convaincu qu’on aurait pu avoir une solution. Parce que si l’un d’eux-mêmes refusait ce qu’il disait, cela pouvait créer des problèmes. Parce que le parti a été créé par Blaise Compaoré. Je ne peux refuser ce qu’il dit. J’ai le sens de l’Etat, et ce n’est pas comme cela qu’on fonctionne dans un Etat. Je pense que s’il avait eu l’occasion de leur parler, même à d’autres personnes et à force de discuter, une solution allait être trouvée pour qu’il n’y ait pas cette implosion-là.

 

 

 

Depuis lundi vous avez démissionné donc du CDP ; c’est quoi la suite ?

 

 

 

Je suis un homme politique. Beaucoup de gens m’ont dit : « Badini, laisse ça ; ne te mêle plus de politique ». On verra. Je pense qu’on a encore un bout de temps. En 2020, on verra quels sont les résultats, et après ça je pourrai  prendre une décision définitive, c’est-à-dire opter de raccrocher ou de continuer. Mais ce qui est évident, c’est que je me range pour voir dans quelle mesure accompagner Kadré Désiré Ouédraogo dans sa candidature. Je me range dans tout ce qui peut contribuer à faire de Kadré un candidat et à ce que nous puissions battre la campagne avec lui, je me rangerai.

 

 

 

Aujourd’hui, vous ne vous entendez pas avec le CDP, mais par le jeu de la politique, vous serez peut-être amené à avoir besoin du CDP ou vice versa pour conquérir le pouvoir. Vous pensez que ça pourrait se faire si… ?

 

 

 

Bien sûr. Qu’est-ce qui ne peut pas se faire en politique ? On n’est pas des ennemis. C’est des divergences de points de vue qui ont conduit à la situation actuelle. Je suis déçu de quitter le CDP. Je suis convaincu que d’autres aussi sont déçus de nous voir partir. Je veux dire par là qu’à tout moment, on peut se retrouver. Ça, c’est dans l’intérêt du pays. Je crois qu’à tout moment, il faut dire : « Le Burkina Faso d’abord ». Quand on pense au Burkina Faso d’abord, toutes ces ambitions individuelles, on peut les mettre de côté pour ne voir que l’avenir du pays. On se bagarre, mais demain on va dire quoi à nos enfants et à nos petits-enfants ? Il faut qu’ils aient de l’avenir aussi. Comment on va faire pour lutter contre le terrorisme ? Comment on va remettre le pays en situation de développement ? Comment on va remettre le pays dans la stabilité pour que les bailleurs de fonds et nous-mêmes puissions travailler ?

 

Vous voyez comment la jeunesse aujourd’hui attend, il y a beaucoup d’espoir. Comment on va faire ? Tout cela, ce sont des questions qui sont posées. Donc on ne va pas passer tout le temps à faire de la politique politicienne. Moi, je dis que oui, on a quitté le CDP, mais on peut se retrouver demain avec les gens du CDP pour régler plein de problèmes.

 

 

 

Avec ce qui s’est passé, qu’est-ce que le président d’honneur du CDP, Blaise Compaoré, doit faire selon vous ?

 

 

 

Ça, c’est une grande question. Maintenant que les choses sont en train d’éclater comme ça, il a des possibilités. Peut-être qu’en parlant toujours, il peut régler des problèmes. Je ne sais pas, je n’en sais rien. Je crois que si jamais il dit un mot, peut-être qu’il aura le mot magique pour ramener les gens, tout le monde à se retrouver. C’est possible. Moi, j’y crois puisque tous les deux camps parlent de lui. Chacun dit Blaise Compaoré, Blaise Compaoré. C’est le dénominateur commun. En ce moment-là, s’il dit quelque chose, peut-être qu’il aura la magie de ramener tout le monde à la cohésion et à la maison.

 

 

 

Vous ne pensez pas que vous pouvez aller à la présidentielle séparés au premier tour et vous réunir au second si vous y êtes ?Ça peut être aussi une stratégie…

 

 

 

Comme la chose vient de se passer, on verra bien. Mais je crois que c’est toute  l’opposition qui doit avoir une stratégie.

 

 

 

Il y a des informations faisant état de ce que Blaise Compaoré souhaiterait revenir au pays. Est-ce qu’il vous en a parlé ?

 

 

 

Il ne m’en a pas parlé directement, mais je sais qu’il veut bien rentrer chez lui. Vous savez, l’exil n’est pas une chose facile. Moi qui ai eu l’occasion de travailler un peu à l’extérieur, vous laissez votre famille, vous laissez vos amis, vous êtes dehors, ce n’est pas facile. Donc j’estime qu’un président de ce niveau-là ne doit pas être dehors. Honnêtement. On doit tout faire pour qu’il rentre. Il rentre, il est à Ziniaré « tranquillos » et on le consultera quand on veut, il n’y a pas de problème. Si ce sont des problèmes de justice, les juges peuvent aller l’interroger. Où est le problème dans cette affaire ? Il y a des gens qui sont allés en prison et qui en sont ressortis. Et puis à ce niveau de responsabilité, j’estime qu’on doit pouvoir faire des démarches pour que Blaise Compaoré rentre.

 

 

 

Mais qui doit faire ces démarches pour le retour de Blaise Compaoré ?

 

 

 

Je pense que vous avez les chefs traditionnels, les coutumiers, les religieux, une dynamique peut être enclenchée quelque part pour essayer d’apaiser les cœurs des uns et des autres. Je ne crois pas qu’entre le CDP et le MPP, entre Blaise Compaoré et Roch Kaboré,  il y ait une animosité telle qu’ils ne puissent ne pas se rapprocher. Je crois qu’on doit trouver la volonté, quelqu’un doit avoir la volonté ou un groupe doit avoir la volonté farouche d’aller à la réconciliation. Ce n’est pas des cœurs de pierre quand même ! Si on parle à Roch Marc Christian Kaboré et à Blaise Compaoré, je pense qu’ils peuvent s’entendre quand même pour que Compaoré puisse rentrer

 

 

 

Quelle lecture faites-vous de la situation sécuritaire au Burkina ?

 

 

 

La situation sécuritaire au Burkina est très préoccupante. Vous m’en voyez d’autant plus  désolé que dans cette affaire ce sont mes parents même qui tombent ? Quand vous entendez Bourzanga a été attaqué, le nord, l’est, ainsi de suite, tous ces gens, je les connais. J’ai vécu  avec eux durant l’enfance. Et aujourd’hui, on a souvent peur d’aller à Ouahigouya parce que tu ne sais pas à quel moment ils vont déboucher. J’avais estimé qu’on pourrait avoir une union sacrée sur ce sujet-là. Je crois que la première chose à faire était l’unité, la cohésion et la réconciliation au sein de notre pays. Parce que les bandits s’infiltrent là où il y a de la mésentente ; même à l’échelle de la famille si le mari et la femme ne s’entendent pas, à la maison ça va pas ; si les gens sont au courant de cela, ils s’infiltrent et racontent des histoires. Donc dans cette histoire, il aurait fallu la cohésion, et maintenant il faut franchement donner les moyens aux forces de défense et de sécurité. Je crois qu’ils sont un peu comme les instituteurs  et qu’il faut s’occuper d’eux. Ils interviennent pour que l’Etat soit vraiment  l’Etat. Et surtout, il s’agit de leur vie et de la défense de la nation. Donc il faut leur donner les moyens nécessaires et leur remonter le moral. Avant, notre armée n’était pas comme ça du tout.

 

 

 

Pensez-vous que si le RSP (Régiment de sécurité présidentielle) qu’on a dissous était là, la situation allait être différente ?

 

 

 

J’en suis convaincu, il n’y aurait pas ces problèmes.

 

 

 

Pour vous, cela a été une erreur stratégique?

 

 

 

Je crois, je maintiens et je signe que cela a été une erreur. Vous savez, quand vous avez votre chien dans votre maison et qu’il aboie, les gens ont peur d’y rentrer. Les gens disent que le RSP n’a rien fait, mais au moins ils étaient là, et les gens avaient peur. Les gens se disaient, on ne peut pas attaquer le Burkina parce qu’il était  assez fort. Si vous tuez votre chien, c’est la chèvre du voisin qui va vous mordre.

 

 

 

Le procès du putsch manqué s’est terminé récemment. Que pensez-vous du verdict qui a été prononcé ? Fallait-il aller au procès ?

 

 

 

C’est vrai, je suis un homme politique, mais je suis  aussi un magistrat, comme rappelé plus haut. C’est un peu difficile de faire des commentaires sur une décision de justice. Néanmoins, j’estime qu’on  pouvait trouver un arrangement, mais on est allé au procès ; il faut vraiment, à mon avis, mettre le cap sur la réconciliation. Personnellement j’étais pour qu’il n’y ait pas un triptyque vérité-justice-réconciliation, mais qu’il y ait réconciliation-vérité-justice. Ça peut aller ensemble. Si on enclenche ça ensemble, s’il y a la réconciliation avant, cela peut même influer sur les décisions de justice. C’est ce que j’avais proposé à l’époque. Je ne parle pas pour parler, j’ai fait moi-même des propositions. Peut-être qu’un jour on en reparlera. Je pense que si on avait mis justice et vérité, que les tribunaux commençaient et qu’en même temps on avait une dynamique de réconciliation au niveau politique national, vous alliez voir que les gens allaient plus axer leur espoir sur cette réconciliation qui amènerait le peuple burkinabè à s’entendre sur tous les points plutôt que la recherche de la justice. Parce que vous aurez beau cherché la justice coûte que coûte, si le peuple est divisé, ça ne sert à rien. J’estime que s’il y a la possibilité de rassembler encore, vraiment il faut y aller. On dit qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. On a fait le procès, c’est fini, c’est sûr que les gens sont divisés, il faut chercher maintenant à unir les consciences et les cœurs mais ce n’est pas ça seulement. D’autre part aussi, la réconciliation reste divine parce qu’il y a des choses qui se sont passées depuis longtemps. Même pendant l’insurrection, il y a des gens qui sont morts, des maisons qui ont été incendiées. Je pense qu’on a du chemin à faire et je crois que nous devons avoir l’union sacrée pour voir dans quelle mesure régler tous ces problèmes.

 

 

 

Vous étiez proche du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, parce que vous avez été membres du même parti. Depuis qu’il est aux affaires, quels sont vos rapports ? Est-ce que vous vous êtes déjà rencontrés ?

 

 

 

Oui. Je l’ai rencontré deux fois : en janvier 2017 et en fin février ou mars 2017. J’ai demandé aussi à le voir, il y a un an, pour lui parler de réconciliation entre lui et  Blaise Compaoré, mais je n’y ai pas réussi. Mais bon, ce n’est pas grave. De toutes les façons, j’estime que c’est un homme pour lequel j’avais beaucoup de considération. Et quand je l’ai rencontré pour la première fois, je lui ai dit : «Je pense que tu peux réussir, mais il faut que tu aies des résultats d’ici 2020. Parce que nous aussi on est là et on veut revenir au pouvoir ». Vraiment il n’y a aucune animosité entre nous.

 

Moi, je n’ai aucun problème avec le président Roch ni avec ceux qui sont au MPP. Si on se rencontre, on parle, il n’y a aucun problème. Ce n’est pas de l’animosité, c’est en Afrique ici que souvent on ne comprend pas. On pense que, quand vous êtes dans un parti politique, vous êtes opposant, on doit jeter le discrédit sur vous et puis on vous crève. Je dis non, c’est un débat d’idées. On peut ne pas être d’accord et être ensemble. Dans nos propres maisons, souvent on n’est pas d’accord avec nos femmes, nos femmes ne sont pas d’accord avec nous, même avec les enfants, mais on est là quand même non ?

 

 

 

Il se pourrait qu’au mois d’octobre débute le procès des membres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré. Est-ce que vous pensez qu’il faut juger cette affaire-là ?

 

 

 

Vraiment je n’en sais rien. Mais ce que je peux vous dire, c’est que je ne vois pas d’infraction dans cette affaire. Mais ça doit être politique. Là où on est, si on veut vraiment aller à la réconciliation, on doit vraiment trouver les voies et moyens d’arranger les choses parce que, je le dis une fois de plus, un  mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès.

 

 

 

Entretien réalisé par

 

San Evariste Barro

 

Ebou Mireille Bayala

 

Hadepté Da

 

 

 

 

 

Encadré

 

 

La lettre de démission de Badini

 

 

 

Camarade,

 

J’ai appris avec stupéfaction par voie de presse la décision de ma suspension de toutes les activités du CDP pour une durée de 12 mois. Cette décision a été prise lors du congrès extraordinaire du dimanche 22 septembre 2019. La cause en serait, vraisemblablement, mon engagement pour susciter la candidature du camarade Kadré Désiré Ouédraogo à l’élection  présidentielle de 2020.

 

A ce propos et sur vos instructions, j’ai été entendu par la commission nationale de contrôle et de vérification du parti le 4 mars 2019 à 16 heures précises. Après cette audition, je n’ai eu aucun retour sur une quelconque faute que j’aurais commise vis-à-vis des statuts du parti.

 

Camarade président, si tel est « la seule faute » à moi reprochée, j’estime que cela ne mérite pas une sanction de cette nature.

 

Pour le reste, vous avez été interpellé plusieurs fois par des militants du parti sur votre gouvernance solitaire.

 

Camarade président, après une profonde introspection, je tire la conséquence personnelle de devoir donner ma démission en tant que militant du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP).

 

Camarade président, j’ai l’intime conviction que, comme le dit le président Nicolas Sarkozy, « l’expérience est irremplaçable », surtout pour assumer les hautes fonctions de président du Faso dans ces moments cruciaux de la vie de notre nation.

 

Aussi, je pense que Kosyam n’est pas un lieu de stage.

 

Veuillez recevoir, camarade président, mes salutations militantes.

 

Badini Boureima

 

 

 

Dernière modification lemercredi, 25 septembre 2019 19:44

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