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Incidences du divorce sur les enfants : La moudawana marocaine en question

 

Saviez-vous qu’au Maroc, une femme qui se remarie après un divorce perd automatiquement la garde de ses enfants ? C’est pour débarrasser  la moudawana, entendez le code de la famille, de certaines de ses scories que l’association W-Lady, en partenariat avec l’Ordre des avocats de Casablanca a organisé les 20 et 21 septembre 2019 dans la « Maison blanche », le premier symposium africain sur « les incidences législatives et judiciaires du divorce sur les enfants ».

 

 

 

C’est l’histoire d’une souffrance personnelle qui est devenue le combat de milliers et de milliers de femmes marocaines voire de toute l’Afrique. Cette histoire, c’est celle de Me Kadhija Hanaa el Amrani. En 2017, elle perd la garde de ses enfants après son remariage suite à un divorce. Pour elle, la loi est dure mais c’est la loi, en l’occurrence la moudawana, le code de la famille voté en 2004. S’ensuit une bataille judiciaire qui accouchera plus tard d’une association : W-Lady (« Mes enfants » Ndlr), forte aujourd’hui de quelque 7000 amazones, déterminées à se battre pour que les choses changent.

 

C’est dans cette perspective qu’en partenariat avec le Barreau de Casablanca, l’association a organisé  les 20 et 21 septembre 2019 dans la capitale économique du royaume chérifien, le premier symposium africain sur « les incidences législatives et judiciaires du divorce sur les enfants ». Un véritable problème de société au regard de la récurrence des séparations dans les couples dits modernes et l’effet désastreux qu’elles produisent sur la progéniture. « Quand les grands se battent, ce sont les petits qui paient les pots cassés », résume Me Hassane Birouine, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Casa.

 

Ce vendredi 20 septembre dans un prestigieux hôtel de la place, victimes (femmes comme enfants) côtoient des avocat(e)s, des magistrats, des politiques, des universitaires et des psychologues pour des échanges féconds en vue de faire bouger les lignes dans le royaume chérifien et en Afrique sur des questions concrètes comme celle, matricielle s’il en est, de la garde des enfants ; le droit de visite ; la pension alimentaire, la scolarité, le soutien psychologique, etc. Dans la salle de conférences, quelques dames se surprennent à écraser une larme en voyant la détresse matérielle et/ou financière  de certaines victimes dans un film documentaire sur le sujet. Drapée dans un ensemble rouge qui lui « donne  l’impression d’être née dans ce qu’elle porte » (c’est le secret de l’élégance semble-t-il), Me Amrani a, elle-même, encore des trémolos dans la voix et les yeux passablement embués à l’évocation de sa propre histoire. « La problématique du droit de garde cause d’énormes préjudices aux femmes et aux gamins et le fait d’en parler ici brise le tabou », estime Naoual Atlass, présidente de la commission Relations Afrique de W-Lady.

 

 

 

L’intérêt de l’enfant comme seule boussole

 

 

 

A travers le droit comparé de pays comme le Burkina, le Sénégal, le Congo, la France ou le Maroc, les centaines de participants se sont ainsi enrichis mutuellement sur des problématiques aussi complexes que sensibles. Il y a ce que grave  la doctrine dans le marbre de la loi et ce qu’enseigne la jurisprudence en la matière, le but du « jeu » n’étant pas de dupliquer les yeux fermés ce qui se passe chez le voisin mais plutôt de s’en inspirer éventuellement, les réalités sociopolitiques étant, on le sait, différentes d’un Etat à l’autre. « En tout état de cause, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la seule boussole qui guide le magistrat », tranche Me Nicolas Sadourney du barreau de Lyon.

 

Au nombre des intervenants triés sur le volet, Me Gertrude Ouédraogo du cabinet Sissilis et Wilfried Komi Zoundi, juriste, membre de la commission constitutionnelle burkinabè et conseiller technique du ministre des Transports. Pour ce dernier, « la loi du 4 août 1990 portant code des personnes et de la famille (CPF) est assez progressiste en matière de protection des droits de la femme et de l’enfant. La puissance maritale a ainsi été supprimée au profit de celle parentale (le père et la mère donc)… Le challenge est plus énorme dans un pays où le conservatisme religieux est ancré dans les mœurs. Il faut une culture de l’égalité, un changement réel de mentalité  car la religion et le droit sont deux réalités sociales qui ne devraient pas être antinomiques mais complémentaires ». Et d’espérer que les propositions qui sortiront du symposium de Casa « permettent d’entreprendre des réformes afin d’aboutir à un code marocain plus équitable à l’endroit des femmes et d’actualiser les textes pour les mettre en phase avec les droits de l’homme ». Même constat, après comparaison,  chez Me Gertrude Ouédraogo du cabinet Sissilis : « la législation burkinabè instaure une équité entre les parents dans l’octroi de la garde et de la prise en charge financière et la situation est minutieusement établie en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Reste maintenant à savoir comment les bonnes pratiques peuvent être exportées partout où besoin est quand on sait que la loi, qui n’est pas toujours juste, il est  vrai, ne sera jamais  que le reflet des réalités sociales et politiques (ou du rapport de forces) d’un pays en un temps T.

 

 

 

Ousséni Ilboudo

 

(De retour de Casablanca)

 

 

 

 

 

Encadré 1

 

 

 

Me Kadhija Hanaa El Amrani, présidente de W-Lady

 

«Notre objectif, c’est faire abroger le code de la famille»

 

       

 

L’histoire de W-Lady se confond avec votre histoire personnelle. Racontez-nous comment ça s’est passé ?

 

 

 

C’est parti d’une souffrance personnelle, d’une déchéance de la garde de mes enfants que j’ai subie il y a deux années après mon remariage suite à mon divorce. J’ai perdu en première instance et en appel parce que la moudawana (le code de la famille de 2004) est contre moi. Elle prévoit que lorsqu’une femme se remarie, elle perd la garde. Et pendant une année je prenais des médicaments pour dormir. Au bout d’une année, je me suis dit que je passais peut-être à côté de quelque chose dans ma vie alors que je suis avocate d’affaires. C’est comme une révélation que j’ai reçue : la création  de l’association, son nom, son logo… tout est allé très vite. Et ç’a drainé du monde en l’espace d’une semaine ; dès la naissance, on était déjà adulte.

 

Comme je suis une femme de droit, quand je n’étais pas bien j’ai ouvert la nouvelle Constitution votée en 2011 et je me suis rendu compte que son article 19 prévoyait l’égalité homme-femme. Pourquoi donc dans ces conditions, moi je devrais perdre la garde de mes enfants quand je me remarie alors que ce n’est pas le cas pour mon ex-mari. Pourquoi je devrais voir mes enfants seulement le dimanche de 10h à 17h et qu’ils soient obligés de grandir avec leur belle-mère pour l’éternité? C’est quoi donc cette loi (la moudawana) qui n’est pas constitutionnelle ? J’ai de ce fait écrit au Conseil constitutionnel qui m’a répondu que puisque je ne suis pas une association, elle ne pouvait pas recevoir ma requête. C’est là que j’ai décidé de lancer ce mouvement.

 

 

 

Aujourd’hui le combat dépasse votre seule personne. De combien d’amazones pouvez-vous vous prévaloir actuellement dans ce combat ?

 

 

 

Nous sommes déjà à plus de 7000 femmes. Il faut savoir qu’elles ont souvent peur de s’afficher, elles ont peur de leurs conjoints ; certaines ont même vu leurs téléphones portables retirés par leur mari pour les empêcher de communiquer avec nous. Soit dit en passant, nous n’encourageons pas le divorce ; nous sommes pour la paix des ménages. Nous ne souhaitons pas que les couples divorcent mais si cela devait arriver, il faut trouver des solutions pour faire en sorte que les enfants soient heureux avec leurs parents, qu’ils soient unis ou séparés.

 

 

 

Qu’est-ce que vous escomptez concrètement du présent symposium ?

 

 

 

En sortir avec des solutions législatives. Avec le droit comparé, nous pouvons faire des recoupements avec ce qui se passe ailleurs, même s’il faut toujours s’adapter aux réalités de chaque pays. Notre objectif, à terme, est de faire abroger la loi qui m’a enlevé la garde de mes enfants et de nombreuses autres lois inconstitutionnelles car il y en a beaucoup. Mon histoire personnelle, c’est du passé mais de nos jours c’est un débat national parce qu’il y a tant et tant de femmes qui sont concernées. Il a même franchi les frontières du Maroc et en le rendant international, c’est le meilleur moyen de toucher le législateur. Nous allons recueillir les 25 000 signatures nécessaires pour amener le parlement à relire la loi et de réduire le pouvoir souverain du juge. Parce qu’aujourd’hui, si le juge décide que le droit de garde doit être enlevé, c’est parce qu’on lui a donné ce pouvoir souverain. Si on le limite, on résoudra bien de problèmes. C’est pour cela que je mène ce combat avec acharnement, et avec cette rencontre il est même devenu africain.

 

 

 

Propos recueillis par

 

O.I.

 

 

 

 

 

Encadré 2

 

 

 

Me Gertrude Ouédraogo, avocate au cabinet Sissilis

 

«Notre code des personnes et de la famille est assez équitable»

 

 

 

De façon succincte, quel est l'état de la législation burkinabè sur les questions liées aux enfants en cas de divorce (garde, pension alimentaire, etc.) ?

 

 

 

La question liée à la garde des enfants après le divorce des parents est réglementée par le Code des personnes et de la famille (CPF) en ses articles 401 à 407 relatifs aux effets du divorce et 510 à 518 pour ce qui est de l’autorité parentale. La situation de l’enfant après le divorce des parents est minutieusement établie en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

En effet, dans le dispositif légal au Burkina Faso, le divorce ne met pas fin aux droits et devoirs des parents sur l’éducation et la protection de l’enfant. Chaque parent reste tenu d’assurer la direction, la surveillance, l'entretien et l'éducation de l’enfant ; de faire prendre à l'égard de l'enfant toute mesure d'assistance éducative ; de consentir à son mariage, à son adoption, à son émancipation dans les conditions fixées par la loi ; de jouir et d'administrer légalement les biens de l'enfant.

 

La législation burkinabè instaure donc une équité entre les parents dans l'octroi de la garde et la prise en charge financière de l'enfant dans le but de lui assurer la présence et la protection de ses géniteurs. A l'issue de la séparation, la garde est confiée à l'un quelconque des parents en tenant exclusivement compte de l'intérêt de l'enfant (article 402 du CPF), et à l'autre, il est aménagé un droit de visite et d'hébergement (article 403 et 515)

 

 

 

 

 

L’idée selon laquelle c’est toujours l'homme qui casque alors qu'il y a beaucoup de situations où la femme gagne plus que son mari n’est donc pas exacte ?

 

 

 

Au Burkina Faso la législation est édictée de sorte à instaurer l'égalité entre parents dans la garde de l'enfant. Ainsi, contrairement à l'opinion fort erronée qui fait croire qu'il revient au père d'assumer la charge financière des enfants après le divorce, le législateur burkinabè a donné le pouvoir au juge de fixer la contribution de chaque parent en fonction de ses capacités financières. L'article 406 du CPF stipule en effet : «L'époux à qui la garde n'a pas été confiée contribue à proportion de ses facultés à l'entretien et à l'éducation des enfants. Ladite contribution prend la forme d'une pension alimentaire versée à la personne qui en a la garde. Les modalités et les garanties de cette pension alimentaire sont fixées par le jugement».

 

 

 

Si vous deviez vous inspirer de ce symposium pour faire avancer les choses chez nous, ça porterait sur quoi par exemple ?

 

 

 

 

Après avoir participé à ce symposium on peut se satisfaire du travail législatif opéré par le Burkina Faso qui instaure une certaine équité dans la question de la garde des enfants après le divorce. En effet, contrairement à l'expérience marocaine marquée par une inégalité au profit du père, à travers la déchéance du droit de garde de la mère en cas de remariage de cette dernière, le Burkina n'opère aucune distinction sur les droits du parent ayant la garde de l'enfant indépendamment de son statut matrimonial. Les dispositions de notre Code des personnes et de la famille relatives à la garde de l'enfant après le divorce sont assez justes et équitables et peuvent demeurer telles qu'elles sont.

 

 

 

Propos recueillis par OI

 

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