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Procès putsch manqué : Retour au prétoire pour les réparations

C’est ce matin, 22 octobre 2019 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000, que débute en principe l’audience sur les intérêts civils du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015. C’est à cette étape que les parties civiles (plus de 300) vont demander des dommages et intérêts en réparation aux préjudices qu’elles ont subis lors des manifestations en vue de s’opposer au coup de force du général Gilbert Diendéré. Comment cette audience va-t-elle se dérouler concrètement ? Comment se calculent les montants que le tribunal allouera aux victimes ? Qui va payer si les accusés ne sont pas en mesure de s’acquitter des éventuelles sanctions pécuniaires ? Eléments de réponses avec Me Batibié Bénao de la Société civile professionnelle d’avocats (SCPA) Legalis à travers cette interview qu’il nous a accordée, hier, à son cabinet. 

 

 

L’audience sur les intérêts civils s’ouvre ce 22 octobre. De quoi s’agit-il concrètement ?

 

Quand on parle des intérêts civils dans un dossier, c’est normalement devant le juge pénal. Ils peuvent aussi être demandés devant le juge civil. Devant le juge pénal, on distingue l’action publique de l’action civile. Dans la première, le juge va dire si quelqu’un est coupable ou pas des faits pour lesquels il est poursuivi. Dans la deuxième, c’est cette phase du jugement où les personnes qui estiment avoir souffert de l’infraction pour laquelle la personne comparaît devant le tribunal demandent au juge de réparer le préjudice qu’elles ont subi. C’est ça qu’on va appeler les intérêts civils qui vont consister en des réparations, lesquelles sont soit pécuniaires soit en nature.

 

Qui sera dans le box des accusés ?

 

Normalement, seules les personnes qui ont été condamnées seront dans le box des accusés. Que la condamnation soit ferme ou avec sursis, parce que ces personnes, à partir du moment où elles ont été reconnues coupables, sont exposées à être condamnées à l’indemnisation des victimes qui auraient été établies comme telles, parce que la qualité de victime doit aussi se démontrer, elle ne se présume pas.

 

Est-ce à dire que ceux qui ont été acquittés ne sont aucunement concernés par cette procédure ?

 

En principe dans un procès pénal ordinaire, au moment où les avocats plaident sur la question de la culpabilité, ils se prononcent en même temps sur les intérêts civils de sorte que tout le monde soit concerné puisqu’on ne sait pas à l’avance qui sera acquitté et qui ne le sera pas. Mais devant des juridictions à compétence criminelle, on statue d’abord sur l’action publique et ensuite sur l’action civile. Je ne vois pas comment une personne X qui n’aurait pas été reconnue coupable va se retrouver dans le box des accusés. Peut-être qu’elles seront là juste pour s’assurer qu’on ne va pas se tromper sur leur identité ou qu’on aura besoin qu’elles attestent de telle ou telle déclaration qui vise à dire qu’untel est victime ou pas.

 

Sait-on si dans cette phase les avocats commis d’office peuvent toujours assister leurs clients ?

 

C’est le même dossier qui se poursuit et ce n’est qu’un autre pan qui s’ouvre. Ce qui veut dire que ce sont les mêmes parties qui vont continuer. Les parties civiles étaient là depuis le départ, elles ont contribué, avec le parquet, à démontrer en quoi X ou Y est coupable ou non des faits qui lui sont reprochés, c’est à leur tour d’établir qu’elles ont la qualité de partie civile mais aussi de démontrer qu’elles ont subi des préjudices et qu’il y a un lien pertinent entre ces préjudices et les faits pour lesquels les gens ont été condamnés.

 

Quelle sera la composition du tribunal ? Au pénal, il y avait des juges assesseurs. Est-ce qu’à cette étape, ils seront encore de la partie ?

 

En matière criminelle, les assesseurs ou les jurés ne participent pas au jugement des intérêts civils. Lorsqu’on se prononce sur l’action publique, c’est fini, et les juges professionnels prennent le relais pour trancher sur les intérêts civils qui constituent une partie très technique. C’est probablement la raison pour laquelle le législateur a fait en sorte que dans cette phase de jugement les jurés et assesseurs ne siègent pas au tribunal.

 

Le tribunal sera réduit donc au juge et à son conseiller ?

 

Généralement la composition du tribunal est impaire. Ce qui veut dire qu’il ne peut s’agir de deux personnes uniquement. Dans le temps, quand il y avait encore les jurés, ces derniers se retiraient et laissaient les juges professionnels trancher au moment d’aborder la phase des intérêts civils.

 

Les accusés ont-ils droit à la parole ?

 

Absolument, d’autant plus que c’est quelque chose qui se fera ressentir dans leur patrimoine. Si par exemple je suis accusé et que je veux bien démontrer que lors des évènements je n’ai pas croisé telle personne et que je ne peux pas avoir été responsable du préjudice qu’elle a subi, j’ai naturellement droit à la parole. A moins que les avocats des accusés ou le tribunal estiment qu’on peut se passer de leurs déclarations.

 

Concrètement, comment ça va se dérouler ?

 

Ça va se dérouler comme un procès normal. Le juge va sortir comme d’habitude, il va déclarer que l’audience est reprise, puisqu’elle n’était que suspendue ; il va certainement donner la parole aux parties civiles. S’ensuivront sans doute des débats pour établir qui est victime dans l’affaire, comment cela se démontre, quels sont les documents que les uns et les autres ont en leur possession, etc. La défense aussi aura son mot à dire, elle dira par exemple si elle reconnaît la qualité de victime de X ou de Y. Ceux qui prétendent avoir subi des préjudices auront aussi le droit de se prononcer. Dans ce dossier, l’Etat est à la fois victime et employeur de personnes poursuivies. Je ne sais pas comment cela va se passer. L’Etat va-t-il refuser d’endosser la responsabilité encourue par ces mis en cause ? Va-t-il garantir ou non les paiements auxquels ces personnes seront condamnées ? J’imagine en tout cas que les parties civiles autres que l’Etat vont demander à ce dernier de venir en garantie pour payer les sommes auxquelles elles auraient droit dans la décision du tribunal. Parce que si vous demandez à un militaire, à un caporal ou à un soldat de payer une somme d’argent X dans les circonstances que l’on connaît, je ne sais pas comment l’intéressé fera pour payer cette somme. Et dans ce cas de figure, les victimes risquent de se retrouver dans un jugement non exécutable.

 

Il est donc établi que l’Etat ici est civilement responsable ?

 

Les victimes pourraient le démontrer. Je ne sais pas quelle est la stratégie des uns et des autres, mais j’imagine qu’elles pourraient éventuellement démontrer à l’Etat qu’il est civilement responsable et qu’il doit garantir l’exécution des condamnations à venir. L’Etat aussi, s’il venait à être appelé en garantie ou à être civilement responsable des sommes que le tribunal allouerait et qu’il s’exécute, va être en droit de se retourner contre les personnes condamnées à payer ces sommes.

 

Dans le cadre d’un autre procès ?

 

Oui, l’Etat peut faire une autre procédure après, les assigner pour leur demander de lui rembourser son argent, c’est ce qu’on appelle l’action récursoire. Là l’Etat doit démontrer que ce sont des fautes purement personnelles qui n’ont rien à voir avec une faute de service et que c’est à tort qu’il a été amené à payer les montants. C’est parfaitement possible.

 

Mais peut-il arriver qu’on saisisse les biens d’un accusé ?

 

Absolument, c’est l’exécution forcée. Quand on rend une décision de justice, la personne peut l’exécuter de façon volontaire et spontanée. Mais si elle reste jusqu’à ce qu’on lui fasse un commandement d’exécuter et qu’il ne fait toujours rien, on peut passer à cette phase qui consiste à saisir ses biens (comptes bancaires, mobiliers ou immobiliers) jusqu’à ce que toutes les sommes soient entièrement recouvrées. S’il n’y a pas d’exécution volontaire, c’est celle forcée qui est engagée sans problème.    

 

Est-ce que la simple condamnation au pénal suffit pour établir la culpabilité de quelqu’un au civil ?

 

Théoriquement non. Mais dans la pratique, dès lors que vous êtes reconnu coupable d’une d’infraction, et que quelqu’un arrive à démontrer qu’il a subi un préjudice du fait de cette infraction avec un lien de causalité qui est claire, vous êtes parti pour être condamné à indemniser la victime. En temps normal, on ne peut pas y échapper.

 

Comment est-ce qu’on calcule les quanta de ces dommages ? Y a-t-il une base juridique ou c’est à la tête du client ?

 

Ici, c’est le principe de la réparation intégrale qui s’applique. En dehors des cas d’accidents de la circulation où avec le code CIMA (Ndlr : code des assurances) tout est millimétré, calculé et que le juge n’a pas de marge de manœuvre et qui, pour apprécier le préjudice de quelqu’un, le juge est obligé de suivre un barème de calcul ; en dehors aussi du Code du travail où pour le travailleur qui est licencié les indemnités, les dommages et intérêts sont plafonnés à 18 mois, il n’y a pas un autre principe à suivre que celui de la réparation intégrale. Pour un préjudice de 92 milliards de F CFA par exemple, si la victime arrive à établir effectivement, preuve à l’appui, qu’elle a subi un préjudice de 92 milliards de F CFA, le tribunal est libre d’apprécier cela sans aucune limite.

 

Dans le cas de quelqu’un qui a eu un handicap à vie, un pied cassé par exemple, comment ça se passe ?

 

Le tribunal va apprécier de façon souveraine. J’imagine qu’il va prendre beaucoup d’éléments en compte, notamment si l’intéressé a une famille, des personnes à sa charge, si au regard de son activité de l’époque, il a pu rater la chance d’avoir accès à tel ou tel statut dans la société, si cette activité avait vocation à être florissante, si la personne a dû à un certain moment mendier, a eu une image qu’elle ne souhaitait pas avoir, en somme le préjudice moral que cela peut causer. C’est un ensemble d’éléments à prendre en compte, voilà pourquoi on parle de la réparation intégrale. Pour toutes les sortes de préjudices. Il suffit que la victime démontre qu’elle en a subi. Si quelqu’un est handicapé à vie et arrive à prouver que ses soins nécessitent telle ou telle spécialité, le juge peut ordonner au mis en cause de faire en sorte que cette personne bénéficie des soins appropriés.

 

Une polémique qui revenait au cours des débats au pénal : en quoi quelqu’un qui a passé son temps à escorter ou conduire le général Diendéré peut être responsables des morts ?

 

La notion de complicité est abstraite en droit. Quand vous prenez des gens qui agissent ensemble, comme c’est le cas ici, il n’est pas forcément nécessaire que ce soit untel qui ait personnellement assommé X ou Y. Mais si je parviens à agir dans un concert où chacun a joué un rôle (une sorte de responsabilité en cascade) et que ça aboutit à ce résultat, la personne peut être amenée à répondre de cela. Mais une fois de plus, c’est le juge qui va apprécier de façon souveraine comment on rattache la responsabilité de chacun au préjudice indiqué par telle ou telle victime. Si par exemple ma zone d’opération était à Ouaga 2000 et que quelqu’un s’est blessé vers Tampouy, on ne peut pas dire que je dois répondre de cela  si la victime a pu déterminer que c’est une autre personne. Je ne vois pas pourquoi on peut m’imputer cela. La notion de complicité est généralement exploitée de telle sorte qu’on a tendance à voir une solidarité dans l’ensemble des actions de tous ces gens, ce qui peut amener les parties civiles à  demander une condamnation solidaire de tout le monde. Dans ce cas, on peut choisir une ou des personnes dans le groupe pour exécuter votre décision sur elle (s). Si trois personnes sont condamnées solidairement, en temps que victime, si j’ai la  décision de justice, je peux estimer que des trois personnes, il y en a une qui est plus solvable, que je peux recouvrir la totalité sur elle, quitte à ce dernier de se retourner vers les deux autres pour récupérer son argent après. La notion de solidarité entraîne deux conséquences : que tous les trois vous devez ensemble à la victime et que cette dernière a le droit de prendre un d’entre vous pour exécuter la décision quitte à vous, condamnés, de vous entendre après.

 

Combien de temps peut durer cette audience civile ?

 

C’est difficile de le dire, mais j’imagine que cette phase sera moins longue que la phase de l’action publique. Elle repose sur la première, car on ne va pas reprendre les débats sur qui est coupable ou pas même s’il y a eu appel dans ce dossier. C’est pour cela je vous disais que dans un procès pénal normal, quand on vous déclare coupable, on vous condamne en même temps à réparer le préjudice.

 

 Propos recueillis par

Aboubacar Dermé

Bernard Kaboré

Dernière modification lemardi, 22 octobre 2019 21:28

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