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Tunisie : « Robocop » à l’épreuve du pouvoir

« On avait moqué son allure ascétique, on s’était gaussé de son  élocution monocorde et de ses traits figés qui lui ont valu le sobriquet peu flatteur de « Robocop » (1), on avait raillé son manque de charisme, on l’avait dépeint comme un ovni qui n’avait rien à faire sur le terrain de la politique. C’est pourtant celui qui passait pour une anomalie parmi les 26 candidats au premier tour de la présidentielle qui va aménager le 23 octobre prochain, date de sa prestation de serment,  au palais de Carthage. »

 

Ainsi écrivions-nous dans notre éditorial au lendemain de la victoire, au second tour de la présidentielle tunisienne, de Kaïs Saïed avec 72,71% des voix face à son adversaire, Nabil Karoui.

C’est désormais chose effectivement faite. Le processus électoral, émaillé de surprises, de suspenses et de rebondissements, s’est finalement achevé dans les délais impartis.

En effet, la cérémonie de prestation de serment est intervenue exactement quatre-vingt-dix jours après le décès du président  Béji Caïd Essebsi, comme l’impose la Constitution tunisienne.

 Devant un parterre d’anciens présidents, de nouveaux élus et de diplomates, le nouvel impétrant s’est montré séduit par le bouleversement politique dont il est l’auteur : « C’est une vraie révolution », s’est-il écrié avant de lancer : « C’est un instant historique qui vient de bouleverser le cours de l’histoire du peuple. Nul doute que le monde va commencer à étudier le modèle tunisien dans les centres de recherches et révisera les notions installées depuis des siècles ». 

Il s’est engagé à lutter contre le terrorisme, la corruption, à renforcer davantage la liberté, la dignité et la justice sociale.  

Elu à plus de 70% des suffrages, Kaïs Saïed ne sombre pourtant pas dans l’ivresse du plébiscite qui l’a ainsi porté au palais de Carthage, lorsqu’il reconnaît qu’il n’a pas le droit de  décevoir les attentes.

Et c’est là un défi que ni sa simplicité, ni sa modestie, et encore moins son penchant islamo-conservateur ne suffiront  à relever.

En effet, celui à qui près de 90% de la jeunesse a accordé sa confiance aura la lourde tâche de promouvoir le plein emploi dans un pays où le chômage frappe durement les jeunes diplômés. Cette mission est d’autant titanesque que le tourisme, l’une des mamelles de l’économie du pays d’Habib Bourguiba, s’est réduit comme une peau de chagrin du fait du terrorisme.

Aussi, sa promesse de combattre la corruption, d’instaurer, par des Assemblées locales, « une gouvernance inversée » s’annonce tout aussi difficile.  

Maintenant que le pouvoir est acquis, c’est le plus dur qui commence pour Kaïs Saïed, cet islamo-conservateur qui,  pour tout programme, ne semble avoir que sa seule volonté de faire la politique autrement. D’ailleurs, n’a-t-il pas répété durant toute la campagne, menée de porte en porte, qu’il n’a pas de projet de société  pour son pays?

Tout juste sait-on qu’il est pour la peine de mort et contre l’égalité successorale entre hommes et femmes, même s’il s’est engagé à ne pas revenir sur la liberté et les droits des femmes.

Mais dans l’immédiat, il lui faut une majorité parlementaire pour gouverner. Ce qui n’est pas gagné d’avance au vu de l’émiettement  de la prochaine Assemblée nationale :

en effet, sur les 217 sièges, Ennahda, arrivé en tête, en glane seulement 52, suivi de Qalb Tounes, parti de Nabil Karoui, avec 38, du Courant démocrate avec 22. Le reste étant réparti entre plus d’une quinzaine de listes dont celle des indépendants qui remportent 12 sièges. 

Comme on le voit, c’est un « Robocop » qui arrive au pouvoir, certes plein de volonté et d’ambition pour son pays, mais avec de sérieux handicaps.

Mais à l’heure du bilan de son mandat, il ne bénéficiera pas de circonstances atténuantes en cas de promesses non tenues.

Et il le sait.

 

Alain Saint Robespierre

 

Dernière modification levendredi, 25 octobre 2019 00:59

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