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Juliette Bonkoungou : Ce qu’elle nous a confié avant de repartir pour Paris

Après huit mois à Paris où elle avait été admise dans une clinique pour des soins, elle a bénéficié d’une autorisation d’une dizaine de jours pour revenir au bercail. Elle est aussi l’une des figures de proue du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), parti qui traverse une crise née de l’augmentation du nombre de membres du Bureau politique national contrairement à celui fixé par l’avant- dernier congrès de l’ancien parti majoritaire. A cela s’ajoute l’annonce de la candidature de Kadré Désiré Ouédraogo (KDO) qui veut briguer la magistrature suprême en 2020, créant de facto des pro KDO et des pro Eddie Komboïgo. Se voulant respectueuse des textes, elle a pris des positions qui lui ont valu d’être suspendue par les responsables de son parti, sanction qu’elle dit n’avoir toujours pas comprise.

Mais qu’à cela ne tienne, sa santé demeure sa seule préoccupation du moment. Le 25 octobre 2019, à quelques jours de son départ pour l’Hexagone où elle repart poursuivre son traitement, Juliette Bonkoungou nous a accordé une interview exclusive dans laquelle elle aborde, entre autres, son état de santé, sa gratitude envers tous ceux qui la soutiennent en ces moments difficiles et bien évidemment les vicissitudes que traverse sa formation politique.

 

 

 

Comment se porte madame Bonkoungou aujourd’hui ?

 

Je vais beaucoup mieux, c’est ce qui m’a permis de demander l’autorisation aux médecins de venir voir ma famille, mes amis, me ressourcer, me changer  les idées et repartir. J’étais hors du pays depuis le mois de février dernier, cela fait environ huit mois, c’est un peu long.

 

C’est avec stupéfaction que l’opinion publique a appris que vous avez été admise dans une clinique à Paris. Sans violer le secret médical, est-ce une maladie subite ou un mal que vous traîniez depuis un certain temps ?

 

Je suis hypertendue depuis un certain nombre d’années. Mais je peux dire qu’il s’est agi d’une dégradation subite qui a été découverte quand j’ai accompagné mon époux, souffrant à l’époque, à Paris pour des soins.

Vous parlez d’hypertension. Peut-on dire que cela est lié à votre intense activité politique ?

 

Je me suis engagée librement en politique, je ne veux pas incriminer cet engagement en particulier parce que je connais des gens qui sont hypertendus mais qui n’ont jamais fait de la politique.  Je constate cependant que la plupart des personnes de notre génération engagées en politique souffrent de cette maladie. La politique, c’est le stress à outrance, et sur le long terme effectivement cela peut laisser quelques traces au niveau de l’organisme.

 

Durant votre séjour médical, avez-vous bénéficié d’un soutien quelconque de vos amis politiques ou de la classe politique d’une manière générale ?

 

Vous me donnez l’occasion par cette question d’exprimer mon infinie gratitude aux nombreuses personnes qui m’ont témoigné leur solidarité de manière multiforme. Ces marques de solidarité, venues de tous les horizons, m’ont été d’un grand soutien pour traverser l’épreuve des deux opérations que j’ai subies respectivement le 6 mars et le 4 septembre derniers.

Permettez-moi de faire une mention particulière à certaines personnes, sans enlever le mérite à d’autres : des remerciements particuliers vont d’abord aux autorités du pays qui n’ont ménagé aucun effort, compte tenu de la soudaineté de la découverte de ma pathologie, pour que je puisse être prise en charge.  

Mes remerciements particuliers vont ensuite à El hadj Mahamadi Koanda qui a fait spécialement le déplacement à Paris pour me souhaiter prompt rétablissement. Depuis mon hospitalisation jusqu’à maintenant, il a toujours été à mes côtés. Je peux citer également Eddie Komboïgo, le président de mon parti, le CDP, et son épouse, mes collègues députés, mes anciens collègues de la justice et bon nombre de vos confrères dont monsieur Edouard Ouédraogo, le directeur de publication de «L’Observateur Paalga», et monsieur Boureima Jérémie Sigué, président-fondateur du journal «Le Pays». Je n’oublierai pas non plus les responsables des communautés religieuses (catholiques, protestants, musulmans) qui m’ont appelée, fait des prières ; certains sont même venus prier pour moi à l’hôpital, je pense notamment à l’épouse du pasteur Mamadou Philippe Karambiri.

Des vendeuses de légumes, des jeunes gens devant des supermarchés ont pris mes nouvelles.

J’ai bénéficié vraiment d’une véritable chaîne de solidarité  de toutes les couches de la population, et  je rends grâce au Seigneur pour ce soutien de mes compatriotes auxquels je dis mille fois merci.

 

Vous devez repartir dans l’Hexagone, est-ce que ce n’est toujours pas la grande forme ?

 

Je suis, d’après les propos de mes médecins, à mi-parcours de la prise en charge que nécessite ma situation. Il reste du chemin à faire afin qu’on puisse tourner la page.

 

Dans à peu près une année, ce sera le renouvellement de l’Assemblée nationale, est-ce qu’avant cela, on peut espérer revoir la députée Bonkoungou siéger parmi ses pairs ?

 

J’aime les débats, et être député me procure une énorme satisfaction. Je regrette que la survenue soudaine de ma maladie me tienne éloignée de l’hémicycle à un moment si crucial de l’histoire de mon pays. Le reste ne dépend pas de moi.

 

Malgré votre absence, votre ombre a beaucoup plané sur la crise qui mine actuellement le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). On vous a décrite comme très proche de Mahamadi Koanda qui est foncièrement contre le président Eddie Komboïgo. Qu’est-ce que vous reprochez exactement à ce dernier ?

 

Je ne me mets pas à la place de Koanda, mais je ne crois pas que Mahamadi Lamine Kouanda soit contre Eddie Komboïgo. C’est un militant expérimenté qui a plus de quarante ans de militantisme politique, je crois que c’est ce qui lui permet de penser qu’au regard de la situation actuelle, le CDP pourrait se donner plus de chances avec un candidat autre qu’Eddie Komboïgo.

 

Mais qu’est-ce qui vous fait dire qu’Eddie Komboïgo a moins de chances qu’un autre candidat pour la présidentielle ?

 

Ce n’est pas moi qui le dis. J’ai dit que monsieur Koanda n’est pas personnellement contre Eddie Komboïgo.  Il faut que vous sachiez que les textes de notre parti ne prescrivent pas que le président du parti est obligatoirement et nécessairement le candidat naturel à l’élection présidentielle. Nous avons fonctionné ainsi depuis toujours.

C’est ainsi que monsieur  Roch Marc Christian Kaboré a été président du CDP pendant dix ans, mais c’est Blaise Compaoré qui était notre candidat. La situation étant ce qu’elle est, je pense que chaque militant est libre, pour des considérations qui lui sont propres, de penser que tel ou tel candidat pourrait avoir plus de chances. Cela ne veut pas forcément dire qu’il a raison non plus.

 

Mais quelles sont ces considérations, selon vous ?

 

Vous pourriez poser cette question à Mahamadi Koanda, lui-même.

 

Mais vu que vous êtes très proche de lui…

 

On peut être très proche de quelqu’un et avoir des nuances et parfois des points de vue différents sur certaines questions.

 

A l’instar de plusieurs cadres du CDP, vous avez été suspendue. D’autres ont purement et simplement été exclus. Vous attendiez-vous à une telle issue et comment avez-vous accueilli cette sanction ?

 

Jusqu’à ce jour, je ne la comprends pas. Mais je n’y ai pas porté une grande importance parce que, pour le moment, mon souci principal, c’est ma santé. Sinon, depuis que je suis malade je me suis prononcée deux fois sur les questions liées à mon parti :  

la première, c’est quand j’ai été contactée par des camarades, notamment el hadj Mahamadi Koanda et d’autres, qui m’ont fait savoir que le nombre de membres du Bureau politique était supérieur à celui qui avait été fixé par le parti. Au lieu de 600, ce Bureau était devenu  fort de 1008 personnes. J’ai dit simplement que je pense qu’un grand parti comme le nôtre se devait de respecter ses propres textes et que je suis d’accord qu’on interpelle le président Komboïgo et qu’on fasse tout pour régler cette question ;

la deuxième intervention, c’était quand mes collègues députés m’ont saisie pour dire qu’ils allaient écrire au président Blaise Compaoré pour lui demander d’user de son influence afin de rapprocher les points de vue. J’ai répondu que je suis partante pour tout ce qui permet au CDP de retrouver son unité et sa cohésion, et marqué donc mon accord. C’est tout, je ne vois pas dans ces deux interventions où se trouverait un acte d’indiscipline. Quand vous êtes sur un lit d’hôpital avec quelques machineries et des perfusions, vous avez d’autres chats à fouetter que d’être en train de chercher dans le jeu d’appareil.

Par contre régulièrement, j’ai tout fait pour rester informée de la situation sécuritaire, car c’est ce qui m’apparait le plus important.

Si on estime que les deux interventions sont de l’indiscipline, je voudrais rappeler un fait au président Eddie Komboïgo : quand il a quitté  le pays à l’occasion du putsch manqué du 16 septembre, nous avons dû porter le parti à bout de bras et batailler pour le maintenir à flots dans l’immensité de l’adversité qui nous assaillait. Quand il est revenu, il y a des camarades du Bureau d’alors qui ne voulaient pas qu’il reprenne la tête du parti. J’ai été la première à intervenir pour soutenir le point de vue contraire en argumentant que pendant toute son absence, aucune sanction n’a été prise à son encontre et soutenir fortement que nous devons rester dans la légalité. A la session du BPN qui s’en est suivie, j’ai pris la parole durant une quarantaine de minutes pour me faire l’avocat de son retour  à la tête du parti. Il  sait très bien donc que je suis pour le respect des textes, de la légalité, et c’est ce que j’ai fait en ce qui concerne le nombre des membres du BPN porté à 1008 contrairement aux recommandations de notre avant-dernier congrès qui en prescrivait 600 au plus ; quant à l’écrit à Blaise Compaoré, il est le président d’honneur, notre aîné, et comme ça ne va pas, j’ai pensé honnêtement qu’on peut se référer à lui. Si cela est un acte d’indiscipline, ça n’engage que ceux qui ont fait cette qualification. Dois-je rappeler qu’Eddie  est le plus fréquent de nous tous à Abidjan ?

 

Parmi les potentiels candidats du CDP à la présidentielle de 2020, votre nom a été cité ;  êtes-vous prête, si l’occasion se présente, à endosser cette responsabilité, bien sûr dans les conditions de santé et autres ?

 

D’abord, permettez-moi encore de remercier el hadj Mahamadi Koanda et d’autres qui m’ont fait l’honneur de penser que je pouvais être candidate à la candidature du parti pour le scrutin à venir. C’est un grand honneur qu’ils m’ont fait, et je ne l’oublierai jamais. La politique, ce sont des luttes de positionnement, quand quelqu’un vous propose et se bat pour votre nom, vous ne pouvez que lui témoigner de la gratitude.

Ensuite, sachez que le qualificatif la «Julie nationale» m’a été attribué du fait  de mon engagement en politique. Je fais partie, avec d’autres femmes, telles Mme Tamboura Joséphine, Béatrice Damiba, Alimata Salambéré, Jacqueline Ki-Zerbo, Traoré Nignan Alima, Marlène Zébango, Lamoussa Nignan, Véronique Kando et bien d’autres, de la première génération de celles qui se sont vraiment engagées en politique aussi bien sur le terrain qu’à tous les autres niveaux. L’exercice de la responsabilité n’a pas de rapport avec le sexe. On cherche des gens capables. Je pense que les femmes sont aussi capables que les hommes.

La réponse est donc oui, je ne me sens pas moins capable qu’un homme pour conduire la destinée de ce pays, encore pas moins capable que d’autres femmes sous d’autres cieux qui sont ou ont été à la tête de leurs pays. L’histoire regorge d’ailleurs d’exemples à ce sujet : je peux citer  Dilma Rousseff, Cristina Kirchner, l’Allemande Angela Merkel, l’Israélienne Golda Meir, l’Indienne Indira Ghandi, Hillary Clinton des Etats-Unis,  Ellen Johnson Sirleaf du Liberia que j’ai personnellement connue quand j’étais ministre de la Fonction publique, la présidente de l’Ethiopie Sahle-Work Zewde et bien d’autres. Plus près de nous, Mme Saran Sérémé et feu Françoise Toé. Maintenant, est-ce que notre société est prête à cela? Ça, c’est un autre débat. Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas capable. Mais une fois de plus, je cherche d’abord la santé. Ma famille et bien d’autres personnes autour de moi sont préoccupées par cette question. Etre candidat n’est donc pas à l’ordre du jour.

 

Vous êtes de ceux qui estiment qu’il faut des primaires pour la désignation d’un candidat à la présidentielle, mais qu’en disent les textes ?

Nous, les juristes, nous sommes une race un peu particulière. Quand les textes ne statuent pas expressément sur quelque chose, nous nous lançons dans l’interprétation de leur esprit. A partir du moment où notre règlement intérieur  ne dit pas que le président du parti est automatiquement le candidat naturel du parti, il faut envisager l’hypothèse d’une pluralité de candidatures. En pareille situation, l’organisation de primaires peut être une voie de sélection. On n’a pas d’autre choix que d’aller à une forme de sélection, et la plus démocratique que je connaisse, ce sont les primaires. Evidemment on souhaite parvenir à un consensus sans cette forme de sélection. J’ai même été initiatrice de quelque chose dans ce sens parce que j’avais en effet pensé que nous, les membres fondateurs du CDP pouvions rapprocher les points de vue. J’ai rencontré dans ce sens près de trois heures monsieur Bongnessan  Arsène Yé ;  malheureusement les maladies sont arrivées et ma démarche a été interrompue.

 

Que pensez-vous de ceux qui estiment que Kadré Désiré Ouédraogo, en s’autoproclamant candidat et en suscitant  un mouvement qui soutient sa candidature, se pose en candidat naturel du CDP et que cela n’est pas de nature à faciliter la cohésion ?

Je suis de ceux qui pensent qu’il faut donner la priorité au parti et aux règles édictées par celui-ci. Quand Kadré Désiré Ouédraogo déclarait sa candidature, il ne m’a pas consultée. Je n’ai donc pas eu l’honneur d’en discuter avec lui. Mais, d’après ce que j’ai compris, il a répondu à un appel. Reste à savoir si le oui à cet appel n’aura pas de conséquences pour le pays et pour le parti. Mais en aucune manière, ça ne fait de lui un candidat naturel du parti. Dans une compétition, chacun cherche à se positionner favorablement. Lui, il a répondu à un appel, on dit qu’il a suscité un parti, que je ne connais pas parce que je viens de rentrer…

 

Vous voulez dire que vous n’avez jamais entendu parler du« Mouvement Agir ensemble » qui est déjà sur les starting-blocks et qui a même tenu son assemblée générale constitutive où on a vu des caciques du CDP ?

 

Mais tenez ! Si aujourd’hui il y a un mouvement « Allons ensemble » qui jette son dévolu sur moi Juliette Bonkoungou, je ne m’en plaindrais pas particulièrement, mais je déclinerais l’offre simplement parce que mon état de santé ne me permet pas d’y répondre favorablement. Alors si un mouvement dénommé «Agir ensemble» jette son dévolu sur Kadré, je dirais de ne pas demander à quelqu’un qui a soif de refuser l’eau qu’on lui tend. Je pense que tout autant qu’Eddie, Kadré se donne les moyens, mais autrement !

 

On sait que, suite à la médiation de Blaise Compaoré dans cette crise, le camp Eddie a accepté de lever les sanctions et que les ‘’bannis’’ reviennent au bercail. Croyez-vous vraiment que la mayonnaise va prendre ?

 

Je voudrais être optimiste et souhaiter que chacun y mette du sien pour que la mayonnaise prenne. Parce que, pour un parti qui n’avait jamais fait l’expérience de l’opposition, quatre années, cinq ans, ça peut paraître long. Mais au-delà de tout ce qui peut nous diviser, nous devons mettre l’accent sur ce qui est essentiel aujourd’hui, c’est-à-dire qu’il ne faut pas que des élections à venir, le CDP sorte laminé. Parce que pour moi, s’il venait à en être ainsi, j’ai peur que l’avenir même du parti soit sombre, car  je ne vois pas tous ces jeunes qui ont vécu tant de souffrances prêts à endurer cinq autres années. Pour toutes ces raisons, je souhaite qu’on transcende nos divergences et qu’on essaie de mettre l’accent sur l’essentiel. Puisse Dieu m’entendre à cet effet et mettre Sa main sur nous.

 

Lors de la dernière conférence de presse des personnes sanctionnées, celles-ci ont accepté de revenir effectivement dans le navire, mais ont réaffirmé leur soutien à KDO comme candidat au prochain scrutin présidentiel. N’est-ce pas là la preuve que la cohésion n’est toujours pas au rendez-vous ?

 

Selon ma connaissance des textes du parti, je ne sais pas s’il y a une disposition qui empêche les militants de se prononcer ou d’exprimer leurs  préférences. Mais je dis que quand le parti aura fait son choix, ils devront tous s’aligner derrière le candidat du parti.

 

De plus en plus des rumeurs soutiennent que le président Blaise Compaoré souhaiterait rentrer et qu’il a même pris la décision de rentrer. Vous qui avez été proche de lui, est-ce que vous l’avez entendu exprimer ce besoin de rentrer au pays ?

 

Non. Je ne l’ai jamais entendu parler d’une telle décision. J’entends comme vous des rumeurs, mais pour moi ce ne sont que des rumeurs.

 

Est-ce que vous êtes régulièrement en contact avec lui ?

Non, depuis que je suis hors du pays pour des raisons de santé.

 

Propos recueillis par

Aboubacar Dermé

Bernard Kaboré

Dernière modification lejeudi, 31 octobre 2019 12:45

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