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France et terrorisme au Sahel : Gardons-nous de jeter le bébé avec l’eau du bain

 

Un pavé dans la mare, une porte ouverte que l’on enfonce, la vérité rougit les yeux, mais ne les crève pas. Les caractérisations ne manquent pas pour qualifier les déclarations mi-suppliques mi-accusatrices que l’artiste-chanteur Salif Keïta a postées sur les réseaux sociaux ce week-end.

 

En langue bambara, comme s’il voulait se faire comprendre par beaucoup d’Africains de l’Ouest, il a interpellé le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) sur sa responsabilité de président de la République, chef suprême des armées, dans la complicité supposée de la France avec les groupes armées qui écument le Sahel dont les régions du nord et du centre du Mali.

 

Salif Keïta, qui désigne le président IBK par le terme  Kôrô, c’est-à-dire grand frère, lui enjoint littéralement de démissionner s’il n’est pas en mesure de s’émanciper de la tutelle de la France, laquelle armerait les assassins qui déciment la jeunesse et endeuillent les familles maliennes. Pour l’emblématique artiste-musicien, il n’y a pas de djihadistes au nord du Mali mais des mercenaires à la solde de la France qui déstabilisent le pays.

 

En vérité, ce n’est pas la première fois que l’on entend ce discours au Mali et dans d’autres pays du Sahel comme le Burkina et le Niger, confrontés à une insécurité de plus en plus prégnante. Des organisations de la société civile, des partis politiques et des leaders d’opinion ont déjà appelé à des manifestations de rue dans ces trois pays pour exiger le départ des troupes étrangères du Sahel. Derrière le vocable de troupes étrangères, c’est la France qu’ils pointent du doigt, à tort ou à raison, devenant en tout cas le relais public de ces opinions antifrançaises véhiculées dans les chaumières et les gargotes de Bamako, de Ouagadougou ou de Niamey. Salif Keïta enfonce donc le clou dans cette duplicité présumée de l’Hexagone dans l’existence et les nuisances des groupes armés au Sahel.

 

A ce propos, une lettre du Chef d’état-major des armées burkinabè (CEMA), datée du 15 novembre 2019, adressée à l’attaché militaire de l’ambassade de France à Ouagadougou, qu’on a vu circuler également sur les réseaux sociaux, n’est pas pour arranger les choses : dans cette lettre dont l’authenticité n’a pas été contestée, sauf omission ou erreur, par la hiérarchie de l’armée nationale, le général Miningou se plaint du fait que des aéronefs non identifiés survolent le théâtre des opérations de l’armée burkinabè. Ces aéronefs, selon les termes de la lettre en question, seront désormais traités comme des appareils ennemis à moins que l’armée burkinabè ait été saisie de leur plan de vol 48 heures à l’avance. Voilà de quoi apporter de l’eau au moulin de ceux qui parlent d’un double jeu de la France dans cette guerre asymétrique qui meurtrit le Sahel ! En effet, pourquoi c’est seulement à l’attaché militaire de l’ambassade de France qu’a écrit le chef d’état-major des armées burkinabè ? La France est-elle la seule puissance capable d’avoir des aéronefs à même de survoler le théâtre des opérations de  notre armée ? Ou bien l’armée burkinabè sait que ces avions sont français, mais diplomatiquement parle d’aéronefs non identifiés ? A moins qu’il y ait d’autres lettres adressées à d’autres attachés militaires dont nous n’avons pas connaissance.

 

Quoi qu’il en soit, les déclarations de Salif Keïta et cette lettre du chef d’état-major des armées burkinabè tombée dans le domaine public ne construisent pas une bonne image de la France et du gouvernement Macron dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.  De fait, en raison de son passé d’ancienne puissance colonisatrice, ce n’est pas de si tôt que tous les Africains absoudront l’Hexagone de ses péchés néocolonialistes pour voir dans les opérations Serval, puis Barkhane, qui ont causé la perte de soldats français, ou le soutien à nos armées et même les appuis budgétaires de la France à nos Etats, annuellement renouvelés, sinon comme une dette de sang, à tout le moins comme la recherche d’un partenariat privilégié né de l’histoire commune. La faute aux travers de l’abjecte Françafrique, et l’ambassadeur de la France au Mali a eu beau répliquer à Salif Keïta que n’eût été l’intervention de l’armée française en 2012, le Mali aurait connu un pire sort sous la férule des groupes terroristes, des Maliens, des Burkinabè, des Nigériens, etc., lui répondront qu’on attendait de son pays, au vu de l’arsenal militaire dont il dispose, un parapluie plus efficace contre les fauteurs de troubles au Sahel.

 

Mais au lieu de spéculer sur ce que la France a fait ou n’a pas fait au Sahel, si nos pays, dans le cadre du G5 Sahel ou de la CEDEAO élargie, se donnaient les moyens d’assumer plus pleinement leur défense ! Le néocolonialisme français  a bon dos, mais commençons par donner à nos armées les moyens humains, matériels et financiers en adéquation avec la gravité de la situation sécuritaire à laquelle nos pays sont confrontés. A ce propos, on souhaite que l’initiative lancée par la CEDEAO en septembre 2019 pour réunir 40 milliards de dollars US afin de soutenir une guerre de longue durée contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest aboutisse rapidement. En attendant, gardons-nous de jeter le bébé de la coopération France/Afrique avec l’eau du bain de nos déboires militaires au Sahélistan.

 

Le terrorisme est une mauvaise herbe qui a poussé sur le terreau des inégalités de développement de nos régions, nourrie par des trafics en tout genre que favorise la dislocation de la Libye et l’intolérance religieuse de prêcheurs salafistes à la petite semaine qui endoctrinent facilement des jeunes en manque de repères.

A bon entendeur… 

 

La Rédaction

Dernière modification lelundi, 18 novembre 2019 22:12

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