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Rwanda : Kizito s’est-il suicidé ou l’a-t-on suicidé ?

Kizito Mihigo, 39 ans,  a été retrouvé mort dans sa cellule hier 17 février 2020 au petit matin. Selon la police rwandaise, le célèbre chanteur de gospel se serait pendu avec son drap, après seulement 4 jours de détention au poste de Remera.

 

Il avait en effet été arrêté le 13 février dernier dans le sud du pays, le bureau des enquêtes à Kigali l’accusant d’avoir voulu passer illégalement la frontière avec le Burundi  pour rejoindre un groupe armé. Il aurait même essayé de corrompre des villageois qui l’auraient reconnu. Une version qui avait déjà étonné bon nombre de ses proches. Et c’est le même étonnement à l’annonce de son décès.

Si l’on croit ce que prétendent ses geôliers, le célèbre détenu était devenu mutique et renfermé sur lui-même, laissant ainsi entendre qu’il  était peut-être frappé par une forme de spleen et nourrissait des tendances suicidaires.

Le hic est qu’on est au pays de Paul Kagamé, où opposants, journalistes, activistes des droits de l’Homme et autres trouble-fêtes sont constamment traqués, embastillés quand ils ne sont pas tout simplement liquidés, même quand ils sont hors du pays, comme dans le cas de l’ancien membre de la garde présidentielle, Camira Nkurunziza, abattu en Afrique du Sud le 30 mai 2019.

On a donc le droit à tout le moins d’être sceptique sur la thèse officielle. Et si au lieu qu’il se soit suicidé on l’avait tout bonnement…suicidé ?

Celui qui vient de passer de vie à trépas était l’un des poils à gratter  de « l’homme mince de Kigali ». Jadis chantre de la réconciliation après le génocide de 1994 auquel  il a échappé, l’artiste avait déjà été arrêté une première fois en 2014. Il sera porté disparu pendant quelques jours avant que les autorités rwandaises reconnaissent sa détention. Il avait été condamné en avril 2015  à 10 ans de prison ferme pour « conspiration contre le gouvernement ». Mais il n’a passé que 4 ans derrière les barreaux puisqu’il a recouvré la liberté en 2018 à la faveur d’une grâce présidentielle dont avait également bénéficié, parmi 2000 autres prisonniers, l’opposante  Victor Ingabire. Ce pardon était intervenu alors que Paul Kagamé battait campagne pour sa protégée Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Et beaucoup d’observateurs avaient vu dans cette magnanimité une volonté de l’homme fort du Rwanda d’envoyer à la communauté internationale, francophone en l’occurrence, des signaux positifs en matière de liberté et de  droits humains. La ministre rwandaise des Affaires étrangères sera effectivement élue à la tête de l’OIF un mois après ces libérations en masse.

Comment donc celui qui avait déjà passé 4 ans en prison sans attenter à sa vie en viendrai-il subitement à se donner la mort après seulement 4 jours de détention ? Un doute  que même l’enquête promise par les autorités ne permettra pas de dissiper.

Requiem donc pour Kizito dont la voix s’est définitivement éteinte, lui dont les chansons n’étaient même plus diffusées et dont la fondation pour la paix et la réconciliation éprouvait des difficultés à mener ses activités.

Mais comme «l’honorable Kagamé »  est absous volontiers de tout péché au regard des spectaculaires progrès socio-économiques et environnementaux réalisés par le Pays des mille  collines sous son magistère, on ne trouvera pas grand monde, notamment parmi les prétendus défenseurs acharnés de la démocratie et des droits humains, pour s’émouvoir outre mesure de ce que juste une voix a cessé d’importuner les oreilles présidentielles. Ou bien, Le Drian et  consorts ?

 

Hugues Richard Sama

 

Dernière modification lemardi, 18 février 2020 21:26

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