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Processus électoral en Guinée : « Nous n’avons rien à cacher » (Damantang Albert Camara, ministre de la Sécurité)

La Guinée est engagée dans un processus électoral (législatives et référendum constitutionnel) fortement contesté par l’opposition. Du coup, le pays a connu de nombreuses manifestations émaillées de violence.

Damantang Albert Camara est le ministre de la Sécurité et de la Protection civile de la République de Guinée. A ce titre, son département est chargé de gérer les manifestations et de sécuriser le processus électoral. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, ce juriste de formation répond, sans tabou, aux accusations d’exactions portées contre les forces de sécurité guinéennes. Il affirme que la Guinée, qui n’a rien à cacher dans le jeu démocratique en cours, n’est pas un pays où règne l’impunité.

 

 

Avec le processus électoral en cours, on imagine que le ministre de la Sécurité que vous êtes ne dort plus ?

 

On se débrouille justement pour que les Guinéens, eux, puissent dormir, c’est notre fonction. Nous sommes au sein d’un ministère régalien, qui est chargé d’assurer la sécurité et l’ordre public. Et nos équipes travaillent à maintenir cet état, dans la mesure du possible et avec la bonne volonté, si possible également, des acteurs politiques sur le terrain, même si ce n’est pas toujours le cas. Mais je peux dire que pour le moment, mes services s’y attachent et remplissent cette fonction avec succès.

 

Dites-nous : pour le maintien de l’ordre, quel est le matériel que vous utilisez, vu que l’opposition accuse vos hommes d’utiliser du matériel létal ?

 

C’est récurrent depuis plusieurs années, pourtant chacun sait les efforts qui ont été faits en Guinée et chacun reconnaît, en tout cas les spécialistes, en la police guinéenne et aux forces de sécurité guinéennes cette nouvelle donne qui fait que nous utilisons uniquement du matériel conventionnel pour assurer le maintien d’ordre. C’est tout simplement des boucliers, des grenades lacrymogènes, du matériel de protection des agents…

Il a été interdit, systématiquement interdit, à toute personne intervenant dans le cadre d’un dispositif de maintien d’ordre d’utiliser une arme létale. Même les armes de réserve qui sont utilisées dans d’autres pays ne sont pas utilisées en Guinée. Et c’est plutôt dommage qu’on ne reconnaisse pas cet effort fait par la police et la gendarmerie guinéennes alors que nous sommes dans un processus de réforme du secteur de la sécurité qui est reconnu dans le monde entier comme étant un modèle de réforme.

 

Quelles sont les forces qui s’occupent de ce maintien de l’ordre ?

 

Notre loi sur le maintien d’ordre prévoit que la police soit en première ligne, appuyée ensuite par la gendarmerie et, on ne le souhaite pas, en cas extrême par l’armée si jamais une sollicitation est faite. Dieu merci, nous n’avons pas eu besoin de faire appel à cette force supplémentaire. La police et la gendarmerie sont aujourd’hui constituées en unités de maintien d’ordre qui font parfaitement leur travail, même si certains ne souhaitent pas le reconnaître.

 

Qu’avez-vous à dire face aux accusations de l’opposition concernant des actes de répression, d’intimidation, de déportation dont feraient l’objet certains de ses membres ?

 

Tous les agissements de nos forces de sécurité le sont dans le strict respect de la législation en vigueur. Ce qu’il faut noter, et c’est important de le dire, c’est que, par exemple, lorsqu’on reproche aux forces de sécurité d’avoir tué des personnes, tous les morts qui ont été enregistrés depuis le début des manifestations en Guinée, l’ont été en dehors du périmètre des manifestations. C’est-à-dire que là où il y a le périmètre de sécurité mis en place par la force publique, même lorsqu’il y a des affrontements entre manifestants et policiers, il n’y a jamais de mort. On enregistre des morts en dehors, en marge des manifestations, à des kilomètres de là où la manifestation s’est déroulée. Ce qui prouve qu’il y a sans doute un certain nombre d’individus qui ont tout intérêt à ce qu’il y ait des morts pendant ces manifestations et que ces morts soient mises sur le dos des forces de sécurité.

Nous ne désemparons pas, nous menons des enquêtes pour essayer d’élucider ces crimes parce que ce sont des Guinéens qui meurent. A un moment donné, il faut essayer de savoir à qui profitent ces crimes, en tout cas sûrement pas à l’Etat, qui se trouve en train de justifier, qui se trouve cloué au pilori parce qu’il est responsable de la sécurité dans le pays et est de toute manière responsable en tant que tel de la recherche de la vérité sur ces morts-là. Malheureusement, les circonstances dans lesquelles interviennent ces morts rendent difficile la manifestation de la vérité. Les scènes de crimes sont polluées, parce que les cadavres sont déplacés sans l’autorisation des officiers de police judiciaire, ce qui rend la recherche de la vérité difficile. Mais des enquêtes en cours permettent aujourd’hui d’avoir une idée de ce qui pourrait se passer, et je n’ai aucun doute que quand le procureur prendra la parole sur ces cas-là, un certain nombre de vérités seront connues.

Sur les cas de violences et d’exactions, tout se fait dans le respect des procédures et lorsque des violences sont enregistrées et que la responsabilité ou la culpabilité d’un agent est démontrée, il est tout de suite mis en cause et est sanctionné.

Vous avez pu le voir ces dernières semaines, un policier surpris en train de tirer en l’air a été sanctionné. Un autre qui avait également pris à partie une dame a été sanctionné, donc nous n’avons aucun complexe par rapport à cette situation. Les bavures peuvent exister mais je demande aussi aux gens d’être un peu indulgents et de comparer ce que la Guinée était avant 2010, lorsque c’était l’armée et les bérets rouges qui maintenaient l’ordre public, si on peut appeler ça comme ça, avec ce qui se passe maintenant.

Je rappelle aussi que dans un pays comme la France, qui a une tradition sécuritaire séculaire, la dernière crise des  « gilets jaunes » a enregistré plus de 480 cas de violence policière, 21 personnes éborgnées, 5 mains arrachées, etc. Donc si cela peut arriver dans un pays comme la France avec toute la tradition sécuritaire et de gouvernance de ce secteur qu’on connaît, on doit être un peu indulgent lorsqu’en Guinée face à une adversité très forte, à des manifestants très violents, il y a quelques bavures mais encore sans l’assentiment du ministère et chaque fois avec des sanctions lorsque la culpabilité des agents est démontrée.

 

Concrètement, quelles sont les sanctions que vous avez prises contre le policier qui a tiré en l’air ou celui qui a violenté une dame ?

 

Les deux policiers ont été mis à la disposition de leurs unités respectives. Je ne dirai pas qu’ils sont emprisonnés mais ils sont privés de la liberté de mouvement en attendant que le conseil de discipline statue conformément à nos textes pour prononcer la sanction définitive. Il y a eu un changement au département et le conseil de discipline a été remanié. Et après que la nouvelle équipe aura été installée, ils vont passer devant le conseil de discipline. Pour le moment, ils ne participent plus à aucune opération de maintien d’ordre et sont consignés dans leurs unités respectives.

 

Nous avons appris la destruction d’urnes, est-ce qu’avec la situation actuelle, vous êtes en mesure d’assurer la sécurité du scrutin et des personnels des bureaux de vote ?

 

C’est l’occasion pour moi d’attirer l’attention également sur la violence dont se rendent coupables les manifestants que nos forces ont en face. Il y a des urnes qui ont été détruites, de l’huile de vidange déversée sur la chaussée pour entraîner des accidents  et cela a effectivement causé des accidents graves, il y a des citernes qui ont été visées par des attaques au fusil et elles ont failli prendre feu. Les incendies ont été éteints de justesse, vous avez des préfectures qui ont été attaquées et incendiées, une prison qui a fait l’objet de vandalisation, des armes dérobées dans des commissariats. Je crois qu’à un moment donné aussi, il faut attirer l’attention sur la violence de ceux qui accusent les forces de défense et de sécurité de violence.

Cela dit, le dispositif en place est bien organisé pour préserver l’essentiel concernant les élections et là où des urnes et du matériel électoral a été vandalisé, nous sommes en mesure de les remplacer. En tout cas, c’est l’assurance que nous a donnée la CENI et le ministère de l’Administration territoriale.  Dans tous les cas, le processus global relatif aux consultations électorales n’est pas menacé.

 

Monsieur le ministre, quel est le bilan humain des différentes manifestations en Guinée ?

 

Nous refusons d’entrer dans cette comptabilité macabre de personnes qui auraient été tuées soit par des policiers, soit par des manifestants. Nous dénombrons à cette date plus de 600 manifestations en moins de 9 ans, la plupart autorisées. A côté de ces 600 manifestations, des dizaines de morts enregistrés dans des circonstances qui ne permettent pas de déterminer exactement qui les a tués.

Une seule fois un policier a été pris en possession d’une arme, il a tiré et il y a eu une victime. Ce policier est aujourd’hui en prison et cela prouve qu’il n’y a pas d’impunité.

Face à ces dizaines de morts du côté des civils, il y a quand même 12 morts enregistrés au sein des policiers et des gendarmes dont 6 par balles et les auteurs n’ont pas été retrouvés.

Je voudrais dire, face à ces statistiques (et je ne vous parle pas des centaines de blessés aussi bien du côté des civils que du côté des forces de sécurité), nous avons aujourd’hui 40 policiers qui sont totalement paralysés pour avoir reçu dans des zones sensibles du fer à béton avec des frondes, des barres de fer, des cailloux et des projectiles divers.

Je crois que seule la sérénité permettra à tous les acteurs politiques guinéens de déterminer qui a un intérêt à ce que les manifestations dégénèrent en violence pour que cela cesse. Parce que ce sont des Guinéens qui sont blessés, ce sont des Guinéens qui sont paralysés, ce sont des Guinéens qui meurent et ça ne profite surtout pas à l’Etat et au gouvernement que nous sommes. Voilà à peu près ce bilan malheureux que nous pouvons établir. Il suffirait, pour que ce bilan soit revu à la baisse, que l’opposition choisisse les formes de manifestation les moins susceptibles de dégénérer en violence, en respectant les itinéraires qui sont donnés, en respectant les normes de sécurité qui doivent entourer les manifestations. Et bien entendu, du côté du gouvernement, à supposer que les auteurs de certains de ces crimes soient des forces de défense et de sécurité, qu’on puisse mener des enquêtes pour aboutir à la manifestation de la vérité. Voilà un peu les défis auxquels nous sommes confrontés et je vous le répète, le gouvernement n’a aucun intérêt à ce qu’il y ait des morts pendant des manifestations.

 

On a entendu parler de fermeture de frontières terrestres pour raison de sécurité. Qu’en est-il ?

 

Ça n’a pas été une fermeture en tant que telle, ç’a été plutôt un contrôle plus accru et plus poussé des véhicules qui entraient. Le dispositif a été allégé mais nous restons vigilants dans un contexte sous-régional marqué par beaucoup d’élections et par rapport à la situation politique en Guinée. C’est pour tout cela que nous avons jugé nécessaire de renforcer les contrôles aux frontières.

 

Quel appel avez-vous à lancer à la communauté internationale concernant le processus électoral ?

 

Nous sommes un ministère régalien qui applique des consignes pour maintenir l’ensemble du processus électoral sécurisé. Cela étant, la tradition de la Guinée, qui est un pays très jaloux de son indépendance, qu’elle a demandée avant la plupart des autres pays africains, est qu’elle souhaite être respectée dans cet esprit-là. Malgré cela, et puisque nous avons une tradition panafricaine, nous souhaitons pouvoir associer et démontrer notre bonne foi à l’ensemble de nos partenaires, notamment de la sous-région. C’est pour cette raison que nous avons souhaité et insisté que la CEDEAO soit présente tout au long du processus et nous n’avons aucun doute que sa présence permettra de démontrer que la Guinée n’a rien à cacher et qu’elle est dans un processus transparent. Nous demandons à cette communauté internationale, tout en respectant notre indépendance, de bien vouloir contribuer à l’édification d’une démocratie en Guinée et de permettre aux dirigeants que nous sommes de consulter notre peuple en toute liberté et en toute indépendance.

 

Entretien réalisé à Conakry par

   San Evariste Barro

Dernière modification lemercredi, 11 mars 2020 21:20

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