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Coronavirus au Burkina : L’économie toussote

Ambiance inhabituelle à la gare TCV de Kamsonghin samedi après-midi quelques heures avant l’entrée en vigueur du couvre-feu. Quasiment aucun passager visible alors que le lieu grouille habituellement de monde. Par contre, beaucoup de signaux prouvent qu’ici la menace du coronavirus est prise au sérieux.

 

 

A l’entrée ainsi qu’à divers endroits, des dispositifs de lavage de mains invitent à faire le geste devenu capital. Il suffit de lever les yeux pour voir des affiches de prévention placardées sur les portes. Les mêmes messages de sensibilisation tournent en boucle sur les écrans. Autres mesures prises par la compagnie, comme nous l’explique le directeur de l’exploitation du Centre, Dramane Palé : la prise de la température des passagers et l’arrêt de la climatisation dans les bus.

 

Des mesures qui n’avaient pas levé toutes les inquiétudes puisque depuis l’apparition du premier cas de Covid-19 dans le pays, les candidats au voyage deviennent moins nombreux. L’instauration d’un couvre-feu de 19h à 5h et la fermeture des frontières du pays décidées par le chef de l’Etat ont comme donné le coup de grâce en ces temps difficiles. «C’est une décision qui nous a pris de court», confie Dramane Palé, pour qui les conséquences sont terribles pour TCV. «D’une dizaine de départs par jour, nous n’en avons plus qu’un seul», indique-t-il. Seul le bus de 10h reliant Ouaga à Bobo a résisté à la nouvelle donne. Et la société, fermeture des frontières oblige, ne dessert plus la sous-région. Selon le directeur de l’exploitation du Centre, des bus de la compagnie étaient au moment de notre passage bloqués aux frontières. A l’entendre, des négociations étaient engagées pour permettre aux cars ainsi qu’à leurs passagers de bénéficier d’une dérogation pour regagner au plus vite le bercail.

 

«Pas plus de 40 passagers par bus »

 

La gare de Rakièta dans le quartier Saint-Léon n’est que l’ombre d’elle-même. Des bagagistes s’y tournent les pouces. Il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Une seule personne aurait pu se taper la tâche de l’après-midi. Cette compagnie de transport, qui fait Ouaga-Pô et vice versa, a dû revoir ses heures de départ. Avec le couvre-feu, aucun car ne démarrera désormais après 14h 30 mn. Ce réaménagement, selon le chef de gare, Antoine Tiendrébéogo, vise à prévenir d’éventuelles pannes pouvant survenir en cours de route.

 

Les mesures édictées par les agents de santé pour éviter le Covid-19 sont bien connues à Rakièta. Leur responsable a mis à la disposition des agents des gants et masques pour se protéger et protéger les clients. Foi du chef de gare, leurs véhicules ne transportent plus plus de 40 passagers depuis l’interdiction des regroupements de personnes au-delà de 50. Sentant le scepticisme de ses vis-à-vis, le chef, comme l’appellent les bagagistes, se veut convaincant. «Nous sommes intransigeants sur cette mesure. Aucun agent n’ose enfreindre la règle. Il ne faut pas jouer avec sa vie et celle des autres ». Le bémol à Rakièta, c’est l’absence d’un dispositif de lavage des mains. Mais cela n’est qu’une question de temps, à écouter le chef de gare. « Nous venons d’acquérir le dispositif. Nous allons le mettre en place incessamment », nous indique-t-il en montrant du doigt le matériel non encore installé.

 

Autre gare : STAF Larlé. Ce sont des guichets fermés que nous retrouvons aux environs de 15h. De nombreux passagers sont agglutinés sur les bancs, en dépit de toute règle de distanciation. En l’absence du chef de gare, le responsable des gares STAF, Lassané Ouédraogo, que nous avons joint au téléphone, nous informe qu’il n’y a plus de départ après 13h. Le dernier bus pour  la capitale économique  bouge, lui, à 12h.

 

Au moment où nous mettions sous presse, nous avons appris par un communiqué du ministère de tutelle l’arrêt des activités  de transport à compter de ce lundi 23 mars 2020.

 

Jours sombres pour le monde de la nuit

 

Une interdiction de sortie dès 19 h, c’est tout le monde de la nuit qui trinque. Au maquis Somkièta situé à Larlé, ce n’est pas la fréquentation habituelle du week-end. Se désinfecter avec le gel hydroalcoolique déposé à l’entrée est obligatoire si on veut accéder au lieu de loisirs. Malgré la musique, il n’y a qu’un client à s’agiter sur la piste. Beaucoup de chaises sont sans occupants. Ceux attablés font fi de toute prise de distance ou mesure de protection. « Le couvre-feu va jouer sur notre activité. Avant c’était à partir de 19h qu’il y avait plus de monde », regrette le gérant, Moctar Ouédraogo. Le personnel, estimé à une trentaine, était divisé en deux équipes qui se relayaient le matin et le soir, mais avec les nouvelles mesures, nous apprend-il, tout le monde monte le matin et le bar ferme désormais à 18h.

 

Raphaël Moyenga, le grilleur de poulets, est venu plus tôt que d’ordinaire pour pouvoir être à l’abri à 19h. « Notre travail, c’est principalement la nuit. Avec le couvre-feu on ne sait vraiment pas ce qu’on va devenir », s’inquiète-t-il.

 

Si Somkièta a préféré ouvrir jusqu’à 18h, ce sont des portes closes que nous avons trouvées en faisant le tour de quelques débits de boissons de la ville.

 

Long comme un jour sans pain

 

Avec la psychose, qui gagne du terrain, l’un des aliments du quotidien, le pain, fait l’objet de nombreuses rumeurs. Sur les réseaux sociaux, des messages invitent les uns et les autres à faire attention au pain, car c’est l’aliment le plus manipulé, et il est mis directement en bouche. Il est dit ceci dans un message : «Dans la plupart des boulangeries, ils servent le pain sans gants avec la main qu’ils utilisent pour manipuler leur téléphone, saluer, toucher l’argent, etc.»

 

A Top pain, une boulangerie jouxtant l’ancien Kundé du 29, à Dagnoën, les mesures d’hygiène sont pourtant respectées : 3 commerciaux sont derrière la vitre séparant le client des tenants des lieux ; elles ont toutes des gants et des masques. Une est chargée de prendre l’argent des acheteurs. Elle n’a aucun contact avec le pain. Elle ne manipule que les espèces sonnantes et trébuchantes.  Les deux autres servent. Elles n’ont aucun contact avec l’argent.

 

Le secteur de la boulangerie est aussi frappé de plein fouet par les conséquences économiques du virus à couronne. A Top pain, selon la gérante, Safi Singbeogo, c’est 12 sacs de farine qui étaient pétris et mis au four par jour. Avec l’apparition du Covid-19, la maison a dû revoir sa production journalière.  De 12 sacs, elle a régressé à 8 sacs. Et même avec cette réduction de la production, au dire de la gérante, c’est la croix et la banière pour écouler ce qui est produit. «Nos clients sont devenus hésitants. Ils nous disent qu’il n’y a plus de marché. Il y en a un qui avait l’habitude de prendre 60 baguettes par jours, mais actuellement, il n’en prend que 20. Vous voyez la difficulté», raconte-t-elle désemparée. Pour elle, si cette situation perdure, viendra un moment où les fins de mois seront difficiles. «Quand nous mettons en marche notre four, il nous faut au minimum vendre une quantité de 10 sacs de farine. A défaut de cela, nous avons un gap. Pourtant chaque jour la production baisse. Que Dieu nous sauve», implore-t-elle. A Top pain, le souci est donc l’écoulement, pas la disponibilité de la denrée. A la boulangerie Wend Konta à Tampouy, on assure aussi qu’il n’y a pas de risque de rupture. Une employée, les doigts enfilés dans les gants, dit que le travail sera organisé de telle sorte que le couvre-feu n’impacte pas la production.

 

Hugues Richard Sama

Akodia Ezékiel Ada

 

 

Encadré

Des laissez-passer pour les journalistes

 

Quelques heures avant l’entrée en vigueur du couvre-feu, on ne savait toujours pas si certaines personnes, au regard de la spécificité de leur profession, comme les journalistes, allaient bénéficier d’un laissez-passer.

 

Le directeur général de BF1, Issouf Saré, et celui de la chaîne Burkina Info, Ismaël Ouédraogo, que nous avons contactés samedi, étaient tous en négociation avec le ministère de la Communication pour trouver le fameux passe-droit pour leurs agents. (Ndlr : un communiqué précisera plus tard que les services qui ont des astreintes particulières pourront avoir le sauf-conduit sur demande). D’ores et déjà, la télévision BF1 avait décidé d’enregistrer son journal de 19h 30 et de le diffuser au lieu du direct habituel. La chaîne, en réaction à la pandémie, avait déjà  décidé de ne plus recevoir de public dans ses émissions.

 

A Burkina Infos, une note de service du DG annonçait la suspension dès le 20 mars de toutes les émissions sur le plateau avec des invités externes.

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