Menu

Instauration du couvre-feu : « Ainsi donc le virus ne bouffe qu’après 19h? »

Tous ceux qui empruntent régulièrement la voie du ciné Burkina savent que la rue est souvent bondée de gros véhicules qui cherchent un lieu sûr pour se parquer avant d’aller faire des emplettes à Marina Market, l’une des grosses enseignes de la capitale burkinabè. Mais, au lendemain de la déclaration du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, faisant cas de nouvelles mesures dont le couvre-feu de 19h à 5h, l’affluence ressemblait beaucoup à celle des grands jours.

 

 

A 11h ce samedi matin-là, il fallait quasiment faire la queue pour avoir accès à l’enceinte du bâtiment. Une situation qui pouvait s’expliquer, entre autres, par les règles d’hygiène instaurées au niveau de la porte. En effet, avant de rentrer, il nous a fallu laver nos mains à l’eau et au savon avant que l’agent de sécurité ne teste notre température à l’aide d’un thermomètre laser. Il y avait aussi du gel hydro-alcoolique pour ceux qui préfèrent cette option.

 

Selon le gérant de la crémerie, Vincent Kaboré, ces mesures ont été prises  avant l’annonce du président. «Nous n’avons fait que les renforcer. La preuve, si vous traversez les rayons, vous verrez que les employés ont tous des gants à usage unique et ils portent des masques que nous changeons plusieurs fois par jour. Ça participe à rassurer la clientèle qui afflue depuis ce matin. On a l’impression que c’est tout le Burkina qui vient à nous», a-t-il expliqué. Surnommé le petit frère du président, notre interlocuteur qui a gardé son masque pendant toute la durée de l’interview, a assuré qu’il n’y aura pas de rupture. Il est convaincu que le magasin pourra satisfaire tous ceux qui voudront faire des provisions. D’après ses explications, les clients privilégient beaucoup plus la charcuterie. «Certains ont arrêté d’acheter la viande dans les marchés et yaars. Des produits comme les beurres, les crèmes, bref, ces petites choses qu’on n’a pas souvent besoin de cuisiner, voilà ce qui sort le plus», nous a-t-il fait savoir avec beaucoup d’assurance. Une information que nous ne tarderons pas à confirmer. 

 

 

Agent de banque, Adama Maïga, après avoir quitté le service se rend au magasin pour faire des provisions pour les deux semaines à venir. Ne sachant pas comment la situation va évoluer, il préfère prendre quelques dispositions pour se préparer à un éventuel « confinement ». Il compte acheter des épices, quelques boîtes de conserves, du lait, des biscuits et autres amuse-gueules pour la maisonnée et plus particulièrement les enfants. Pour ce qui est des céréales comme le riz, l’agent de banque a déjà fait des stocks. A cause du couvre-feu, Aristide Toé, ingénieur informaticien, a, quant à lui, voulu s’approvisionner pour les besoins de la famille. C’est tout juste pour le week-end parce que quand on est à la maison, on consomme un peu plus, surtout les enfants qui passent désormais leurs journées à la maison depuis la fermeture des écoles. Pour Eliane Ki, les nouvelles mesures sont les bienvenues. Résidant actuellement dans le Sanguié, elle est venue à Ouagadougou rendre visite à la famille et a profité de cette occasion pour acheter des produits qu’on ne trouve généralement pas en province. A son avis, il était temps que les gens se mettent au sérieux. «On s’amuse trop avec cette maladie», a-t-elle estimé. «On entend du tout. Ce virus ne touche pas les Noirs mais on voit maintenant les ravages qu’il fait déjà dans le pays. Ça fait peur. On est tous en danger. Le mal circule, on ne sait pas qui l’a et qui ne l’a pas, ce n’est pas écrit sur le visage», va-t-elle ajouter avec une petite pointe d’inquiétude.

 

Néanmoins, avant de nous quitter, la jeune femme a jugé utile de faire une recommandation : « Je ne pense pas qu’il faille s’alarmer et se précipiter dans les magasins. Ça crée aussi des rassemblements et les rangs sont trop longs. Je pense que les supermarchés ont des stocks pour au moins cinq mois. Il ne faut pas céder à la panique». Un point de vue qui sera bientôt partagé  par un «nassara».

 

« Malgré la faiblesse du système de santé, je me sens plus en sécurité ici qu’en Europe »

 

En effet, pour Luc De Rujter, la peur détruit plus qu’elle n’arrange. La solution, selon lui, serait de prendre la chose au sérieux, de prévenir et de savoir anticiper. « Malheureusement, on attend toujours qu’il y ait beaucoup de morts avant d’agir », a déclaré ce Néerlandais qui réside au Burkina depuis 7 ans. L’homme qui est très visiblement du troisième âge semble s’être très bien intégré car à chaque bout de phrase, il n’hésite pas à glisser un mot ou une expression en mooré. Face à cette crise mondiale, il affirme se sentir plus en sécurité au Pays des hommes intègres. «Si vous regardez bien, les premiers cas sont arrivés de l’Europe avec la maladie. Bon, on va me dire que le système de santé n’est pas aussi fort ici mais je dis qu’il faut changer le mode de gestion et ne pas rester dans une certaine tradition. C’est un grand défi pour tous les pays», a-t-il tenté de se justifier.

En parcourant un peu la ville, on se rend compte que la vie n’a pas tellement changé. Tous les commerces semblent fonctionner comme si de rien n’était sauf pour ceux qui restent généralement fermés le samedi. Dans les petites surfaces, il n’y a pas grand-chose à dire côté affluence. Dans une station-service de la place, la responsable du magasin nous fait savoir que le marché n’a pas tellement évolué. La différence c’est qu’ils ne vendent plus de gel hydro-alcoolique.

Du côté des banques, il est difficile de savoir si les uns et les autres trouvent nécessaire de se blinder les poches car la plupart des agences sont fermées. Sur l’avenue Kwamé N’Krumah, devant l’une des rares structures financières qui ouvrent le week-end, on nous apprend qu’en cette période du mois, il y a habituellement du monde. D’après le constat que nous avons pu faire, ce sont les opérations habituelles. Pour Gilbert Ilboudo par exemple, il n’est pas question de faire des provisions. «Je suis venu toucher un chèque. Ma présence ici n’a rien à voir avec la situation», a déclaré le commerçant qui ne manque pas de faire des observations sur l’heure du couvre-feu : «La mesure est bien mais ça aurait été mieux si c’était vers 21h ou 22h».

 

«Nous autres semons le matin pour récolter le soir»

 

Au marché de Katr-yaar, dans le 11e arrondissement de Ouagadougou, les étals sont de part et d’autre chargés de marchandises et les clients ne se font pas rares. Alors qu’il est 17h 30 à notre montre, on serait tenté de croire que le couvre-feu, fixé à partir de 19h, n’est pas un souci. Au milieu de ses sacs d’oignons et de tubercules, Christine Consimbo affiche une mine souriante. Rien de plus normal puisqu’elle assure avoir fait de bonnes affaires. Pour preuve, nombre de ses sacs se sont vidés en quelques heures. «On a même cru que  c’est tout Ouagadougou qui est venu s’approvisionner dans ce marché», se permet-elle d’ajouter. C’est la même impression chez Mélanie Zigani, vendeuse de condiments. Abdoul-Malik Issoufa est justement venu faire des provisions chez cette dernière. Couvre-feu oblige, il ne lui reste pas plus d’une heure pour rentrer chez lui. Mais ce ne sera pas avant d’avoir fait le plein de son sac en tomates et oignons, de quoi se mettre à l’abri du besoin pour deux semaines. «Qui sait comment va évoluer la maladie et qu’est-ce qui sera décidé dans les jours à venir ?», s’est interrogé l’étudiant d’origine nigériane. Il compte aussi se procurer un sac de riz pour parer à toute éventualité.

Certains produits sont particulièrement prisés, à en croire Alizèta Kouanda, vendeuse d’ingrédients pour les jus, qui a vu son chiffre d’affaires grimper depuis que la maladie du coronavirus sévit au Burkina. Entre autres, elle a cité le gingembre auquel certains attribuent des pouvoirs de guérison du covid-19 et qui s’est, du même coup, invité dans le panier des produits de première nécessité de bien de Ouagalais. Se gardant tout de même de donner des chiffres de ses ventes, elle nous a fait savoir que la demande de cette racine vertueuse a particulièrement doublé pour cette journée du 21 mars. 

Si la plupart des commerçants se frottent les mains, ils craignent par contre un éventuel durcissement des mesures restrictives, notamment une fermeture des marchés. «Nous autres semons le matin pour récolter le soir. Autrement dit, on vit au jour le jour. Comment allons-nous survivre si on venait à interdire nos activités quotidiennes ? C’est la grosse question», une préoccupation qui avait été soulevée par Christine Consimbo. Pour que cette inquiétude ne devienne pas une triste réalité, certains ne manquent pas de propositions et suggèrent par exemple l’encadrement des services du ministère de la Santé. Il s’agirait par exemple de rendre disponible le gel désinfectant pour les commerçants.

Zalissa Soré

 

 

 

Encadré 1

Le coronavirus bouffe aussi avant 19h

 

S’il y a une personne qui ne comprend pas trop la mesure concernant le couvre-feu, c’est bien Luc De Rujter, un Néerlandais qui vit au Burkina depuis 7 ans. Pour lui, la période du couvre-feu voudrait dire que le virus est plus contagieux à partir de 19h. «Pourtant c’est faux», ne tardera-t-il pas à s’exclamer, estimant qu’il n’y a pas de logique et que c’est juste pour avoir un effet dans les médias. A son avis, les autorités veulent donner l’impression qu’elles gèrent la situation, ce qui de son point de vue est faux. « Le coronavirus bouffe avant 19h aussi. C’est comme ça », finit-il par lancer, avant d’ajouter : « Ya woto », comme pour insister. L’expatrié est également d’avis que la population doit se sensibiliser et s’informer, même s’il reconnaît que c’est un défi pour les Burkinabè qui ont déjà plein d’autres choses dans la tête.

Z.S.

 

 

Encadré 2

Faut-il imposer la prise de la température ?

 

Çà et là, il y a des gens qui ne veulent pas toujours se soumettre aux mesures d’hygiène prises par certaines structures, notamment le lavage des mains, estimant qu’ils s’exposent davantage. D’autres se plaignent aussi du contrôle de la température avec le thermomètre laser. En effet, ils soulèvent des questions à savoir : est-ce que l’agent est habilité ? Est-ce que l’appareil est authentique ? Est-ce qu’il est conseillé par le corps médical ? Néanmoins, beaucoup n’en font pas un problème. « Sinon ce sont des données personnelles et nous pensons que c’était du ressort du corps médical mais en pareille situation on ne peut pas trop polémiquer », a indiqué Adama Maïga, agent de banque.

 

Z.S.

 

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut