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Coronavirus : Le monde s’effondre pour les commerçants

 

Mesure municipale dont l’annonce n’avait pas laissé indifférents bon nombre de Ouagalais, la fermeture de 36 marchés et yaars de la capitale est entrée en vigueur le 26 mars 2020, et ce, jusqu’au 20 avril prochain. L’objectif est sans détour : aider à freiner la propagation de la pandémie du Covid-19 au Burkina Faso qui a enregistré à la date du 25 mars 152 cas confirmés, dont 7 décès. Les marchés ciblés ont ainsi fermé leurs portes aussi bien aux clients qu’aux commerçants pour qui cet arrêt prolongé de leurs activités constitue un coup dur sans précédent. Constat.

 

 

 

Qui connaît le marché de Sankaryaaré sait que la journée, ce lieu de commerce de la capitale est habituellement bondé de monde. Mais en ce matin du 26 mars, on ne s’y retrouve pas, fermeture des 36 marchés et yaars oblige. Le parking est quasiment désert, les portes du marché, barricadées. De l’extérieur, les hangars vides de leurs occupants attirent vite l’attention. Des équipes de policiers et de gendarmes font la ronde. Quelques gérants de boutiques aux alentours, qui ne se sont pas sentis concernés par la mesure, sont sommés de mettre la clé sous le paillasson. «Nous faisons plus de la sensibilisation», nous fait savoir un flic, sous couvert de l’anonymat. Mais ce n’est visiblement pas le cas avec ceux qui font de la résistance : en effet, nous apercevons un véhicule des poulets chargé à l’arrière d’articles de tous genres.

 

Tenus à l’écart, loin de leurs boutiques et étals, certains commerçants se sont mis en groupuscules. Les mines froissées, bon nombre d’eux scrutent le vide quand ils ne prennent pas part aux discussions dont le principal sujet est l’interdiction de leur gagne-pain. «Nos autorités disent avoir ordonné la fermeture des marchés pour éviter la propagation de la maladie. C’est une question de santé publique, et nous ne pouvons que respecter la décision. Nous n’avons pas le choix, nous devons faire la politique de la perdrix qui dit qu’on ne pond des œufs que lorsqu’on est en vie», soupire désespérément une restauratrice qui venait d’être sommée de ranger ses plats. De l’avis de ce cette quinquagénaire, la mesure est salvatrice.

 

Comme annoncé quelques jours plus tôt, ce sont plusieurs autres marchés qui ont eu leurs portes fermées : Rood-Woko, le marché central de Ouagadougou, n’a pas été épargné. Alors que dans la matinée des occupants de boutiques ont voulu faire de la résistance, la police municipale a dû contraindre ces derniers à fermer, laissant désert ce point emblématique de grand rassemblement et poumon économique de la capitale. Autour de 11h, il n’y avait que les agents de sécurité des lieux, postés aux différentes entrées, ainsi qu’une équipe de l’Agence de développement économique urbain (ADEU), service chargé de la gestion des marchés et yaars de la ville.

 

 

 

« Nous aimons trop copier ce qui se passe ailleurs »

 

 

 

Si la fermeture des marchés est jugée compréhensible, bien des commerçants voient surtout leur monde s’effondrer, d’autant qu’ils en ont pour plusieurs semaines. «La plupart d’entre nous ici vivons au jour le jour. Mieux, nombreux sont ceux qui ont des familles à leur charge. Quand tu sors le matin, on t’attend le soir pour faire bouillir la marmite», dit Mahamadi Ouédraogo, vendeur de produits cosmétiques à Sankaryaaré. Pour cet acteur de l’économie informelle, c’est une décision qui ne s’adapte pas à nos réalités qu’a prise l’autorité communale : «Nous aimons trop copier ce qui se passe ailleurs. Pourtant, notre niveau de développement économique ne nous le permet pas. Ailleurs, on peut vivre de ses économies pendant des semaines, voire des mois. Mais ici, tant que tu ne sors pas, tu n’as pas de quoi te nourrir». Pour Abdoul Rasmané Sana, ne pas travailler pendant des semaines pourrait avoir les mêmes conséquences que souffrir du redouté Covid-19. «La faim est aussi une maladie», ironise, en effet, notre interlocuteur, pour qui résister pendant les trois semaines de marchés clos est  une équation à plusieurs inconnues.

 

C’est l’avis de plus d’un, la fermeture des marchés aurait été bienfaisante si elle était partielle. Et à ce sujet, les suggestions ne manquent pas : vendeur de sachets, Alassane Sawadogo estime que les autorités communales auraient mieux fait, en installant aux entrées des différents marchés et yaars des kits de lavage des mains au savon et à l’eau ou encore en dotant ces points d’approvisionnement de gel hydroalcoolique, tout en mettant l’accent sur la sensibilisation des populations. L’avis d’Abdoul Karim Manga est tout autre : pour ce vendeur d’appareils électroménagers à Zaabr-daaga, qui estime que l’autorité, en prenant cette décision, n’a pas tenu compte des dommages que subiront les acteurs de l’économie informelle, il aurait fallu accompagner les petits commerçants avec des allocations circonstancielles. Et d’expliquer par des interrogations : «Nous empruntons de l’argent auprès des banques pour travailler. Comment pourrons-nous le rembourser à la fin du mois ? Nous devons payer nos loyers et gérer nos familles. Où allons-nous trouver des sous pour cela ?»

 

 

«La situation est tenable pendant deux semaines»

 

 

Pour certains produits typiques, leurs vendeurs estiment qu’ils devraient bénéficier d’une dérogation : cas des légumes ou encore de la viande, dont les vendeurs sont impuissants face à la décomposition. Vendeuse de légumes à Zaabr-daaga, Farida Ouédraogo est au milieu d’un groupe d’autres femmes qui n’ont pas eu le temps d’enlever leurs stocks avant que le marché soit mis sous scellés. Pour la jeune dame,  autorisation devait être donnée aux commerçants de produits périssables d’écouler les derniers stocks, ne serait-ce que hors du marché,  même si elle est consciente que l’urgence du moment commande des mesures drastiques.

 

Contrairement à ce qu’estime plus d’un, les conséquences qu’entraînera la fermeture des marchés sont une préoccupation pour les autorités communales. C’est du moins ce que nous a fait savoir le directeur de l’ADEU, Edouard Bouda, qui, dans la matinée, a fait le tour de quelques marchés pour constater l’effectivité de la mesure. Et de nous faire savoir que sur 85 marchés que compte le territoire communal, l’arrêté du bourgmestre n’en concerne que 36. «Les trente-six marchés  concentrent les commerces de produits divers, notamment venant de l’extérieur. Les marchés qui restent ouverts doivent permettre aux populations de continuer à s’approvisionner, surtout en produits de consommation quotidienne. A en croire Edouard Bouda, la Chambre de commerce et d’industrie s’est attelée à évaluer l’impact économique de l’arrêt des activités dans certains marchés. Mais il croit savoir que la situation est tenable pour deux semaines.

 

 

 

Bernard Kaboré

 

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