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Suspension des prières dans les mosquées : Les victimes collatérales entre compréhension et désarroi

Une semaine après la suspension des prières dans toutes les mosquées afin d’éviter les grands rassemblements et par conséquent limiter la propagation du coronavirus, les fidèles gravitant autour de ces lieux de culte ne cachent pas leur désarroi. Vendeurs d’accessoires de batteries, d’objets de piété, voire de personnes qui vivent de la charité des usagers de ces édifices religieux sont unanimes quant à la nécessité de cette mesure voulue par la Fédération des associations islamiques du Burkina Faso (FAIB), à sa session extraordinaire du 19 mars 2020, même s’ils subissent de plein fouet ses revers.

 

 

Vendredi 27 mars 2020, 12h aux alentours de la grande mosquée de Ouagadougou, à quelques lieues du grand marché, poumon économique de la capitale ; les artères jouxtant ce lieu de culte, jadis bondées de monde à pareil moment sont quasi désertes. Pas de barricades comme on a l’habitude de le voir, pas de tapis de prière étalés sur le bitume et encore moins d’appel du muezzin quoique ce dernier aspect n’a pas été prohibé. Les entrées des quatre coins de l’infrastructure sont cadenassées. Seuls déambulent à l’intérieur, ceux chargés de veiller sur les locaux. Les boutiques, tout autour, elles, sont ouvertes. Devant ces étals, par petit nombre, on devise de tout et de rien et surtout du COVID-19 qui met tout sens dessus-dessous depuis son apparition au Pays des hommes intègres, le 9 mars courant. «M’sam biiga Wambi et Passek Taalé, que nous vaut l’honneur de votre visite », lance un des membres d’un quatuor à la vue du véhicule ciglé, comme pour nous dire qu’il affectionne la rubrique mythique du canard, ‘’Une Lettre pour Laye’’, paraissant les vendredis. Mahamadi Kaboré, après avoir tendu l’oreille, adhère à l’idée sans réserve. Vendeur d’accessoires de batteries depuis une dizaine d’années du côté ouest de la mosquée, c’est la première fois que celle-ci ferme ses portes, à l’écouter. Ce qui n’est pas sans conséquence sur son business. «Bien sûr que la suspension des prières collectives et son corollaire qu’est la fermeture de la mosquée a un incidence sur nos affaires. Presque tous les fidèles de la zone prient ici chaque jour, surtout les vendredis.

 

A l’occasion, certains fidèles peuvent être intéressés par nos articles, nous discutons et trouvons un point d’entente qui est favorable à chacun. Mais à présent, chacun est dans son coin, d’aucuns ne viennent même plus au grand marché puisqu’il est fermé également. C’est parce que nous ne voulons pas rester à la maison à nous tourner les pouces, sinon rien ne va. Les quatre ou cinq personnes que vous voyez sont tous des commerçants, nous pouvons deviser à longueur de journée jusqu’à fermer boutique sans le moindre sous », raconte Mahamadi Kaboré, peiné. Il ne jette la responsabilité de la situation sur personne si ce n’est au méchant virus qui est en train de tout bouleverser, un peu partout sur la planète terre. Mais dans sa foi en Dieu, il croit que «rien ne surprend Dieu » et que c’est ce même «Dieu qui a le remède à tout».

 

El hadj Mahamadi Sourwila, lui, est détenteur d’une boutique d’objets de piété. Autrement dit, il y vend des tapis de prières, des bonnets, des boubous, des babouches, des chapelets, des Corans, des parfums, pour ne citer que ceux-là. «Nos articles ne sont pas comestibles. D’ordinaire, ils ne s’arrachent pas comme de petits pains. Quelqu’un qui n’a pas mangé à satiété ne songe pas à se les procurer. La tendance actuelle, comme c’est le cas ailleurs, c’est la ruée vers les produits de première nécessité (le riz, l’huile, le sucre, etc.). Mais avec cette décision de fermeture, il va sans dire que le nombre de ceux qui nous fréquentent va diminuer. Et s’il n’y a pas de fréquentations, nous ne pouvons pas aussi espérer rentrer à la maison avec quoi que ce soi », explique celui qui est également membre du comité de gestion de la grande mosquée. Face à cette situation qui nous est tombée dessus et  qui ronge sérieusement l’économie burkinabè et celle mondiale, son seul souhait est que les choses redeviennent à la normale dans les plus brefs délais.

 

Gardien la nuit, mendiant le jour

 

Devant l’entrée d’une des boutiques enserrée de grosses chaînes sont couchés, Saïdou Tougouma et un autre vieillard. Il fait du gardiennage dans un service aux environs du Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO). Cette activité qu’il mène depuis une dizaine d’années n’est pas à temps plein : «Nous nous relayons, j’y vais souvent pour trois ou quatre mois et la période d’après, c’est une autre personne qui me remplace », indique ce père de famille qui dit avoir des difficultés pour entrer en possession de son dû. Il y a déjà fait près de trois mois, sans avoir reçu un copeck. Mais avec optimisme, un de ses collègues et lui se rendront dans leur boîte, dans cinq jours, dans l’espoir de voir régulariser leur situation. En attendant, il est aux portes de la mosquée du lundi au vendredi qu’il ne quitte qu’à 17h, prie avec ses coreligionnaires et bénéficie de l’aumône que certains consentent à lâcher. Les pièces de 10, 25, 50 francs CFA, glissées dans sa sébile, lui servent à assurer sa pitance quotidienne. «Nous ne gagnons plus rien d’ailleurs avec cette fermeture. Nous avons ouï dire que la mosquée rouvrira ses portes mais ne savons pas quand est-ce que cela va intervenir exactement », affirme-t-il. Selon les termes du communiqué de la FAIB, sa batterie de mesures entrées en vigueur depuis le 20 mars courent jusqu’au 4 avril, avec la précision qu’elles sont susceptibles d’être revues en fonction de l’évolution de la situation. A quelques mètres du vieux gardien, un autre groupe de compagnons d’infortune attend désespérément la providence des passants qui «eux-mêmes doivent se chercher».

Exit la mesure de distanciation sociale

 

Dans la Zone d’activité commerciale et administrative (ZACA) trône la mosquée de la communauté sunnite. Là, la voix du muezzin fend les airs à 13h moins le quart. Pendant que certains, munis de bouilloires, font leurs ablutions pour sacrifier au rituel, d’autres, par petit nombre de cinq, six, sept sont déjà dans des génuflexions ou des prosternations devant ou dans leurs commerces. On ne se préoccupe pas de la mesure de distanciation sociale qui voudrait qu’il y ait un écart d’un mètre ou un mètre et demi entre deux personnes. Est du premier groupe, Abdoul Wahab Ibrahim. Vendeur de livres saints, de cassettes de prêches, entre autres, il dit avoir reçu la visite d’un seul client depuis le lever du jour. Ce qui contraste des jours où la mosquée vivait en plein régime. «Les vendredis, nos espaces ne peuvent jamais être aussi calmes et moroses. A ces périodes d’affluence, on finit même souvent par demander l’indulgence de nos clients pour accomplir la prière, puisque nos boutiques ne désemplissent pas. Et après nos affaires reprennent de plus belle. Mais compte tenu de cette situation de fermeture due à la maladie, personne n’a enregistré dix clients jusque-là », soutient ce monsieur à la barbichette, visiblement bien peignée.

 

Adossée au mur du siège de l’ex-parti majoritaire, Mariam Barry s’abrite des rayons du soleil, déjà cuisants, en attendant que la chance lui sourisse à nouveau. Dans son seau, un pagne et une boîte qui ne contient que 100 francs CFA. C’est ce qu’elle a reçu d’une bonne volonté depuis ce matin. «Puisse Dieu nous venir en aide, les choses se compliquent de plus en plus avec cette maladie qui n’a toujours pas de remède et il est bon que chacun prenne ses précautions pour s’en prémunir. Que les gens restent chez eux afin qu’il n’y ait plus de personnes atteintes. En cela, la fermeture de la mosquée est normale même si nous comptons sur le geste des fidèles et de toute autre personne pour notre subsistance », déclare-t-elle avec l’espoir que le pays retrouve sa sérénité d’antan.

   

Aboubacar Dermé

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