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Réouverture des écoles : « Il faut y aller sinon une année blanche nous mènerait vers un gouffre » (Hector Ardant Raphaël Ouédraogo, président de l’Union nationale des parents d’élèves du Burkina)

Initialement annoncée pour le 28 avril 2020, la réouverture des écoles suite à leur fermeture depuis le 16 mars 2020 pour cause de Covid-19 se fera de façon progressive à partir du 11 mai selon un calendrier élaboré par le gouvernement. Mais dans un contexte de pandémie, de nombreuses personnes restent sceptiques quant au respect des mesures barrières dans les écoles pour éviter la propagation. Mais pour certains, comme le président de l’Union nationale des parents d’élèves du post-primaire, du secondaire et du supérieur du Burkina, par ailleurs Secrétaire général de l’internationale des parents d’élèves, Hector Ardant Raphaël Ouédraogo, il faut y aller pour éviter une année blanche. Dans une interview qu’il nous a accordée  le mercredi 29 avril, il salue cette décision du gouvernement tout en l’interpellant sur un certain nombre de difficultés à résoudre au préalable comme la mise à disposition des moyens de lutte contre la maladie, la réorganisation du système éducatif marqué par des effectifs pléthoriques dans les classes, pourtant restreintes.

 

 

Après le rendez-vous manqué du 28 avril, le gouvernement a encore annoncé un nouveau calendrier pour la reprise des cours ? Etes-vous optimiste quant à l’effectivité de cet agenda ? 

 

Je souhaite d’abord me prononcer sur la date du 28 avril, qui avait été annoncée par le ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales. De notre point de vue, en notre qualité de président de l’Union nationale des parents d’élèves, nous pensions qu’elle n’était pas la bonne. A cet effet, nous avions adressé un courrier au ministre pour lui exprimer nos préoccupations, nos inquiétudes par rapport à cette échéance qui ne semblait pas tenable. Maintenant, pour ce qui est du nouveau calendrier annoncé par le gouvernement, c’est un agenda qui ne prend malheureusement pas en compte les examens scolaires. Il s’agit juste d’un calendrier de reprise des cours suite à la fermeture des écoles depuis la date du 16 mars 2020. Selon cet agenda, il y aura, d’abord, une rentrée administrative le 4 mai prochain (Ndlr c’est-à-dire aujourd’hui), ensuite, une reprise pédagogique le 11 mai qui va concerner le CM2, les classes de 3e, les élèves en fin d’année BEP (Brevet d’étude  professionnel), CAP (Certificat d’aptitude professionnelle) et des Terminales. En ce qui concerne les classes intermédiaires, la reprise est fixée au 25 mai prochain. C’est donc une rentrée programmée de façon progressive. Et nous, en notre qualité de parent d’élèves, nous ne pouvons que nous réjouir de cette situation, de ce nouveau calendrier, en espérant que les dispositions sanitaires édictées par nos plus hautes autorités seront bien respectées, notamment les gestes barrières et la distanciation sociale.

 

Quand vous parlez de respect des gestes barrières et de la distanciation sociale, est-ce du ressort du gouvernement, des enseignants ou des élèves ?

 

C’est d’abord ce que les autorités proposent. Et comme vous le savez, elles proposent de mettre à la disposition des écoliers, élèves et étudiants des masques lavables, en respect avec les normes de l’Agence nationale de normalisation (ABNORM). Nous osons espérer que cela va tenir. Nous osons  aussi espérer que des lave-mains seront mis à la disposition de tous les établissements afin qu’ils puissent respecter les mesures prises. Nous osons enfin espérer que les solutions hydro-alcooliques et savons seront mis à la disposition des élèves et que ces derniers entre eux pourront respecter les gestes barrières et la distanciation sociale. Mais nous sommes tout de même sceptiques lorsqu’on connaît les grands effectifs des salles de classes. Selon les normes, on ne devrait pas, en principe, excéder les 40 à 45 élèves par classe. En outre, les dimensions de nos salles sont très réduites. Donc quelles que soient les dispositions qui seront prises dans le but de respecter cette distanciation sociale, que ce soit le système de double ou de triple flux, nous pensons que cela va être vraiment difficile. Mais nous, parents d’élèves, nous nous tenons prêts à accompagner les autorités afin que l’objectif que nous poursuivons, à savoir donner une éducation de qualité à nos enfants, soit réellement atteint.

 

Alors, quelles sont vos propositions en tant que parents d’élèves pour une éducation de qualité en temps de coronavirus ?

 

Il est difficile de faire des propositions lorsque l’on connaît les effectifs dans nos écoles. Au niveau du primaire, par exemple, à Bobo-Dioulasso, on note une surpopulation dans certains établissements primaires publics. Il y a des écoles qui ont des effectifs de 150 à 200 élèves par classe.  C’est le cas de l’école Koua. H. par exemple. Alors comment, dans un tel contexte de sureffectif, respecter les gestes barrières ? Mais il faut franchement qu’on observe, au niveau sanitaire, la courbe de la pandémie pour savoir à partir de quel moment elle sera inversée, au point de permettre une reprise, sans trop de soucis, sans encombres, ce processus de réouverture des salles de classes. Ce que nous proposons, c’est surtout de respecter les gestes barrières, la distanciation sociale, avec de petits effectifs. Sans cela, ce sera difficile d’éviter la propagation de la maladie.

 

Comment fait-on alors ? 

 

Tout comme vous, je m’interroge. Même dans une salle de classe où vous avez 40 à 45 élèves, selon les normes requises par le système éducatif, il va falloir respecter le système de double flux, respecter les gestes barrières, sinon même pendant la récréation ou les interclasses, il y a un brassage entre les élèves, chose qu’on voudrait éviter, et à supposer qu’il y ait un cas de COVID-19, ça va être la propagation rapide qui donnera lieu à une véritable catastrophe.

 

On ne rouvre donc pas les classes dans ces conditions?

 

Il faut cependant rouvrir en essayant de réorganiser le système, tout en revoyant les effectifs, de travailler avec les enseignants, les autorités du MENAPLN de telle sorte qu’il y ait de petits effectifs pour éviter la surpopulation dans les établissements afin de permettre le respect des gestes barrières et surtout de la distanciation sociale, de mettre en place les lave-mains et les bavettes.

Mais il faut y aller, car une année blanche au Burkina nous amènerait vers un gouffre au point de sacrifier une génération tout entière.

 

Que pensez-vous de l’idée de suivre les cours à la télé ou à la radio ?

 

Depuis la fermeture des écoles le 16 mars, pour freiner la propagation du COVID-19, les élèves sont laissés à eux- mêmes. Pour les plus chanceux, ce sont les parents qui assurent les révisions. Pour ceux en classe d’examens (CM2, 3e et Tle), une chaîne de télévision diffuse chaque jour cinq heures de cours en direct. A ce sujet d’ailleurs, parents, enseignants et élèves sont en discussions pour sauver l’année scolaire. Nous pensons que cette mesure est salvatrice et novatrice mais ne concernera qu’une certaine classe sociale. Elle ne pourra pas concerner tous les enfants du Burkina. Beaucoup n’ont pas accès à la radio ou à la télé et encore moins à Internet.

Nous sommes en train d’expérimenter l’enseignement à distance au Burkina, mais nous ne pensons pas que ce soit une vraie panacée pour pallier l’enseignement en présentiel.

Depuis le 16 mars 2020, plus de 128 millions d’élèves à travers le monde sont privés d’enseignement en présentiel dans le monde selon les chiffres transmis par l’UNICEF. Au Burkina, ce sont plus de 4 900 000 élèves qui en sont privés, soit 4 500 000 dans l’enseignement général, 300 000 dans l’enseignement technique et environ 200 000 dans l’enseignement professionnel. Pourtant seulement 19% ont accès à Internet. L’idée de travailler à distance par les canaux de la télévision, de la radio ou de WhatsApp  est géniale ; malheureusement cela va entraîner une fracture sociale entre les élèves, car il y a une inégalité socio-économique. C’est certes une solution palliative mais pas du tout la panacée.

 

Les parents d’élèves ont-ils été associés à l’élaboration du nouveau calendrier et aussi des mesures prises pour accompagner la reprise des cours ?

 

Nous avons été contactés par le MENAPLN le 8 avril 2020 dans la soirée pour une rencontre d’information et d’échanges le 9 avril.

Pour être tout à fait clair et complet sur ce sujet, il s’est agi  plutôt d’une rencontre d’information. Nous n’avons pas été impliqués dans les travaux avec le MENAPLN. Quand je dis nous, il s’agit du  Conseil national des associations des parents d’élèves du primaire et de l’Union nationale des parents d’élèves du post-primaire, du secondaire et du supérieur du Burkina que j’ai l’honneur de présider. Je répète que nous n’avons pas été associés. Il s’est agi tout simplement d’une rencontre, d’une invitation pour informations où on nous a remis des documents comme si on voulait tout simplement l’adhésion des parents d’élèves, leurs accompagnement et pas dans le but de discuter afin de trouver un consensus

 

Avez-vous manifesté votre mécontentement face à la situation?

 

On a été le lendemain, le 9 avril 2020, à la rencontre. Le ministère avait promis de nous revenir. Mais jusqu’à présent où je vous parle, on n’a pas été recontacté. Je rappelle que, dans un premier temps, c’est le 14 avril qui a été retenu. Quand nous avons eu la rencontre avec le ministre, une nouvelle date, celle du 21 avril, a été retenue. Quand le ministre s’est rendu compte que le 21 avril n’était pas tenable, il a parlé d’une nouvelle autre date, le 28 avril.

Pour tout vous dire, nous avons adressé des correspondances au ministre avec accusé de réception. Notre message était que nous n’étions pas favorables à la réouverture des classes annoncée pour le 28 avril. Pour nous, on n’allait pas avoir suffisamment de masques, de dispositifs de lavage  des mains, de boules de savons pour que la rentrée des classes soit effective à cette date. Nous avons été clairs sur le sujet. Ce sont deux correspondances que nous avons adressées au ministre de l’Education nationale pour exprimer notre vive préoccupation, notre inquiétude par rapport à la date du 28 avril. Nous nous réjouissons que cette date n’ait pas été retenue, car, de notre point de vue, elle n’était pas du tout tenable. Nous l’avons dit de façon claire et nette dans nos différentes correspondances.

 

Les documents qu’on vous a remis le 9 avril, il s’agissait de quoi exactement ? C’est ce qui a été publié récemment ou bien c’est tout autre chose ?

 

Les documents qui nous ont été transmis ce jour là, c’était par rapport au plan de riposte proposé par le ministère de l’Education nationale pour une réouverture prochaine des classes. Dans ce doucement, il a été clairement dit  qu’il y aurait l’acquisition des masques pour un montant de 3 000 000 000 de nos francs. L’achat des boules de savon  coûtaient 2 852 000 000 FCFA. Voilà ce que nous avons pu relever dans ces documents. Mais, en aucun moment  l’Union nationale des parentes d’élèves du post-primaire, du secondaire et du supérieur du Burkina (l’UNAPSB)  ni le CENAPEP n’ont été associés aux démarches entreprises dans le but de rouvrir les classes.

 

Si vous aviez été associé, quel aurait été votre apport ?

 

Si nous l’avions été, nous aurions discuté avec les différents partenaires et nous serions parvenus certainement à un consensus. De toute façon, ce que nous avions à proposer est contenu dans la correspondance adressée. Il s’agit d’une reprise progressive des cours avec les classes d’examen, ensuite des classes intermédiaires. Mais avant tout cela, nous avions dit qu’une rentrée administrative était un impératif.  Nous avions même dit que l’année scolaire 2019-2020 soit validée à partir des évaluations des deux trimestres écoulés. Nous avons préconisé qu’on mette en place un système de rattrapage des programmes non achevés. Nous avons aussi proposé d’organiser les différents examens scolaires dès que la pandémie sera maitrisée en veillant à ce que les épreuves portent sur les programmes déjà exécutés. Autre solution proposée, c’est annuler les examens 2019-2020 en les remplaçant par le bilan de notes de contrôles des deux dernières années, à savoir les classes des CM1 et CM2 ;  de 4e  et de 3e ; de 1re et de terminale. Ces propositions sont dans la correspondance adressée au ministère de l’Education. Mais il y a un adage qui dit ceci : «Lorsqu’on vous donne la parole pour éclairer une certaine opinion et que vous ne le faites pas, vous êtes considérés comme  un insensé. Mais lorsque vous prenez la parole et que vous ne dites pas toute la vérité, rien que la vérité, vous êtes considérés comme un corrompu, un imbécile». Mais comme je ne voudrais pas paraitre ni comme un insensé ni comme un corrompu encore moins un imbécile, alors vous aurez compris que c’est un devoir pour moi, en tant que responsable de la faîtière, de vous dire la vérité, toute la vérité et rien que toute la vérité.

 

Dans vos propositions, vous suggérez que les examens soient organisés une fois la pandémie maîtrisée. Sauf qu’on ne peut pas dire quand on pourra maitriser le virus…

 

A l’heure actuelle, il faut qu’on se dise que la pandémie ne disparaîtra pas de sitôt. Il faut que nous nous fassions une philosophie  et que nous nous disions qu’on va désormais vivre avec le coronavirus.  Mais en vivant avec le virus, nous pouvons faire en sorte d’organiser les examens. Cela est bien possible. Nous avons des spécialistes en matière de santé qui suivent l’évolution de la pandémie et donnent au quotidien les différents indicateurs, les statistiques. En développant des stratégies, nous devons vivre avec le virus et travailler à atteindre les objectifs qu’on souhaite.

 

L’année scolaire pourra donc être sauvée?

 

Il est impératif qu’on sauve l’année scolaire au Burkina. Je suis de ceux qui pensent de la façon la plus ferme qu’il faut sauver l’année scolaire. Si vous regardez les derniers chiffres que le gouvernement a publiés par rapport à la pandémie, vous verrez que la courbe est en train d’être inversée. Le problème au niveau du Burkina, c’est que les échantillons prélevés pour les analyses sont infimes. Cela nous amène à douter de la fiabilité des chiffres et aussi à douter de l’inversion de la courbe. Mais je me dis qu’il faut être optimiste. Et moi j’ai toujours été un partisan de l’optimisme. C’est ce qui m’amène à penser qu’on pourra sauver l’année scolaire parce que le contraire serait catastrophique.

 

 

 

Alima Séogo/Koanda

Ebou Mireille Bayala

Dernière modification lemardi, 05 mai 2020 22:23

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