Menu

Projecteur : Des amours félines

Pourquoi les chats, ces félins au regard magnétique, à la robe soyeuse et à la vie solitaire sont-ils les animaux de compagnie préférés des écrivains ? Petite excursion dans ces amitiés entre la plume et le matou. Projecteur s’offre un sujet léger en temps de déconfinement.

 

 

Les sujets ne tombent pas du ciel comme la pluie, ils surgissent à l’improviste tels des fauves en chasse et vous sautent dessus. Ainsi s’est amené celui-ci.  Un soir de grand ennui, dans une ville étrangère, nous nous sommes retrouvé sur la terrasse d’un grand hôtel de Niamey  au bord du fleuve Niger. Leurs brochettes de capitaine lors de mon précédent passage nous avaient semblé être les meilleures que nous ayons jamais goûtées.

Dans l’attente du service, en grignotant des amuse-gueules tout en ôtant les brides à l’esprit, celui-ci se mit à gamberger. Se posant sur un objet, puis sur un autre comme on sauterait d’un îlot à l’autre pour traverser une place inondée, heureux de danser dans les airs et effrayé par une chute probable.

C’est ainsi que le voile s’est déchiré, et nous avons découvert que tout dans ce lieu était du toc. La terrasse sablonneuse était plantée de rôniers pour faire croire qu’on était à la plage. Les brochettes étaient succulentes parce que nous venions en compagnie d’un ami et elles avaient le goût de l’amitié. Ce soir-là, sans le compagnon, elles étaient fades comme des morceaux de matelas mousse. Et les clients ? Un théâtre d’ombres avec des hommes et des femmes qui jouaient tantôt aux couples romantiques, aux hommes d’affaires, aux travailleurs infatigables qui pianotent sur leur ordi tout en enfilant des verres de punch. Tout était faux. Sauf les chats entre les tables, silencieux et majestueux dont les prunelles luisaient dans la nuit.

Et il nous est venu dans la tête le nom de Baudelaire et son amour des chats, et puis quelques bribes de son poème Les Chats : «Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin, /Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques ». De fil en aiguille, s’est imposée la question de la relation entre les écrivains et les chats. Il est dit qu’au temps des moines copistes déjà, ceux-ci les prenaient comme compagnons pour éloigner les rongeurs de leurs manuscrits.

A toutes les époques, des auteurs ont eu pour compagnons des chats : Victor Hugo, dont le chat Chanoine figure en bonne place dans le dictionnaire des chats célèbres, disait que Dieu avait créé le chat pour que l’homme puisse caresser un tigre tout en restant dans son salon ; Colette aussi en avait fait ses fidèles compagnons et avait même écrit des livres dont les personnages étaient ses chats comme La Chatte ou Dialogue de bêtes ;

Louis Ferdinand Céline, l’auteur du Voyage au bout de la nuit, avait aussi un chat, Bébert, qui apparaît dans le Voyage sous les traits du petit garçon malade. Ce misanthrope, en accolant  au nom de son chat une âme d’enfant, suggérait-il que ces félins méritaient de prendre la place des humains ?

On peut aussi évoquer Ernest Hemingway, connu pour son amour pour la boxe, les corridas et les armes à feu mais dont la maison était peuplée de chats polydactes, c’est-à-dire à six doigts. A sa mort, le Nobel de littérature a légué sa maison à sa tribu de chats à six doigts.

Des auteurs africains, il y en a peu qui expriment leur amour pour les chats ou les inscrivent comme des personnages de leurs fictions. Pourtant le bestiaire est très florissant dans les littératures d’Afrique. Toutefois, nous avons découvert un titre, Chakozy, un drôle de chat, du Malien Aboubacar Eros Sissoko. C’est une fiction sur un chat qui se lance à la conquête de la présidence de la république. Comme un conte moderne.

Patricia Highsmith, l’auteure de thrillers à succès comme l’Inconnu du Nord Express, plusieurs fois adapté au cinéma, a peut-être résolu l’énigme de cette passion que les écrivains nourrissent pour ces félidés. Dans des Chats et des hommes, elle écrit : « Un écrivain n’est jamais seul avec un chat, tout en étant suffisamment seul pour pouvoir travailler ».

Le chat plaît aux écrivains parce qu’il aime la solitude, est taiseux et, comme l’écrivain, très casanier. Il peut rester des heures  sans bouger comme s’il attendait qu’une lumineuse idée le visite. Comme disait William Burroughs dans Entre chats, l’écrivain et le chat sont des frères siamois !

Cette amitié a donné une immense littérature sur les chats, avec des chats comme personnages et même des chats comme narrateurs. En plus d’alléger la solitude de l’écrivain, le chat l’inspire-t-il ? Sans aucun doute  pour Aldous Huxley qui conseillait :

« Si vous voulez devenir écrivain, ayez des chats. »

 

Saïdou Alcény Barry

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut