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Réouverture des maquis et bars : Lever de coude à la mode distancia

 

 

Après une fermeture d’une cinquantaine de jours, certains bars et maquis sont autorisés à faire couler de nouveau la bière à partir du 15 mai 2020 dans des conditions bien définies par le ministère du Commerce : c’est désormais en mode distancia que les clients trinqueront dans les débits de boissons ; en plus, le port du masque est obligatoire, les pistes de danse interdites, on doit observer la réduction du nombre de clients à l’intérieur, etc. Sans argent et en proie à de multiples équations financières, c’est sans passion et avec un maigre espoir que les tenanciers préparent la reprise de leurs activités. Constat fait les 13 et 14 mai 2020.

 

 

 

 

48 heures avant l’ouverture des bars et maquis, puis la veille nous voici en tournée pour constater les préparatifs dans la capitale : à Sport bar à Gounghin, à Zama Chapelle au cœur de la ville, la moisson fut infructueuse. Peu avant midi, nous nous tenons au beau milieu de l’atypique quartier Koulouba, au bout de la rue Guillaume-Ouédraogo. Pour les inconditionnels du coin, pas besoin d’en dire plus. Nous sommes sur les installations du mythique Boulougou bar ; existant depuis 63 ans et ayant fait ses beaux jours dans la capitale, jamais il n’avait mis la clé sous le paillasson pendant une si longue durée : 55 jours. Mais c’était avant que la bombe covid 19 ne tombe, mettant tout sens dessus dessous. La situation obligeant, 43 employés y sont mis au  chômage technique.

 

Dans ce bar dancing légendaire, seule une porte est entrouverte. Un vigile veille au grain sur le bâtiment à l’ombre d’un kiosque. Après que nous avons pris langue avec lui, la face bien cachée par son masque, il nous marmonne quelque chose du genre : « Le gérant n’est pas là ». Pour une rencontre improbable, c’en était une ! Alors que nous nous apprêtons à tourner les talons, il nous interpelle : « Voyez ce monsieur qui se gare là-bas, lui pourra vous aider ».  

 

Celui-ci n’est autre que le maître actuel des lieux. Après les civilités, tout coulera comme la bière. Sans protocole, il nous installe à l’intérieur du bar, où règne un véritable désordre pour travaux. Le sol contraste avec les parois, qui ont refait peau neuve il y a visiblement pas longtemps. Une épaisse couche de poussière rougeâtre couvre le sol carrelé. Par endroits, les araignées ont eu le temps de tisser leurs toiles, les chaises et les tables sont  renversées...

 

Ce décor chaotique est presque commun aux débits de boissons qui ont baissé les stores depuis le 25 mars. Dans la vaste enceinte du maquis Nong-Taaba de Zagtouli, quartier à l’ouest de Ouaga, on constate quasiment le désordre : poussière, chaises renversées, des sachets qui pullulent… Ici aussi, le maître de lieux et un de ses collaborateurs font la ronde afin de se préparer à la réouverture le vendredi 15 mai après plus de deux mois de fermeture. C’est cinquante personnes qui gagnaient leur vie dans cet espace de réjouissances qui ont été renvoyées chez elles : serveuses, plongeurs et caissiers pour ne citer que ceux-là.

 

Même si c’est sans passion qu’ils s’apprêtent à reprendre leurs activités, ils font tout pour se plier aux exigences du gouvernement. Et pour ce faire, un protocole qu’ils ont obtenu du ministère de Commerce les oblige à disponibilser des kits de lave-mains, du gel hydro-alcoolique, à interdire les danses, à réduire le nombre de places, etc.

 

Le gérant du Boulougou bar, Hamadou Babi, mince et le crâne bien rasé assure : « Tout est mis en œuvre pour une réouverture le vendredi 15 mai. Je viens de ce pas de la mairie pour la désinfection des lieux. Le rendez-vous a été pris pour jeudi matin», a expliqué le gérant.

 

 Sibiri Ouédraogo, propriétaire du maquis Song-Taaba, qui a déjà acquis tout ce qui est recommandé afin de limiter la propagation de la maladie entre consommateurs  et employés,  promet surtout de mettre l’accent sur la propreté des verres utilisés. Aussi, il ajoute qu’il attendait de voir si la mairie désinfecterait son local. Mais si tel n’est pas le cas, il s’en  occuperait lui-même.

 

Après cette traversée du désert, chacun des promoteurs fait de son mieux pour alléger ses charges lors de cette reprise.

 

Certains maquis et bars annoncent un dégraissage de leurs personnels. C’est le cas de Sport bar, selon certains de ses employés, qui compte ramener le nombre de ses serveuses de 60 à 20. Mais Boulougou bar procédera autrement et dit miser sur un nouveau programme qui permettra une rotation de ses employés.

 

 

 

Deux millions de manque à gagner

 

 

 

C’est peu de dire que bars et maquis ont traversé une période de turbulences dont les signes avant-coureurs ont été les premiers moments de l’instauration du couvre-feu. « C’était déjà le calvaire, et cela s’est accentué avec la fermeture complète des maquis », soutient Sibiri Ouédraogo. Les pertes se chiffrent à des millions. Sans en donner un montant exact, le gérant de Boulougou, Hamadou Babi, reconnaît que pour un maquis de la trempe du leur,  le chiffre d’affaires a considérablement baissé. « Pour la période mars, avril, qui est celle de la grande affluence, on a perdu énormément comparativement aux années antérieures », a-t-il déclaré. Sibiri Ouédraogo, lui, chiffre ses pertes, avec cette pandémie à covid 19, à plus de 2 millions de F CFA.

 

Mais il n’y a pas que les tenanciers des débits  de boissons qui ont broyé du noir lors de cette traversée du désert qui a duré plus de deux mois : Estelle Apèwè, une jeune de taille moyenne, d’une forte poitrine et mère de trois enfants, qui est une employée du Boulougou, venue s’assurer de l’ouverture vendredi de son lieu de travail, nous conte son calvaire de mère célibataire renvoyée chez elle pour cause de fermeture de leur maquis. (Lire encadré). A cette période difficile, certains responsables de bars et maquis ont été solidaires de leurs employés : pour certains,  c’était un demi-salaire, pour d’autres le salaire d’un mois. Au maquis Nong-Taaba de Zagtouli, chacun en a eu en fonction de son salaire mensuel : ainsi, ils ont perçu entre 20 000 et 40 000 francs.

 

Un tient vaut mieux que deux tu l’auras, dit-on. L’ouverture déjà, ce n’est pas mal. Les tenanciers des bars voient en cela une lueur d’espoir. « A mon avis, l’ouverture de nos lieux de travail vaut mieux que rien. Seulement que les  autorités songent à lever le couvre-feu », fait remarquer Sibiri Ouédraogo du maquis Nong-Taaba de Zagtouli.

 

Cependant, ils appellent à leur tour les autorités à l’aide concernant certaines charges, notamment les redevances des factures d’électricité et d’eau. « La gratuité de l’électricité ne nous concerne pas et avec nos ampérages, ce n’est pas simple, surtout que nous n’avons pas fait de recette depuis deux mois », a souligné monsieur Ouédraogo.

 

Mais pour certains grands maquis et boîtes de nuit, l’attente va encore durer plus d’un mois, jusqu’au 30 juin, puisqu’ils ne sont pas autorisés à rouvrir. C’est le cas du Ying-Yang de la rue Wemba Poko.

 

 

 

 Lévi Constantin Konfé

 

& Félicité Zongo

 

 

 

Encadré 

 

 

 

                                                             «J’ai eu chaud»

 

                                                                           

 

« J’étais de passage pour m’assurer de l’effectivité de la réouverture des maquis ce 15 mai, et mon patron a bel et bien confirmé cette date. L’ouverture est conditionnée à beaucoup de mesures d’hygiène.

 

Pour être sincère, j’ai vraiment eu ‘’chaud’’, et je pense qu’il en est de même pour toutes les serveuses et employés des maquis et bars en cette période de coronavirus. Nous vivons de ce travail. Et avec la fermeture de nos lieux de travail, on n’a rien reçu. Avec mon bailleur, c’est un casse-tête. J’ai deux mois d’arriérés de loyer. Les autorités ont bien dit de rester chez soi, et je suis restée chez moi dans la faim. Une serveuse vit de pourboires et de son travail. Maintenant que tout est fermé, mon patron ne peut non plus me payer. J’ai entendu dire qu’il y a des dons que les autorités ont faits. Mais je ne sais pas si mon patron en a reçu. Je n’ai toujours rien eu en tout cas.

 

Au passage, je remercie le gouvernement pour la gratuité de l’eau et de l’électricité durant les 3 mois. Si le 15, ce n’est pas effectif, on va marcher».

 

 

 

F.Z.

 

 

 

 

 

Encadré 

 

 

 

 Une demi-brique pour garder les Togolaises

 

 

 

Si pour les nationaux ça été très compliqué, chez les personnes étrangères, ça l’est encore plus ; quant aux employeurs des personnes d’autres contrées, cela s’apparentait à des patates chaudes dans leurs mains. « Il faut les garder et les nourrir tous les jours, car si tu les renvois, une fois la mesure levée, pour reconstituer le personnel, ce sera un autre problème. On était obligé de les prendre en charge durant toute la période difficile », a indiqué Norbert Compaoré.

 

Même avec l’aide des employeurs, ce fut une traversée du désert pour ceux et celles qui ont franchi des frontières pour se retrouver au Burkina. « On a trop souffert pendant ces deux mois. Ce fut très compliqué surtout avec la fermeture des frontières terrestres qui nous empêchait de rentrer chez nous. C’était un problème général, on n’y pouvait rien », a témoignéRachida Bilabina, Togolaise et serveuse au Papyrus de Zagtouli. Pour garder ses serveuses, une trentaine, le patron du Papyrus a déboursé 500 000 francs pour les aider à traverser la période difficile.

 

 

F.Z.

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