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Les humeurs de Barry : Les audios de Béouindé nous ont «tuer»

 

J’avais une amie qui, en guise de préalable à toutes nos rencontres, se plaisait à me dire qu’elle espérait bien que je n’enregistrais pas nos échanges. Cela fait une bonne dizaine d’années maintenant, et cette question me paraissait incongrue. Tout ça parce que j’avais le malheur d’être journaliste, me disais-je. Cette suspicion m’agaçait en effet, et je ne manquais pas de lui rappeler qu’il est des moments de notre vie où nous avons intérêt à oublier notre profession, ne serait-ce qu’une heure sur les 24 qui composent le jour.

 

 

Si nous éprouvons une certaine délectation professionnelle à lever le lièvre, nous nous devons à certains moments d’éviter d’en chasser deux à la fois, sous peine de tout perdre. Il est des esprits tordus qui pensent que le voyant rouge de l’enregistreur du scribouillard est allumé en non-stop, même sous la couette. Parbleu, nous ne sommes pas des désincarnés ! Qu’on nous prenne un peu au sérieux !

 

Mais depuis ces fameux enregistrements étalés sur la place publique et où le maire de la ville de Ouagadougou a failli se faire plumer par un magistrat et un entremetteur, mes pensées, reconnaissantes, se sont envolées vers ma méfiante amie des années 2000. D’autres enregistrements impliquant notamment le conseil spécial du président Adama Kanazoé, et un de ses « partenaires au développement » ont suivi, ce qui a fini par faire du téléphone portable une arme de destruction massive dont il faut se méfier au plus haut point. Attention au coup de son mortel ! Panique dans les rangs. En atteste cette correspondance, tout ce qu’il y a d’officiel, du maire de l’arrondissement 10 de la ville de Ouagadougou : « Note de service / À l’attention des usagers service / Le maire de l’arrondissement 10 a l’honneur d’informer les usagers qui demandent audience que désormais, un tableau mural a été conçu pour déposer leur téléphone portable avant d’entrer dans le bureau du maire. Le téléphone leur sera restitué après l’entretien. Tout en comptant sur la compréhension de tous, tout usager est tenu au respect strict de cette instruction / Signé : le maire Jérémie Sawadogo ».

 

Aujourd’hui, plus que jamais, il faut montrer patte blanche sur les lieux de rendez-vous avant que les langues ne veuillent bien se délier. A l’accueil ou à la guérite de sécurité, le visiteur se doit de se délester de ses appareils. Il ne fait plus bon de déposer de façon ostensible ses clinquants gadgets sur la table de discussions ni même se gratter en dessous de la ceinture. Ça peut paraitre suspect en effet. Opérateurs économiques, politiciens, journalistes, séducteurs impénitents et dealers de tout poils, vous êtes prévenus.  Arrivera bientôt le jour où l’on demandera aux dames de défaire leur chignon pour s’assurer qu’un éventuel enregistreur n’y est pas dissimilé. Pour emprunter à la célèbre phrase à l’orthographe incorrecte «Omar m’a tuer»  liée à l’affaire Omar Raddad (1), je dirai que «les audios de Béouindé nous ont tuer».

 

Mais est-ce la solution ? Je ne pense pas. James Bond est déjà passé par là. A l’heure de la nanotechnologie, où montres, bracelets, bagues de mariage ou objets greffés à même la peau peuvent servir de mouchard de poche, débarrasser seulement les visiteurs de leurs téléphones portables serait-il la panacée  à des échanges sans témoins gênants? Le doute sur l’efficacité de la manœuvre est bien permis. Et pourtant la solution est toute simple. Pas besoin de réinventer la roue. Eh bien, quitte à ce qu’on me reproche de n’avoir pas inventé le fil à couper le beurre, je vous propose cette ordonnance : à défaut de pouvoir aller à vos rendez-vous nu comme un ver, évitez de verser dans les affaires louches ; ou, si vous y êtes contraint , apprenez à la boucler.

 

 

 

Issa K. Barry

 

 

 

(1) Le 24 juin 1991, les gendarmes français découvrent le corps sans vie de Ghislaine Marchal. Près du corps, la phrase accusatrice « Omar m’a tuer » (sic) st retrouvée, écrite  en lettres de sang sur une porte. Elle semble imputer le crime à Omar Raddad, son jardinier.

 

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