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Transition au Mali : L’imam Dicko veut serrer les militaires à la culotte

Près de 2 semaines après la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le Mali n’a toujours pas de gouvernement. La junte qui a pris le pouvoir à Bamako continue de consulter les forces vives du pays dans une atmosphère politique certes détendue mais marquée par des incompréhensions.

 

 

Entre la junte, qui souhaite diriger une transition de longue durée, et le Mouvement du 5-juin/Rassemblement des forces patriotiques (M5/RFP) notamment, qui souhaite être plus étroitement associé aux pourparlers en cours, il y a une once de malentendu. La première ne fait pas mystère de s’installer aux premières loges sur la colline du pouvoir à Bamako- Koulouba et le second n’entend pas se faire voler la victoire remportée contre IBK. En effet, c’est connu, pendant  près de 3 mois, c’est le M5/RFP qui a été en première ligne dans le combat contre l’ancien régime avant que le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) que dirige la junte ne lui porte l’estocade, le 18 août dernier.  On le voit bien, le coup d’Etat du 18 août à Bamako porte une double paternité, et ce serait le comble que le Mali se retrouve dans une vacance prolongée de pouvoir.

 

En tout cas, le ministre français des Armées, madame Florence Parly, a mis en garde contre un Etat du Mali très affaibli qui pourrait faire l’affaire des terroristes qui y ont déjà pignon sur rue. La France, par la voix de Florence Parly, souhaite alors la mise en place d’une « transition rapide » dirigée par une personnalité civile. Une transition dont la durée, du côté de Paris, devrait s’évaluer en mois et non, on l’aura compris, en années.

 

 

Sur le sujet, la France ne fait qu’emboucher la trompette de la CEDEAO. En effet, l’organisation régionale ouest-africaine, au cours du dernier sommet extraordinaire de ses  chefs d’Etat, avait clairement exprimé le vœu qu’une personnalité civile reconnue pour ses vertus de probité soit appelée à diriger la transition au Mali durant une période de 12 mois et qu’aucune structure militaire ne soit au-dessus du président civil qui viendrait à être nommé. Et la CEDEAO de conditionner la levée progressive de ses sanctions contre le Mali aux avancées sur ce chantier d’un retour rapide à un pouvoir civil à Bamako.

 

 

Le M5/RFP dans ses discussions avec la junte lui dit la même chose, avec une nuance sur la durée de la Transition qui pourrait s’étaler sur 18 à 24 mois maximum, avec un président civil et éventuellement un premier ministre officier de l’armée.

 

De la CEDEAO à la France en passant par les forces vives du Mali, il y a comme un marquage  serré de la junte pour éviter que le CNSP ne trahisse les attentes des populations pour s’installer durablement sur la colline du pouvoir à Koulouba. Ainsi, l’imam Mahmoud Dicko, la figure emblématique du M5/RFP, l’icône de la contestation populaire qui a fini par emporter le régime d’IBK, a déjà prévenu Assimi Goïta et ses camarades du CNSP qu’ils n’avaient pas un chèque en blanc pour diriger le pays.  

 

Néanmoins, on peut comprendre que ces jeunes officiers maliens, blasés par les turpitudes des pouvoirs civils, avec une classe politique dont le patriotisme de certains leaders est inversement proportionnel aux largeurs de leurs boubous brodés, sans oublier ses officiers généraux aux épaulettes constellées d’étoiles à des années lumières de leur intelligence de la science militaire, veuillent du temps pour nettoyer les écuries d’IBK.

 

Mais chat échaudé craint l’eau froide, comme peuple déjà floué par des putschistes se méfie des Zorro vêtus de kaki. N’est-ce pas la peur que l’armée au pouvoir ne déçoive de nouveau les populations maliennes qui explique ce marquage de la junte à la culotte ? 2012, ce n’est pas si loin que cela, et les Maliens se rappellent bien les travers cinglants et sanglants d’un certain capitaine Haya Sanogo qui voulait assainir le pays de la gestion indolente d’Amadou Toumani Touré. Ce dernier, officier général de l’armée, n’avait pas non plus pu exorciser les démons de l’insécurité qui hantent le Mali depuis si longtemps, après 10 ans de pouvoir. Assimi Goïta, s’il était bombardé président du Mali pour trois ans, ferait-il mieux qu’Haya Sanogo ou qu’Amadou Toumani Touré ? Le doute est permis, tout a priori mis de côté.

 

De fait, la difficulté à construire des institutions fortes en Afrique est davantage due au manque de vertus de ceux qui gouvernent ou aspirent à gouverner qu’à l’inadéquation des lois fondamentales des Etats. Les Constitutions les plus pertinentes, les codes électoraux les plus équitables ne valent que ce que valent les hommes chargés de les mettre en œuvre. La junte militaire malienne n’a pas besoin de dizaines et de dizaines de mois pour réformer l’Etat et en faire une république qui gagne contre l’insécurité, la mal gouvernance et réussit le développement socio-économique du pays. Depuis 1991, le terrain est bien balisé, et l’establishment en présence, civils et militaires, a tout intérêt à se mettre rapidement d’accord sur la forme, le fond et les délais des institutions de la transition vers un Mali fort pour faire face aux groupes armés qui travaillent à le dépecer.

 

Dans cette dynamique, le M5/RFP devrait se conduire en partenaire naturel de la junte militaire, pas en challenger de celle-ci dans le contrôle des institutions de l’Etat. Les chefs d’Etat de la CEDEAO devraient éviter d’user du bâton du censeur-moralisateur à l’endroit de ces jeunes officiers dont rien, à l’heure actuelle, ne permet de douter du patriotisme et de leur intégrité. La France, bien qu’elle soit un partenaire privilégié des Etats du Sahel dans leur lutte contre les groupes djihadistes, devrait s’abstenir de tout paternalisme condescendant pour analyser avec pragmatisme les défis de la restauration de l’autorité de l’Etat que le nouveau pouvoir à Bamako doit relever.

 

Si ce marquage serré de la junte conduisait à servir aux maliens des institutions précuites sans tenir compte des erreurs du passé, les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Pourtant, à entendre « transition rapide » par-ci, « délais raisonnables » par-là, la communauté internationale pourrait imposer aux Maliens des solutions de sortie de crise qui n’auraient pas été mûrement réfléchies par eux-mêmes. De là à dire, marquage serré de la junte d’accord, mais solutions endogènes au Mali d’abord, il y a un pas vite franchi.

 La rédaction 

Dernière modification lemardi, 01 septembre 2020 20:30

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