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Prévision météorologique : «Les fortes pluies ne sont pas responsables des inondations»(Gilbert Sinini, service météo aéroport de Ouagadougou)

 

Bloc technique de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA). Le saviez-vous ? C’est cette partie « technique » de l’ASECNA comprenant quatre services, ayant chacun des unités, qui fait de l’assistance  météorologique pour  la navigation aérienne. En cette période de fortes pluies, on enregistre des inondations à tout vent et des pertes en vie humaine ; ce qui a amené l’Exécutif à déclarer la catastrophe naturelle, en conseil des ministres du 9 septembre 2020.  Pour mieux comprendre les contours de cette saison excédentaire, nous avons échangé à cette même date avec Gilbert Sinini, chef de l’unité prévision, protection météo de l’aéroport international  de  Ouagadougou.

 

 

 

 

Pouvez-vous nous présenter le bloc technique de l’ASECNA ?

 

 

 

Le bloc technique de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienneen Afrique et à Madagascar (ASECNA) comporte quatre services, à savoir l’exploitation météo, la maintenance informatique et radio électrique, le commandement de l’aéroport et le contrôle en route. Dans chaque service, il y a des unités dont celle de prévision, protection météo où nous nous trouvons actuellement.

 

 

 

Quelles sont les missions assignées à cette unité ?

 

 

 

Ici, nous faisons des prévisions à l’intention des aéronefs (des avions et hélicoptères) qui décollent de Ouagadougou pour d’autres destinations ou qui viennent d’ailleurs et atterrissent dans la capitale burkinabè ; autrement dit, l’unité dont je suis le premier responsable s’occupe de la prévision et de la protection. Donc en résumé, nous faisons de l’assistance  météorologique à la navigation aérienne. Mais nous faisons aussi des prévisions pour le public.      

 

 

 

Est-ce que vous avez des services de relais ?

 

 

 

Les prévisions saisonnières ne sont pas faites ici ; elles sont élaborées à Niamey. Pour ce qui est du reste, ça se passe à notre niveau. En fait, dans mon unité de six agents, nous nous relayons. Généralement, c’est une équipe de 6h à 13h, une autre de 13h à 20h et la dernière qui monte de 20h jusqu’au lendemain. A tout moment lorsqu’on vient, il y a au moins une personne qui travaille.

 



 

Vos services sont-ils gratuits ?

 

 

 

Non, tous nos services sont facturés. Un avion qui atterrit et  pour lequel on allume la piste parce qu’il fait nuit ou parce que la piste est invisible est facturé. De même lorsqu’un avion reste un ou plusieurs jours au parking, cela est facturé. Ce n’est pas un service public. Néanmoins un citoyen peut appeler dans l’optique de connaître la situation journalière  de la météo ; à ce moment, c’est gratuit.

 

 

 

Certains prennent parfois vos prévisions avec des  pincettes. Mais cette fois-ci on peut dire que vous avez eu  tragiquement raison avec ces fortes pluies. N’est-ce pas le cas ?

 

 

 

Je comprends bien que certaines personnes doutent de nos prévisions. En réalité, dans  toutes les  prévisions que les météo donnent, il y a toujours une probabilité qui suit. Et comme généralement le public ne prend pas  le soin ou ignore  la probabilité qui est derrière, ça cause les doutes. Sinon nous donnons les prévisions au conditionnel au regard du temps qui est changeant et qu’on ne commande pas. En plus, une probabilité à 100% n’existe pas tout comme une probabilité de 0% n’existe pas. Par ailleurs, il faut ajouter que beaucoup de paramètres concourent à l’élaboration d’une prévision. Et même qu’une prévision est valable à une heure donnée ; de ce fait, elle doit être renouvelée à un certain moment.

 

 

 

Malgré les probabilités, ce qui était prédit s’est réalisé. Qu’est-ce qui a changé dans la méthode ?

 

 

 

Il n’y a pas eu d’innovation dans la façon d’élaborer les prévisions. D’abord il faut dire qu’il y a plusieurs types de prévisions : les prévisions de courte durée, celles de longue durée et les prévisions saisonnières (celles qui permettent au public de savoir quelle sera la tendance de la saison dans l’année). En mai, la météo nationale a élaboré la prévision saisonnière de cette année qui a indiqué une saison excédentaire. Pourtant beaucoup n’y ont pas cru. Et même si les prévisions ont été données avec une probabilité derrière qui, toutefois, était assez élevée, vous constatez au regard des pluies actuelles qu’il y a plus de quantité d’eau cette année qu’en 2019. De ce fait ce qui était annoncé s’est produit.

 

 

 

Avec quels outils, instruments ou quelles techniques se font exactement vos prévisions ?

 

 

 

Concernant les prévisions de courte durée, c’est-à-dire de 2h, appelée « la tendance », de 30h, appelée « prévision d’aérodrome », la prévision pour le public, qui est de 24h,  et même pour les longues, on utilise les équipements qui sont à notre disposition, à savoir les ordinateurs, les images satellitaires que nous recevons de l’Europe toutes les 15 minutes et qui nous montrent non seulement les phénomènes qu’on a au niveau de l’atmosphère mais aussi les cartes symétriques ou les modèles reçus de Londres et de Washington qui donnent une image globale des éléments de l’atmosphère en un instant donné (vents, températures, pressions et autres paramètres ). Les prévisions saisonnières sont faites à Niamey et pour le compte de l’Afrique de l’Ouest. Et c’est seulement à ce moment que le Burkina  reçoit ses données avec toujours une probabilité qui y figure. Quand vous prenez la carte des prévisions, il y a des chiffres qui représentent les probabilités.

 

 

 

On sait que vous travaillez à récolter des données pour les aéronefs et la météo nationale. Est-ce que ce sont les mêmes outils qui sont utilisés ?

 

 

 

Les outils à notre disposition ne sont pas nombreux, mais ils nous permettent cependant de faire un travail assez fiable et remarquable. S’agissant de votre question, ce sont les mêmes éléments qui nous servent dans notre travail.

 

 

 

Quelles sont les difficultés rencontrées dans l’établissement des prévisions ?

 

 

 

La difficulté avec les prévisions, c’est que, contrairement aux pays développés où ils ont des modèles à mailles limitées, c’est-à-dire qui sont fixés sur leur territoire, nous avons à notre niveau des modèles globaux, se trouvant donc sur un grand espace et qui donnent une image de toute l’Afrique ou de l’Afrique de l’Ouest. Hormis cela, nous avons peu de stations d’observation météo synoptiques. S’y ajoute la faiblesse des distributions des stations, qui constitue un handicap pour la prévision journalière puisque généralement les perturbations pluvieuses orageuses sont suivies depuis le Tchad en passant par le Niger jusqu’à notre pays et même au-delà. Les stations les mieux équipées au Burkina sont au nombre de dix. Par ailleurs, les perturbations se déplacent. Ce qui fait que nous les suivons soit par image satellitaire soit par les cartes. Il se trouve qu’on peut également les suivre à partir des stations synoptiques, étant donné que nous en avons les données. Cependant, nous ne pouvons pas suivre les phénomènes de bout en bout à cause de la distance qu’ils parcourent. C’est pourquoi nous avons des difficultés à faire des prévisions.

 

 

 

Qu’est-ce qu’on appelle perturbations dans ce domaine ?

 

 

 

Ce sont des systèmes pluvieux-orageux qui se forment à l’Est et souvent jusqu’au Tchad en raison des vents qui les induisent. C’est ainsi qu’elles se déplacent vers nos pays. On les appelle des perturbations ou des systèmes organisés au regard de leur formation.  En outre, il y a des orages isolés qui se forment  sur place et peuvent apporter de la pluie ou non. Et ça, c’est plus facile à prévoir. Et quand on regarde la configuration des vents, nous avons des ondes qui nous indiquent la présence de ces perturbations.   

 

 

 

Comme le disait un épistémologue, « toute science a l’âge de ses instruments de mesure ». Le Burkina a-t-il aujourd’hui des instruments de pointe pour ne pas trop se tromper en matière de prévision météo ?

 

 

 

Il est vrai qu’on est confronté à la rareté des stations d’observation en plus de l’absence de technologies performantes contrairement aux pays développés qui en disposent. Mais on a quand même de quoi faire la prévision. Quoi qu’il en soit, je ne peux pas affirmer qu’on ne peut pas se tromper parce que la météo n’est pas une science exacte ; ce qui fait qu’on  la lit toujours  avec des probabilités. Une chose  certaine est qu’il y a d’autres stations pluviométriques installées par la  météo nationale. Et actuellement il y a des stations automatiques installées pour recueillir des paramètres (les vents, la pression, les quantités de pluies…).

 

 

 

Qu’est-ce qu’une station météorologique automatique ? Dans quelles villes on peut les trouver et quelle est leur importance ?

 

 

 

Une station automatique est un manche (bâton) sur lequel il y a les instruments de température de vent, la pression et les paramètres fondamentaux de la météorologie. Au niveau de l’aéroport nous avons une station automatique. A Bobo, il y a une autre en plus de celle classique, manuelle. C’est la météo nationale qui a installé ces stations automatiques étant donné que l’homme ne peut pas vivre  dans certaines régions ou zones inaccessibles telles que  le Sahara, les forêts denses, etc. On est donc obligé d’installer une station automatique et de recueillir les données de manière automatique à partir d’un ordinateur. Et contrairement à la station classique qui utilise beaucoup les ressources humaines, la station automatique n’en a pas besoin. Pour surveiller une station classique, il faut au minimum deux ou trois personnes alors qu’avec une seule personne, et même sans une présence humaine, une station automatique peut fonctionner.

 

 

 

Qu’est ce qui peut expliquer les fortes pluies aussi bien au Burkina, à Dakar, Niamey, Abidjan et même au-delà?

 

 

 

Les mois d’août et de septembre sont climatiquement des périodes de grandes pluies. A cette période, la mousson (le vent du sud-ouest qui circule et apporte l’humidité de la mer) s’installe de manière durable, donnant naissance à de fortes précipitations. En fait, il faut dire que, cette année, l’anticyclone qui se trouve au sud du golfe de Guinée s’est renforcé. Et c’est cet anticyclone qui nous donne la mousson. De plus il était prévu que l’année soit excédentaire. Cependant même si la saison a commencé un peu tard, actuellement la mousson s’est installée et est épaisse. Elle va du sol jusqu’à une haute attitude qui peut valoir 3700 m, provoquant ainsi des pluies violentes dites pluies de mousson.

 

 

 

Il semble que ces fortes pluies vont se poursuivre jusqu’au 16 ou 17 septembre. Est-ce qu’on doit envisager le pire ou est-il déjà passé ?

 

 

 

Je ne pourrai pas dire que le pire est derrière nous. Mais je pense que nous tendons vers l’affaiblissement des précipitations. Et même s’il y aura toujours des pluies le week-end ainsi que les 16 et 17 septembre, elles ne seront plus très fortes. Je vais seulement demander aux gens de prendre des précautions. Il faut qu’ils sachent que ce n’est pas la quantité d’eau qui provoque les inondations. On peut avoir de grandes quantités d’eau sans pour autant avoir des inondations si les villes ou les régions sont bien assainies. En un mot, les inondations ne sont pas liées à la quantité de pluies. Ces  derniers jours, c’est parce qu’il y a eu des cumuls de précipitations que les inondations ont eu lieu. Sinon les précipitations prises individuellement ne sont pas assez fortes pour provoquer des inondations.

 

 

 

Qu’est-ce qui est donc à l’origine des inondations si les grandes pluies n’en sont pas responsables ?

 

 

 

Pour qu’il y ait inondation, c’est bien vrai qu’il doit d’abord pleuvoir. Mais il peut pleuvoir sans que, pour autant, il y ait des inondations. C’est pourquoi j’insiste sur le fait que  ce n’est pas la quantité d’eau qui crée des inondations. Si les villes sont mal assainies, il va de soit qu’il y ait des inondations.

 

 

 

Il y a parfois des polémiques sur les quantités d’eau tombée. Pour un profane comment se fait le calcul de la pluviométrie ?

 

 

 

En termes simples, je dirai que c’est un semblant de seau qui recueille l’eau ; c’est dire qu’il est fabriqué de telle manière à recevoir une certaine quantité d’eau. Cette quantité d’eau est ensuite versée dans une éprouvette graduée. Après on procède à la lecture de la hauteur d’eau. C’est ainsi que se fait le calcul de la quantité d’eau tombée dans tous les pays en vue d’une certaine harmonisation. Si certains utilisent une méthode différente, on n’aura pas une harmonisation des quantités d’eau. Donc, c’est la même méthode qui est utilisée partout dans le monde. Cependant la polémique peut apparaître lorsqu’il pleut dans une zone munie d’équipements et qu’il ne pleut pas dans une autre, voisine, qui en est dépourvue. La situation inverse peut susciter également des polémiques.

 

 

 

Avec les précipitations assez rapprochées comme c’est le cas ces temps-ci, vous arrive-t-il d’empêcher des avions d’atterrir ?

 

 

 

Ce n’est pas à  nous d’empêcher ou d’autoriser l’atterrissage d’un avion. Nous donnons l’information au pilote, seul responsable de son engin, sur  la météo aéronautique. Et c’est à lui de prendre la responsabilité d’atterrir ou pas. En clair, notre rôle, c’est de donner l’information au contrôleur qui, à son tour, la transmet au pilote.

 

 

 

Avez-vous déjà été confronté à une situation où les conditions climatiques n’étaient pas favorables ?

 

 

 

Oui, il arrive souvent que des avions remettent les gaz, c’est-à-dire qu’on leur a donné toutes les informations météo, mais au moment d’atterrir ils ne voient pas la piste parce qu’il y a des nuages en bas qui la cachent. Quand le pilote ne voit pas la piste à un certain niveau, il remet les gaz ; il remonte, il n’atterrit pas. Il peut aussi arriver que le vent soit très fort et fasse  basculer l’appareil. Cette instabilité va contraindre le pilote à remonter. Ces cas defigure arrivent généralement en ces périodes.

 

 

 

Entretien réalisé par

 

Roukiétou Soma

 

Sidonie Zinkoné

 

(Stagiaires)

 

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