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Mosquée détruite à Pazani : La version de l’huissier

Mis en cause dans la démolition d’une mosquée au quartier Pazani à Ouagadougou, l’huissier de justice Me Naby B. Victor se défend et revient sur le fond de cette affaire. A l’entendre, il n’a fait qu’exécuter une décision judiciaire prononcée dans un banal conflit foncier, opposant deux individus.

 

 

Des fidèles qui prient sur les décombres d’une mosquée pour ensuite sortir crier leur colère. C’est la scène à laquelle on a assisté le jeudi 17 septembre 2020 à Pazani au cours de la conférence de presse organisée par la Coordination des jeunes musulmans du Burkina (CJMB). Le point d’orgue de cette affaire, qui mélange religion et conflit foncier, remonte au 7 septembre 2020 lorsqu’accompagné de forces de l’ordre, un huissier a procédé à la démolition de l’édifice religieux ainsi que des autres bâtiments se trouvant sur le site, notamment une école franco-arabe de six classes.

 

Le terrain d’une superficie de 8 289 mètres carrés est disputé par deux hommes : Moussa Guigma, l’actuel occupant et Jacques Ouédraogo, un instituteur. Le premier, dont la bagarre a été rachetée par la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB), affirme occuper le terrain depuis 2007. Avec le lancement des opérations de lotissement, il explique avoir entrepris des démarches pour entrer en possession d’un titre foncier. Une procédure qui, de son propre aveu, n’a pas connu son terme avec l’arrêt des opérations de lotissement intervenu entre-temps. Qu’à cela ne tienne, il dit posséder des documents émanant du ministère de l’Education nationale, du Cadastre et de la Direction générale de l’urbanisme qui attestent tous qu’il est le propriétaire du terrain disputé. C’est surpris, affirme-t-il, qu’il apprend par la suite que le site a été attribué à Jacques Ouédraogo, en vertu d’un arrêté qui date de 2018. Une preuve dont il conteste la sincérité.

 

 

Pour les soutiens de Moussa Guigma, « la démolition des infrastructures s’est faite en violation des règles et procédures en vigueur au Burkina ». Au cours de leur sortie médiatique (NDLR : le 17 septembre 2020), ils ont assuré que l’huissier n’a pas pu leur montrer une ordonnance prouvant qu’il agissait au nom de la loi. « Si le gouvernement ne réagit pas dans les meilleurs délais pour la résolution de cette provocation contre nos lieux de prière, nous allons réagir d’une autre manière », menacent-ils avant de lancer un ultimatum contre l’auxiliaire de justice et le mis en cause pour la reconstruction des bâtiments détruits au plus tard le 7 octobre 2020, auquel cas, ils annoncent qu’ils prendront leurs « responsabilités ».

 

 

« Je ne suis qu’un exécutant »

 

Au lendemain de cette fatwa lancée contre lui, nous avons retrouvé, à son bureau, l’huissier en question. Il s’agit de Me Victor B. Naby. Parmi les piles de documents, des journaux du jour relatant la conférence de presse de la CJMB. L’homme d’un certain âge affiche sa sérénité et tient à rétablir les faits. « Je ne suis pas juge. Je ne fais qu’exécuter les décisions rendues par les juges », précise-t-il d’entrée. Contrairement à ce qu’ont soutenu les conférenciers la veille, il a agi suivant une décision judiciaire. Une ordonnance en date du 10 juin 2020 qu’il assure avoir pourtant montré aux représentants de la communauté musulmane qui sont passés s’enquérir de l’affaire à son étude. On peut lire dans ce document le verdict suivant :

«… Statuant en référé, par défaut à l’égard de GUIGMA Moussa, en matière civile et en premier ressort :

Vu les articles 464 du code de procédure civile et 555 du code civil

-Déclarons l’action de OUEDRAOGO Jacques recevable et bien fondée ; en conséquence, ordonnons la démolition aux frais de GUIMA Moussa de tous bâtiments construits par ses soins sur le terrain no00 du lot 27 de la section 10

46 sise à YAGMA/PAZANI au secteur 38 de l’arrondissement no09 de la ville de Ouagadougou ;

-Condamnons GUIGMA Moussa aux dépens…

En conséquence, le Burkina Faso mande et ordonne à tous huissiers de Justice requis de mettre la présente décision à exécution ; Aux Procureurs Généraux et aux Procureurs du Faso près les Cours et Tribunaux d’y tenir la main ; A tous commandants et officiers de la force publique d’y prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis… »

La juge de référé dans ce document écrit que le terrain querellé « appartient sans conteste » à Jacques Ouédraogo. Ce dernier dispose pour justifier sa qualité d’un arrêté du ministère de l’Economie et des Finances en date du 10 septembre 2018 et d’une attestation d’acquisition de droits provisoires en date du 19 février 2020. Moussa Guigma, selon le magistrat, occupe, lui, le terrain « sans titre ni droit ». Cette ordonnance est la toute dernière décision judiciaire, parmi tant d’autres, sur cette affaire qui a connu plusieurs péripéties.

 

Retour sur la procédure judiciaire

 

Tout débute véritablement début 2019 lorsque Jacques Ouédraogo, le vrai propriétaire du terrain, selon la justice, constate que Moussa Guigma est en train d’ériger des bâtiments sur sa propriété. Au départ, il s’agissait de la construction de l’école franco-arabe, la mosquée n’était pas encore réalisée, selon l’huissier. Me Naby qui a été saisi par le requérant a dressé le 13 février 2019 une sommation à l’endroit du sieur Guigma pour qu’il arrête les travaux. Avant cette sommation d’huissier, la police municipale et les services techniques du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat ont effectué des sorties sur le site pour arrêter les travaux. Sur des photos certifiées datant de l’époque, on peut effectivement voir les murs barrés de la mention en rouge « Arrêt des travaux ». Mais selon Me Naby, le sieur Moussa Guigma n’a jamais obtempéré à ces injonctions et aurait même « accéléré les travaux ». Ce qui a poussé Jacques Ouédraogo, qui a acquis le terrain pour y construire « un complexe scolaire », et non pas un lieu de culte comme le soutiennent certains, à ester en justice. Pour le camp de Jacques, Moussa Guigma voulait ériger la mosquée au plus vite pour pouvoir se servir du lieu de culte comme bouclier contre le marteau judiciaire qui menaçait.

 

Dans une ordonnance de référé en date du 10 juin 2019, le juge enjoint à Moussa Guigma de « cesser immédiatement tous travaux de construction sur le terrain » et ce sous astreinte de 300 000 francs CFA par jour de retard.  Pour sa défense, l’intéressé, selon le magistrat, « s’est contenté d’affirmer, sans en rapporter la preuve, qu’il a acquis le terrain querellé en versant au dossier un récépissé de dépôt au guichet unique du foncier de Ouagadougou et un bordereau qui ne constituent nullement des titres ou actes lui reconnaissant des droits sur la parcelle litigieuse »

Cette décision ne sera pas non plus suivie d’effet. Le 18 septembre 2019, le juge statuera à nouveau, cette fois pour « ordonner l’expulsion de Moussa Guigma, tant de sa personne, de ses biens que de tous autres occupants de son chef de la parcelle ». Une décision qui connaîtra le même sort que la précédente.

C’est après toutes ces injonctions non suivies d’effet qu’a été prise l’ordonnance du 10 juin ordonnant la démolition des infrastructures ; avec la polémique qu’on sait qui a glissé dangereusement tout de suite sur le terrain religieux alors que le différend est avant tout foncier.

 

Moussa Guigma que nous avons contacté maintient n’avoir jamais été mis au courant de ces différentes décisions rendues sur l’affaire jusqu’au jour de la démolition du site. Et pour avoir exigé des gendarmes ce jour-là une ordonnance, il affirme avoir été violenté et menotté. Une version que réfute l’huissier pour qui c’est plutôt le maître coranique qui aurait tenté d’agresser les pandores et a été maîtrisé.

 

 

Le fondateur de l’école franco-arabe ajoute que lorsqu’il a reçu la première convocation en justice, la mosquée était bel et bien construite. Les différents avis techniques favorables à l’appui, notamment celui établi en 2014 par la direction générale de l’urbanisme, il estime qu’il était légitime que le terrain lui soit attribué.

Pour le sieur Guigma, si Jacques Ouédraogo dispose aujourd’hui de documents en sa faveur, c’est parce qu’il a joué de son entregent au niveau de toute la chaîne de procédure. Mais l’huissier assure que son client a obtenu ses papiers de façon réglementaire.

Selon nos informations, Jacques Ouédraogo était attributaire d’un terrain depuis 2009. Ce site lui a été retiré par la délégation spéciale de l’arrondissement 9 qui voulait y construire un CSPS. Dans une lettre adressée au ministre de l’Economie et des Finances le 3 novembre 2015, la délégation spéciale, mise en place après l’insurrection populaire d’octobre 2014, a souhaité qu’un autre espace lui soit octroyé en compensation.  Ce sera le fameux terrain no00 du lot 27 de la section 1046 sise à YAGMA/PAZANI objet de l’arrêté ministériel du 10 septembre 2018. Avant cette date, cette parcelle, aujourd’hui querellée, n’était pas encore attribuée. Parmi la dizaine de demandeurs, il y avait Moussa Guigma dont le dossier de demande n’a pas été fait en son propre nom mais au nom de sa femme. Etant «analphabète» et ayant fait la demande du terrain pour y construire une école, le maître coranique nous a expliqué avoir préféré mettre le nom de son épouse, laquelle est également la directrice de l’école.

Hugues Richard Sama

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