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Legs suite de et avec Edoxi Gnoula : Edoxi se dénude sur scène

L’Espace Gambidi a accueilli le dimanche 11 octobre 2020 le spectacle Legs suite de Edoxi Gnouli, mis en scène par Phillipe Laurent. Edoxi Gnouli porte seule ce spectacle sur scène pendant 1h30. Dans cette pièce d’auto-fiction, la comédienne burkinabè se dénude, étale son intimité sur scène. A la question de savoir si l’art peut se saisir de tout, Edoxi y répond dans ce spectacle fort.

 

 

Noir sur la scène. On distingue un personnage assis sur une chaise. Il ne parle pas.  Lumière sur le personnage. Vêtu d’un costume noir sur une chaise rouge. Le silence se prolonge et pèse sur la salle.  Le personnage broie ses phalanges comme un boxeur qui s’apprête à entrer sur le ring. Dès que le personnage se met à parler, on comprend le long silence. Parce que les grands silences précèdent les grands orages et les grands vents. Quand la comédienne ouvre la bouche, elle éructe un vent violent de mots qui arrache le voile sur les choses et les êtres, qui la met à nue et jette une lumière crue sur son intimité.

 

Edoxi est comme une poupée russe, car elle porte plusieurs personnages enchâssés. Elle est tour à tour le vieux monsieur qui voue Sankara aux gémonies, le prof à l’accent d’Afrique centrale qui est un louangeur de Sankara et Michel, le chômeur au long cours. Elle est aussi Edoxi, la dramaturge qui écluse des Beaufort dans le bar en écrivant sa vie. Ce sont d’ailleurs les mots jetés sur le papier qui s’animent sur la scène. Elle évoque sa mère biologique et son père dans le théâtre, le Pr Jean -Pierre Guingané. Et ils surgissent sur scène.

 

Elle nous fait entrer par effraction dans sa vie. Dans celle de sa mère, une femme qui a eu cinq enfants de pères différents. Et nous brosse un portrait au vitriol de son père, ce fantôme qui ne fera jamais face à ses responsabilités mais qui hantera malgré tout la vie de la jeune fille. Et le Professeur Jean-Pierre Guingané qui lui met le pied à l’étrier dans le théâtre. Edoxi Gnoula est une immense comédienne. Elle réussit à entrer et à sortir d’un personnage pour passer à un autre juste par un changement de costume ou d’accent et elle nous sert une galerie de personnages parfois risibles, parfois dramatiques.

 

 

En entremêlant son histoire personnelle avec celle de la grande histoire, elle nous perd un peu, du moment que le spectateur cherche vainement le lien entre sa trajectoire personnelle et la grande histoire ; du moment que sa vie n’est pas l’ombre portée de cette histoire. Et si le texte est juste lorsqu’il dit les choses simplement, il se prend les pieds dans le tapis lorsqu’il devient grandiloquent en embouchant les grandes orgues de la psychanalyse et de la philosophie.

 

Legs suite est un bon moment de théâtre. On arrive au bout d’une heure trente sans s’en rendre compte. Toutefois, cette pièce qui puise sa matière dans la vie de la comédienne pose un problème éthique. Quand on dénude les fils de sa vie pour l’offrir au public, on déshabille aussi d’autres personnes. D’où les multiples procès qui naissent dans le sillage des œuvres d’autofiction, même en Europe où la création artistique bénéficie d’une plus grande liberté.  Yoga d’Emmanuel Carrère est en pleine tourmente, Orléans de Yann Moix a connu aussi sa polémique.

 

On peut légitimement se demander ce que gagne Edoxi Gnoula à se livrer à un déballage impudique de sa vie intime au public. Sans doute, c’est une sorte de catharsis, la scène devenant un divan de psy, et aussi le besoin de témoigner d’une existence placée très tôt dans l’adversité mais qui s’est battue pour s’imposer dans la vie par l’art. Cela vaut-il le coup de « choisir de payer la vérité d’un coût élevé pour un profit de distinction plus faible » comme le notait Pierre Bourdieu ? 

Saïdou Alcény Barry

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