Menu

Présidentielle ivoirienne : Et maintenant on fait quoi ?

 

Il y a quelques semaines, depuis son exil français, Guillaume Soro disait à qui voulait l’entendre que la présidentielle ivoirienne n’aurait pas lieu, en tout cas pas à la date du 31 octobre pourtant  gravée dans le marbre de la Constitution de 2016. Une antienne reprise à l’envi et en chœur par Pascal Affi Nguessan et ses camarades de l’opposition, qui ont décrété la désobéissance civile et le boycott actif du vote.

 

 

Ils ne seront finalement pas parvenus à empêcher totalement la tenue du scrutin, qui s’est déroulé certes avec des actes de violence et de vandalisme épars mais pas dans le chaos généralisé que tout le monde redoutait. Des incidents à Blockhauss, des bureaux de vote attaqués et empêchés d’ouverture à Youpougon, Yamoussoukro, Daoukro, du matériel électoral saccagé à Vavoua, Agboville, Adzopé, Daloa, des barrages dressés ici et là, tel était le décor qui s’offrait aux Ivoiriens samedi dernier.  

 

Et le bilan matériel et humain n’a pas la même ampleur selon qu’on est de l’opposition ou de la  majorité. Quand la première recense plus de 100 incidents à travers le territoire et de nombreux morts, le RHDP, lui,  estime que seulement une cinquantaine de  bureaux de vote sur les 22 000 ont été concernés par les troubles. Pas de quoi donc fouetter un ADOlâtre. Pour les uns « le  coup d’Etat constitutionnel et électoral » a de fait échoué, pour les autres, la consultation est tout ce qu’il y a de  réussi et de démocratique. Pour l’ONG Indigo qui a déployé des observateurs, 23% des BV (soit 5000) n’ont pu fonctionner normalement. Sans qu’on sache vraiment si la faible affluence constatée samedi (qui jure avec le taux de participation officiel) est due au respect des mots d’ordre des contempteurs du régime ou à la peur des violences qui étaient tellement prévisibles que beaucoup de citadins se sont cloitrés chez eux quand ils n’avaient pas déserté les centres urbains, en particulier Abidjan, pour se réfugier dans leurs villages. 

 

Rien de bien nouveau en réalité sur les berges de la lagune Ebrié  puisque, depuis une trentaine d’années, la Côte d’Ivoire est abonnée aux élections tumultueuses parce que non consensuelles, les uns pactisant invariablement avec les autres pour exclure certains de la compétition au gré de leurs intérêts et de leurs alliances du moment.

 

En 1995, après la guerre de succession consécutive à la mort d’Houphouët, Henri Konan Bédié, sorti vainqueur du bras de fer avec ADO – qui s’était piqué de compter les vaches alors qu’on lui avait seulement demander de les traire –,  invente le concept funeste d’ivoirité pour se retrouver seul  face au PIT de Francis Wodié après avoir fait disqualifier Ouattara et Gbagbo.

 

En 2000, consécutivement au coup d’Etat du général Papa Noel, l’enfant terrible d’Ouragahio s’associe avec Robert Gueï pour exclure Bédié et Ouattara avant de rouler son « asso » dans la farine –avec toujours Wodié dans le rôle du comparse-  sur fond de violences inouïes. Lui-même reconnaîtra plus tard avoir été élu dans des circonstances  « calamiteuses ». 

 

En 2010, après une décennie de rébellion menée par Soro avec le soutien de Blaise Compaoré, ADO  et consorts, pour une fois,  suite aux Accords de Linas-Marcoussis, les trois Eléphants de la faune politique ivoirienne sont tous sur la ligne de départ, mais ça se termine dans le fracas des armes. Bilan : 3000 morts, un tissu social en lambeaux et le « Woody » expédié à la CPI pendant que les vainqueurs sablent le champagne et roulent carrosse. Jusqu’à ce  que, tels des bandits d’un western qui se neutralisent mutuellement pour le partage du butin, ADO élimine l’un après l’autre ses anciens alliés qui pensaient leur tour venu. Et voici le « Burkinabè » jadis  ostracisé qui se rend à son tour coupable d’exclusion en instrumentalisant la justice pour se débarrasser de ses adversaires. Quand donc enfin les Ivoiriens auront-ils droit à des élections inclusives et transparentes dont les résultats ne souffriront aucune contestation parce que l’organisation aura été consensuelle sur toute la ligne ?      

 

En attendant ce jour béni, contre vents et marées  donc, Alassane Dramane Ouattara aura tenu tant bien que mal son pari grâce notamment à  35 000 éléments des forces de défense et de sécurité mobilisés pour la circonstance. Mais l’élection a perdu depuis longtemps de son intérêt. D’abord avec la mise à l’écart d’une quarantaine de prétendants par le Conseil constitutionnel qui n’en a retenu que quatre ;  ensuite du fait de la politique de la chaise vide pratiquée par les candidats du PDCI et du FPI ; réduisant ainsi la compétition à un match d’entraînement entre le président sortant et Kouadio Konan Bertin. Du coup la victoire d’ADO ne faisait plus l’ombre d’aucun doute même si à vaincre sans péril il triomphe sans gloire. Mais de gloire, lui s’en fiche comme de sa première barboteuse sinon après avoir juré qu’il ne renouvellerait pas son bail au palais de Cocody, il n’aurait pas pris prétexte du décès subit de son premier ministre et dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly, pour se  présenter pour un troisième mandat.

 

Comme s’il n’y avait autour de lui que des gens de basse extraction alors que le parti regorge de cadres susceptibles d’assumer la fonction suprême. 

 

Mais comment le condamner sans possibilité de rémission alors que le Sphinx de Daoukro, qui n’a pourtant jamais brillé par son intelligence et son flair politiques et qui ne rêve que de vengeance depuis qu’il a été débarqué en 1999 s’est imposé à 86 ans porte-drapeau du PDCI alors que c’est lui qui a ouvert la boîte de Pandore ayant libéré tous les malheurs de la Côte d’Ivoire ? Comment le blâmer totalement alors que Gbagbo, qui n’a même pas fini avec ses ennuis judiciaires puisqu’il attend son éventuel procès en appel à la CPI, trépignait, lui aussi, d’impatience d’en découdre de nouveau ? La sagesse aurait en fait voulu que tous les trois, qui se neutralisent réciproquement depuis des lustres, mettent de côté leurs ego, surdimensionnés, et leur haine recuite pour s’éclipser et laisser la place à une nouvelle génération. La scène politique ivoirienne en aurait été ipso facto assainie. Au lieu de quoi…

 

Mais puisqu’il va, selon les chiffres provisoires de la CENI, être élu avec « un score à la Ben Ali » (on a les références qu’on peut), on est bien curieux de savoir ce que le vainqueur va faire de cette victoire programmée à la Pyrrhus, lui qui entend consommer sa forfaiture avant de tendre la main à ses ennemis comme il l’a promis la semaine dernière dans une interview à RFI et à France 24 ? Une main tendue qui a peu de chance d’être acceptée puisque l’opposition, par la voix d’Affi, dit « ne pas reconnaître l’élection », « constate la fin du mandat » d’ADO, « appelle les Ivoiriens à la mobilisation générale pour faire barrage à la dictature » et exige « l’ouverture d’une transition civile ». 

 

 On peut donc être sûr d’une chose, coup d’Etat constitutionnel ou pas, cette prolongation au prix d’un changement des règles  du jeu en plein match ne va pas servir l’impératif de réconciliation nationale qui demeurera à jamais la tâche sombre des années ADO, et l’Eburnie sort plus divisée que jamais de cette consultation aux dés pipés.

 

 Il faut même craindre que « l’heureux élu », qui a de plus en plus de mal à cacher son agacement et sa colère, finisse par réprimer violemment les manifestants et à embastiller leurs donneurs d’ordres. Ce serait alors la porte ouverte à tous les scénarios catastrophes. Mais comme le dit si bien un proverbe de chez nous, « celui qui met le feu à  un cimetière ne craint pas les hurlements des fantômes ». A ses risques et périls.

 

 

La Rédaction

Dernière modification lemardi, 03 novembre 2020 22:15

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut