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Mort abbé Rodrigue Sanon : Retour de Soubakiniédougou

 

Ramenée le 26 janvier dernier à Banfora après une autopsie à Ouagadougou, la dépouille de l’abbé Rodrigue Sanon, a été portée en terre hier jeudi 28 du mois courant. Mais avant, notre correspondant dans la cité du Paysan noir, Luc Ouattara, s’est rendu à Soubakaniédougou, localité dont le regretté était le curé de la paroisse. Nous vous proposons son reportage.

 

 

 

 

19 janvier 2021-26 janvier 2021. Cela faisait une semaine, jour pour jour, qu’avait disparu l’abbé Rodrigue Sanon dans la forêt classée de Toumousséni. Après des recherches, son corps sans vie avait été retrouvé à quelque 400 mètres du lieu où il avait été enlevé de sa voiture alors qu’il se rendait pour une rencontre des curés à Banfora. L’onde de choc est vivement ressentie par les fidèles de l’église Notr-Dame de la paix, où le religieux officiait depuis septembre 2018. Depuis, ils sont dans la tristesse, le désarroi et la peur, espérant que l’enquête ouverte viendra les situer sur les mobiles de la mort tragique de ce prêtre qui faisait l’unanimité à Soubakaniédougou. Il n’avait de problème avec personne, s’accorde-t-on à dire là-bas. Cette paroisse préparait activement son jubilé prévu, au mois de mai prochain. Du coup, cette fête aura-t-elle lieu à ladite date ?  S’interrogent les fidèles. Devant les portes closes de l’église, nous sommes allés à la rencontre des Soubakalais ce 26 janvier, lesquels réclament justice pour ce berger de l’église Notre-Dame de la paix.

 

9h 38 mn ce 26 janvier 2021. Après quelque deux heures de route sur l’axe Banfora-Niangoloko-Soubaka, long de 75 km environ, nous sommes à Soubakaniédougou, au niveau de la plaque entrée Sud de la ville. Pour des questions de sécurité, nous avons préféré cet axe, question d’éviter cette forêt classée sur l’axe Banfora-Toumousséni-Soubaka, long de 45 km, qui, si rien n’est véritablement entrepris pour le sécuriser, tend à devenir un cauchemar pour les usagers. En effet, vaste de 2500 ha, deux corps ont été déjà retrouvés dans ladite forêt en début décembre 2020 et identifiés comme étant des orpailleurs.

 

Les Soubakalais vaquaient à leurs occupations. Quelques minutes après, nous stationnons devant le portail de l’église Notre-Dame de la paix, à l’ouest de cette localité qui défraye l’actualité depuis ce 19 janvier 2021. Le portail est fermé. En face, de l’autre côté de la route, une femme s’affaire à ses tâches ménagères. « Y a-t-il quelqu’un à l’intérieur ? » interrogeons-nous. La brave dame nous répond simplement qu’elle n’en sait rien, continuant tranquillement ses occupations.

 

Nous voilà obligé de pousser le portail. A l’intérieur, les portes de l’église sont hermétiquement fermées. Nous avançons plus à l’intérieur et c’est là qu’enfin, un jeune homme sort des dortoirs et se présente comme étant le cuisinier des prêtres. Il nous dit qu’il est seul lorsque nous avons souhaité rencontrer le vicaire de la paroisse, c’est-à-dire celui qui seconde le curé Rodrigue Sanon. Ce dernier, l’abbé Christmann, est absent depuis le 21 janvier dernier, indique-t-il. Joint au téléphone pour un entretien à notre retour à Banfora, le vicaire nous dira qu’il effectue une retraite spirituelle, donc impossible de nous recevoir malgré notre insistance.

 

                                  

 

Pas de messe le dimanche 24 janvier 2021

 

 

 

Les fidèles de l’église Notre-Dame de la paix sont depuis dans la tristesse et le désarroi, car à l’annonce de la disparition du curé, alors qu’ils espéraient que le pire ne surviendrait pas, deux jours plus tard, c’est la mort de ce dernier qui leur est annoncée. Malgré le deuil et les cœurs meurtris, le dimanche 24 janvier dernier, comme d’habitude, les fidèles ont effectué le déplacement pour assister à la messe dominicale. « Depuis le drame il n’y a pas de messes ici. Le dimanche, les gens étaient venus, pour la messe et il n’y avait pas de prêtre », a indiqué Bienvenu Soulama, cuisinier des prêtres. « Tout le monde était découragé, il y avait des pleurs. C’est un chapelet au moins que nous avons récité à la mémoire du père disparu », précisera Emmanuel Soulama, secrétaire paroissial. Depuis la disparition du religieux, le cuisinier est celui qui veille sur la paroisse. « Je surveille la cour, il y a les chiens et la volaille. Je viens arroser les fleurs et je donne  à manger et à boire aux poulets et aux chiens », explique ce dernier.

 

A entendre certains Soubakalais, la psychose règne depuis le triste événement. « Le village est mou. Quand tu rentres en ville, s’il commence à faire sombre tu vois les gens qui commencent à courir. Ils ont peur parce qu’on ne sait pas exactement les circonstances de la mort  de l’abbé. Les gens ont peur, même ceux qui gèrent les maquis ferment très tôt parce qu’ils ont peur », témoigne Bienvenu Soulama. Le président de la communauté catholique de Soubaka, Anselme Soulama, avoue pour sa part qu’il a restreint ses sorties depuis lors.

 

Qui en voulait au religieux au point de lui tendre une embuscade en pleine forêt et le tuer à coups de poignard ? C’est la question qui hante les esprits à Soubaka. Car selon les différents témoignages recueillis sur place, l’abbé Sanon était un homme de paix. Foi du catéchiste Roger Fayama, en trois ans, il ne l’a jamais vu s’énerver. L’imam Abdramane Fofana, lui, est formel. « Je ne l’ai pas connu moi-même mais tout le monde dit ici que c’était un homme bien, qu’il aidait les gens et c’est pourquoi moi aussi je l’ai aimé », dira-t-il. Et de condamner cette barbarie inhumaine. « C’était quelqu’un de bien. En ville aussi tout le monde disait qu’on avait un bon curé. C’était quelqu’un qui parlait peu, il n’avait pas de problème avec qui que ce soit », a témoigné pour sa part son cuisinier. Rebecca Kaboré, institutrice, fidèle catholique, embouche la même trompette. Et pourtant, c’est cet homme qu’ont ciblé ces meurtriers. Pour l’institutrice Rebecca Kaboré, c’est la tristesse et le découragement.

 

 

 

L’abbé Rodrigue Sanon, religieux et enseignant

 

 

 

L’abbé Rodrigue Sanon, comme à son habitude, s’est réveillé très tôt ce mardi noir. Après sa messe de 6h et son petit déjeuner, il s’est rendu à l’établissement catholique Notre-Dame de la paix, où il dispensait des cours de latin. Là-bas, il prenait les classes de 5e, 4e et 3e. « Il donnait bien ses cours. Chaque matin il venait », témoigne Adama Soulama, surveillant au lycée catholique en l’absence de la première responsable de l’établissement. Selon ce dernier, le 19 janvier, le religieux enseignant est venu donner des sujets pour la classe de 5e. Il a bougé de l’établissement à 7h et ce fut leur dernière entrevue. A l’annonce de sa mort, les scolaires étaient tous effondrés. « Ce sont les cris et les pleurs des élèves, qui nous ont alertés ici au village », témoigne un parent d’élève. C’est désormais un vide au lycée catholique, même si d’autres prêtres y enseignent la même matière. « J’aimais ses cours. Avec nous les élèves, il n’avait pas de problème », témoigne Lassina Koné, élève en classe de 3e au lycée catholique. Pour cette enseignante, directrice de l’école primaire catholique Notre-Dame de paix, Florence Héma, le défunt était très discret. « Il avait même souvent de la peine à parler », soutient-elle.

 

 

 

Le jubilé endeuillé

 

 

 

Ce 19 janvier 2021, Emmanuel Soulama, secrétaire du conseil paroissial  Notre-Dame de la paix, comme d’autres paroissiens, avait une rencontre avec le curé à 17h, c’est-à-dire à son retour de Banfora. Il fait partie du comité d’organisation du jubilé de cette paroisse ouverte en 2011. L’abbé Rodrigue Sanon en était le 3e curé. C’est à 17h qu’il a appris que le curé n’était pas arrivé à Banfora avant d’entendre la triste nouvelle quelques jours après. Visiblement, le curé et son église étaient bien intégrés dans le village et ils répondaient aux différentes sollicitations. La cohabitation avec les autres religions est aussi au beau fixe, au dire d’Emmanuel Soulama. « Il n’y avait pas de problème, chaque fois qu’on a un événement, si on les invite et s’ils nous invitent aussi, nous partons chez eux », a soutenu le secrétaire paroissial. L’église était parfois pleine lors des messes du dimanche. Sur le nombre des chrétiens catholiques de la paroisse, un recensement à la faveur du jubilé est en cours et les résultats sont attendus.

 

L’église Notre-Dame de la paix de Soubaka était donc en pleine préparation de son jubilé. En effet, les festivités ayant été ouvertes le 6 décembre 2020, on comptait les clôturer en apothéose le 9 mai prochain. Année jubilaire donc pour la paroisse, c’est la tristesse totale. « Ce qui nous reste, ce sont des traces douloureuses parce qu’un prêtre qui préparait un jubilé pour nous a disparu, c’est une tristesse totale pour l’église catholique de Soubaka », a avoué Emmanuel Soulama, qui se demande comment ils pourront continuer le programme de ce jubilé tracé avec leur défunt curé.

 

           

 

Le courage de poursuivre la foi en attendant la vérité et la justice

 

 

 

Certains fidèles catholiques cachent mal leur peur après cette mort tragique de leur berger. Seront-ils désormais en sécurité ? Comme tout croyant, ils iront à l’église prier comme il faut, rassurent certains. Les yeux sont toutefois tournés vers les enquêtes ouvertes pour situer les circonstances de la mort tragique du religieux. C’est pourquoi ils encouragent l’équipe en charge de ces enquêtes afin qu’elle procure des résultats. « Si nous n’avons pas la lumière sur cette affaire ce sera très difficile », estime l’imam Fofana. L’attente de Rebecca Kaboré, c’est également la justice. « Les hommes qui l’ont tué, que les enquêteurs les coincent », c’est son souhait le plus ardent et pour cela, elle compte sur Dieu. Anselme Soulama, président de la communauté catholique de Soubaka, lui, implore le Tout-Puissant afin que pareil drame ne se produise plus. L’église restera-t-elle fermée ou y aura-t-il un autre curé prêt à prendre soin des corps et des âmes à Soubaka, conformément à l’étymologie du mot « curé »?  A la police de Soubaka, des auditions se poursuivent. « Je ne vous dirai rien », reste formel le capitaine de police, Daouda Sanou, commissaire de police de Soubaka.

 

 

 

Luc Ouattara

 

                                                                                                

 

 

 

Encadré 1

 

Les coutumiers solidaires

 

 

 

Selon le chef de village de Soubaka, Yimbi Sirima, la mort tragique du prêtre les attriste. Ceux qui ont perpétré ce crime nous ont tous offensés, car ce curé n’avait jamais causé de problème dans le village. « Nous l’aimions, nous l’avions adopté comme notre fils et il nous considérait comme ses papas. Nous sommes découragés ici, nous demandons à Dieu, aux ancêtres et aux génies de ce village que ceux qui ont commis ce forfait, on puisse les retrouver », dira-t-il. Pour ce faire, des rites ont été déjà effectués pour démasquer ces criminels, affirme-t-il. Et d’apporter un démenti à ceux qui soutiennent qu’à Soubaka, les populations n’affectionnent  pas les religions révélées. « Ils partent bien à l’église et à la mosquée », dira t-il formel, invitant les autorités à faire la lumière sur ce crime odieux.

 

 

 

Encadré 2

 

L’abbé Rodrigue Sanon, passionné de PMU’B et de sport

 

 

 

Comme tout être humain, l’ex-curé de la paroisse Notre-Dame de la paix, avait ses centres d’intérêt. Il aimait jouer au Pari mutuel urbain burkinabè (PMU’B), témoigne Aminata Coulibaly, gérante d’un kiosque PMU’B. « Je connaissais très bien l’abbé. Il venait jouer ici. Le lundi, il est venu jouer ici vers 10h. C’est mardi vers 20h que j’ai appris sa disparition et je me suis mise à pleurer. Il ne misait jamais plus de 1400 F. L’autre passion du curé, c’était le sport. Même sous la pluie, il faisait son sport à vélo. Et ce vélo, il l’aimait au point d’être prêt à céder sa moto en contrepartie, dira son cuisinier.

 

 

 

Encadré 3

 

Il avait promis de m’acheter une moto

 

 

 

L’un des plus malheureux et des plus tristes de la mort tragique de l’abbé Rodrigue Sanon, c’est bien son cuisinier, Bienvenu Soulama. Très dévoué au religieux, il se réveillait chaque jour à 5h du matin, parcourait plus de 3 km pour rejoindre la paroisse Notre-Dame de la paix. Cela pour servir son petit déjeuner qu’il prend après la messe matinale avant de rejoindre ses élèves. Il s’occupait ensuite du linge, de la cuisine, de l’entretien des fleurs, des animaux domestiques, de la volaille et servait de gardien pour la paroisse. C’est au regard certainement de ce courage et de ce dévouement que le curé lui avait fait une promesse et s’était donné 3 mois pour la réaliser. « Il m’avait promis beaucoup de choses. Avant de partir le mardi matin, il m’a rappelé sa promesse d’il y a 3 mois. Il m’avait dit que quand il rentrerait de la rencontre  des curés à Banfora, il m’achèterait  cette moto », relate, triste, le cuisinier.

 

 

 

Encadré 4

 

Un ami inconsolable

 

 

 

François Kambiré, c’est de lui qu’il s’agit, conseiller de la jeunesse au niveau de l’église catholique. « J’étais son ami mais je dirai que je suis un membre de l’église. Vu ma fonction, chaque fois il m’appelait et on échangeait sur beaucoup de choses au niveau de la paroisse, surtout les organisations. Il venait chez moi et on causait. S’il quittait l’école, il venait au kiosque PMU’B et de là-bas, s’il n’était pas pris, il venait  chez moi. La première année de son arrivée, c’était quelqu’un de très calme. Il menait une vie très rangée et le moins qu’on puisse dire, c’est que sa disparition nous afflige tous.

 

 

 

Propos recueillis par

 

 Luc Ouattara

 

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