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Dr Mukwege prix Nobel de la paix 2018 : La consécration pour « l’homme qui répare les femmes »

C’est la récompense bien méritée de vingt ans de lutte reconnue, même si le combat est loin, très loin, d’être fini. Vendredi 5 octobre, le Dr Denis Mukwege a été désigné colauréat du prix Nobel de la paix 2018 avec l’activiste Yezidie Nadia Mourad, ancienne esclave (sexuelle) du groupe Etat islamique. Pour peu, on croirait à un petit clin d’œil de l’histoire.

 

Cette prestigieuse distinction intervient en effet la veille d’un anniversaire traumatisant pour celui qui n’était alors qu’un jeune médecin formé au Burundi, en France et en Belgique. Le 6 octobre 1996,  l’hôpital de Lemera dans le Sud-Kivu, dont il était le directeur, est attaqué et détruit, probablement par les hordes de Laurent-Désiré Kabila qui marchaient sur Kinshasa depuis le Rwanda voisin. Ce jour-là, de nombreux malades et soignants sont assassinés et le patron est obligé de s’enfuir au Kenya.

Lorsque le gynécologue revient trois ans plus tard, c’est pour toucher du doigt, si on peut ainsi dire, la réalité béante du viol comme arme de guerre en République démocratique du Congo (RDC), particulièrement dans sa province natale du Sud-Kivu, livrée aux multiples groupes armés quand des bataillons entiers de survivantes de viols et de violences sexuelles commencent à défiler dans sa clinique Panzi de Bukavu. Des viols qu’on dit méthodiques et qui ne sont pas juste commis pour assouvir un désir malsain mais surtout pour humilier, briser… Sinon pourquoi introduire des armes contondantes, des baïonnettes dans l’appareil génital de pauvres hères préalablement souillées de semence illégitime.

Pour celui qu’on surnomme « l’homme qui répare les femmes », c’est le début d’un sacerdoce qui dure depuis maintenant deux bonnes décennies, vingt ans à rafistoler comme il peut le corps et l’esprit  des suppliciées. A ses risques et périls. Régulièrement menacé, il a été victime en 2012 d’agression, sa voiture a été alors incendiée et  son vigile abattu. Aujourd’hui, il ne se déplace plus que sous bonne escorte  de Casques bleus.

Combien sont-elles, ces damnées de la terre à être venues un jour frapper à la porte de cette cour des miracles ? Elles ne seraient pas moins de 40 000 qui portent dans leur chair et leur âme les stigmates indélébiles et innomables des outrages à leur dignité ; beaucoup plus sans doute quand on sait que nombreuses doivent être celles qui n’osent pas franchir le portail du centre hospitalier, s’agissant de cas honteux comme ceux-là. Quelque 500 000 femmes seraient ainsi touchées en RDC par ces viols de masse. C’est tout cela qui vaut aujourd’hui à cette âme sensible à la détresse humaine la reconnaissance internationale rendue publique pendant qu’il était en pleine intervention.

Mais pour humanitaires qu’aient pu être les arguments qui ont emporté l’adhésion du comité Nobel norvégien, difficile de ne pas y voir une petite dose de thérapie politique à seulement trois mois des élections générales du 23 décembre 2018. Car si l’autre moitié du ciel souffre ainsi le martyre ici bas, c’est en grande partie à cause de l’instabilité chronique dans laquelle s’est installé ce vaste pays. Se contentant de régner sur Kinshasa et quelques grandes villes de l’intérieur, les Kabila père et fils ont progressivement abandonné des pans entiers du territoire à des soudards sans foi ni loi, quand ce ne sont pas les FARDC elles-mêmes qui se rendent coupables de ces atrocités.

Ces dernières années, la quinzième personne physique ou morale africaine (1) prix Nobel  depuis son institution en 1901, bien qu’elle se défende de faire de la politique sous couvert d’humanitaire, comme l’en accusent les autorités congolaises, ne se gênait plus d’attaquer frontalement le régime. En 2016, le Dr Mukwege avait ainsi prôné une transition sans Mobutu light (JA dixit) après l’expiration du mandat de celui-ci et, pas plus tard qu’en juillet dernier, il émettait des doutes sur la sincérité du scrutin à venir. On comprend dès lors que le pouvoir ait fait le service minimum en accueillant plutôt tièdement cette distinction, même si pour lui elle honore toute la RDC. Il faut maintenant espérer que cette reconnaissance internationale désormais consacrée ouvre  la voie, selon le vœu même du récipiendaire, à la prochaine étape de ce long combat, celle des réparations pour des crimes restés souvent impunis et même parfois non reconnus comme tels. 

 

La Rédaction

(1) Les quatorze précédentes sont :

- 1960 : Albert John Luthuli (Afrique du Sud) ;

- 1978 : Anouar el Sadate (Egypte) avec l’Israélien Menahem Begin ;

- 1984 : Mgr Desmond Tutu (Afrique du Sud) ;

- 1993 : Nelson Mandela et Frederick de Klerk (Afrique du Sud) ;

- 2001 : Kofi Annan (Ghana) avec l’ONU dont il était le secrétaire général ;

- 2004 : la biologiste kényane Wangari Maathai ;

- 2005 : Mohamed el-Barradei (Egypte) avec l’Agence internationale de l’énergie atomique qu’il dirigeait ;

- 2011 : Ellen Johnson-Sirleaf et sa compatriote Leymah Gbowee (Liberia) ;

- 2015 : le quartet (l’UGTT, l’UTICA, l’Ordre des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l’homme) du dialogue national en Tunisie. 

Dernière modification lelundi, 08 octobre 2018 23:21

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