Menu

Procès putsch manqué : «Le juge d’instruction avait déjà ses coupables désignés» (Gal Gilbert Diendéré)

Au 12e jour d’audition du général Gilbert Diendéré, les débats ont achoppé sur trois pièces que l’accusé a produites à l’audience précédente. Ce sont un document bancaire justifiant des 160 millions de francs CFA dont une partie avait été distribuée aux éléments du RSP au temps fort du putsch ; des listes émanant d’un ‘’Comité de résistance populaire’’, lequel préconisait d’utiliser les enfants comme bouclier humain et de faire verser beaucoup de sang, ainsi que le croquis du poste de commandement de Naaba Koom II. A propos des fameuses listes, «Golf» a déclaré que  «le dossier n’a pas été bien ficelé, que le juge n’est pas allé jusqu’au bout et qu’il avait déjà ses coupables désignés, à savoir le général Diendéré et le RSP».

 

 

Devant la barre de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou, hier 17 décembre 2018, le général Gilbert Diendéré a, d’abord,  expliqué qu’en produisant la pièce sur les 160 millions de francs CFA dont 85  avaient été distribués aux militaires de l’ex-RSP, il entend justifier l’origine de ce fonds. Il a, ensuite, fait cas de listes qu’il a présentées au juge d’instruction qui «n’en a pas du tout tenu compte alors qu’il pouvait approfondir son enquête sur les meurtres et coups et blessures». Selon le mis en cause, si le magistrat instructeur a agi de la sorte, c’est parce qu’il avait déjà ses coupables désignés dans cette affaire, à savoir le général Diendéré et le RSP. Dans son introduction, l’officier supérieur a émis le souhait de ne plus parler de la première pièce. «En ce qui concerne le document bancaire, je ne souhaite plus en parler. Les avocats des parties civiles et le parquet militaire ont déjà une idée arrêtée là-dessus. Quel que soit ce que je vais dire, ça ne va pas changer. Je souhaite qu’on referme  cette page et qu’on parle d’une autre pièce plus importante», a signifié le natif de Yako. «Nous vous notifions votre droit de ne pas répondre à toutes les questions», lui a rappelé le président du tribunal, Seidou Ouédraogo, avant de permettre aux avocats des parties civiles d’opiner sur la question.    

 «Après plusieurs versions du général sur la provenance de cette somme, la dernière a été de dire qu’il a aidé ses proches qui avaient besoin d’argent pour faire des affaires et quoi de plus normal que, quand il en a eu besoin, ses proches lui soient venus en aide en retour ? Si l’on s’en tient à la version du général, c’est cela. Est-ce que je suis conforme, mon général ? », a résumé Me Guy Hervé Kam pour commencer. Un commentaire qui laissera l’accusé de marbre, qui a marqué ainsi son refus de se prononcer sur cette question. Pour Me Kam, il est dans la conformité, étant donné qu’il n’y a pas eu d’objection. Il a ensuite livré au tribunal le fruit de ses recherches sur les proches dont l’accusé a fait mention sans préciser pour autant sur leurs identités. «Monsieur le président, il s’agit d’une société du nom de SEKAI TECH Côte d’Ivoire et d’une Société à responsabilité limitée (SARL), de droit burkinabè, tenue à 70% par Serge Ismaël Diendéré et Fatoumata Thérèse Diawara. Ses proches, c’est son fils et l’ex-compagne de celui-ci. Madame Diawara a dit à cette barre qu’elle à un cœur d’ange, qu’elle aime aider. Elle a expliqué avoir contacté le général Djibril Bassolé dans le but de venir en aide aux soldats du RSP qui avaient des problèmes. C’est à partir du 27, 28 septembre 2015 qu’elle est entrée en contact avec la Côte d’Ivoire d’où elle a cherché instamment de l’argent pour le général. Il se trouve que c’est elle qui aurait remis les 160 millions de francs CFA à son beau-père. Pour moi, ça pose deux problèmes », a développé Me Kam.

« Primo : si Fatoumata Thérèse Diawara a remis cette somme au général, il n’y avait aucune raison, selon lui, qu’elle cherche à récolter de l’argent auprès du général Bassolé. D’ailleurs, il était question de 25 000 francs par personne, or 160 millions divisés par 1300 (effectifs des éléments du RSP), ça fait environ 125 000 francs CFA par tête de pipe. Secundo : si le général ne veut plus en parler, c’est parce qu’il se serait rendu compte qu’il commettait une erreur en produisant cette pièce. « Dans la procédure où il est poursuivi en tant que caution (il avait garanti sa maison afin que la société puisse contracter un prêt pour faire ses affaires), la société était déjà redevable à la banque avant le coup d’Etat d’une somme de 93 millions. Cette même société avait 160 millions à remettre au général après le putsch ; on comprend donc qu’après avoir produit cette pièce, ce week-end, le général se soit rendu compte qu’il avait fait une erreur», a expliqué Me Kam.

«C’est le ‘’bori bana’’ du général »

Me Séraphin Somé, un autre avocat des parties civiles, lui, fera noter que «nous assistons ce matin à un spectacle affligeant». Selon ses propos, le général lui-même, qui avait affirmé au début de son interrogatoire qu’il était pour la manifestation de la vérité, a produit une pièce mais refuse de se prononcer là-dessus pour donner plus d’éclairage au tribunal. L’homme en robe noire a estimé que c’est la preuve que «c’est le bori bana du général (la course est finie en langue dioula). Cela est assez démonstratif de sa mauvaise foi ». Pour l’avocat, cet argent est une infime partie de la somme qui a été chargée dans l’avion revenu de la Côte d’Ivoire avec le matériel de maintien d’ordre. Dans la même dynamique, le parquet militaire tient également pour vraies les premières déclarations du général sur l’origine de cette manne financière. «En commission rogatoire à la gendarmerie, la question lui a été posée et sa réponse a été très claire. Question : D’où sont venus les 160 millions ? Réponse : De la Côte d’Ivoire. Question : Auprès de qui les avez-vous obtenus ? Réponse : Le chef d’état-major particulier de la présidence ivoirienne. Question : Lui, il les a obtenus de qui ? Réponse : Je ne sais pas. Question : Quel est le nom du chef d’état-major particulier ? Réponse : Le général Diomandé», a lu le parquetier, pour qui le général produit des pièces censées le décharger alors qu’elles peuvent aussi produire l’effet contraire.

Se prononçant sur les fameuses listes, le ministère public a souhaité d’abord parler de la forme des documents avant de s’étaler sur le fond. Alors que les photocopies qu’il tenait ne lui permettaient pas de lire les dates, le parquetier demandera des précisions au général. «C’est le 18 et le 20 septembre 2015 », a pourtant lu le général qui venait de les recevoir de son conseil, Me Olivier Yelkouni. «Monsieur le président, la défense a dit qu’elle cherchait l’original. Qui en est l’auteur s’il détient l’original, est-ce le général lui-même qui l’a rédigée ? », a interrogé la partie poursuivante. « Je ne peux pas vous donner mes sources de renseignement, ce sont des participants à la réunion qui l’ont rédigée », a réagi le comparant. Et le procureur militaire de préciser que l’ordre du jour du 18 était ainsi libellé, en substance : ‘’rencontre mouvement de résistance civile, attaque CND et alliés’’ et celui du 20 : ‘’faire échec au coup d’Etat’’. Il a ajouté que le doc ne fournit aucune idée sur sa nature exacte. (Est-ce un P.-V, un rapport ?). Le sexagénaire, se sentant de nouveau visé, a rétorqué qu’ «il faut opiner là-dessus et ne pas chercher à savoir comment je l’ai obtenu et par qui je l’ai obtenu. Je pense que ça aurait dû être exploité. Je ne prends pas cela pour argent comptant mais le juge d'instruction aurait dû creuser». Le ping-pong entre l’accusé et le parquet se fait plus sentir : «Pour l’instant, nous ne doutons pas de son authenticité, mais quand un juriste tient un document, il en apprécie d’abord la forme : ça provient de qui et est-ce que cette personne a la compétence pour le rédiger, il faut qu’on comprenne tout cela ». «Monsieur le procureur, ce que vous me demandez aurait dû être fait chez le juge d’instruction. Dans le P.-V de fouilles au corps me concernant, ça a été listé, le juge est au courant de son contenu, il ne m’a pas posé de questions là-dessus, ce document est resté avec lui pendant deux ans. Il l’a banalisé, mais si vous voulez le faire également, je ne vous oblige pas à opiner là-dessus», a martelé le général. Le procureur militaire qui ne pouvait pas être satisfait par cette réplique, a contre-attaqué aussitôt : «Mon général, si vous l’avez produit comme pièce et que le président l’a accepté, permettez-nous de chercher à le comprendre en abordant d’emblée la forme, ce document ne comporte aucun sceau». Et d’ajouter qu’on y retrouve deux écritures différentes, des surcharges, des ratures, et pas de signature de surcroît. L’accusation a suggéré de prendre les listes avec des pincettes, voire de ne pas les accepter comme des pièces du dossier.

«Inoussa Kanazoé et Moussa Kouanda auraient financé le putsch »

Las des débats juridiques, le cerveau présumé du coup abordera le contenu des listes, contenant des noms de personnes et leurs contacts téléphoniques. Ces personnes, à l’écouter, préconisaient au temps fort du coup de force de « lui faire verser le sang de sa population » ; «utiliser les enfants comme bouclier humain, au premier plan ». «On ne veut pas qu’on en parle, les parents des victimes et le peuple burkinabè auraient compris que le juge d’instruction et le parquet militaire nous cachent des choses».

Par rapport à l’attitude du juge d’instruction, Me Abdoul Latif Dabo fera noter du deux poids deux mesures. «Quand le Premier ministre d’alors, Yacouba Isaac Zida, avait déclaré que ce sont les opérateurs économiques Inoussa Kanazoé et Moussa Kouanda qui auraient financé le putsch manqué, le juge d’instruction les avait convoqués pour les entendre à ce sujet. Mais quand c’est le général Diendéré qui lui montre des listes de personnes, il ne trouve pas nécessaire d’instruire. Inoussa Kanazoé et Moussa Kouanda ne sont d’ailleurs pas dans le box des accusés, on ne les voit pas ici et c’est la preuve qu’on ne demande pas de condamner ces personnes. Nous ne disons pas qu’elles sont d’office coupables ou innocentes. Même au commissariat de police quand quelqu’un donne le nom d’une personne qui serait son complice, on convoque tout le monde pour les écouter. Monsieur le président, vous pouvez recevoir cette pièce», a plaidé l’avocat du général. Sur l’origine de la pièce, Me Dabo a pris l’exemple des journalistes d’investigation qui font de la protection de leurs sources une règle cardinale. Pour lui, c’est exactement la même conduite au niveau du renseignement.  

Son confrère, Me Olivier Yelkouni, ajoutera que la deuxième pièce a engendré un malaise et est la preuve que le dossier a été instruit uniquement à charge. Selon ses explications, si des gens ont eu l’intention de «harceler les éléments du RSP et de leur faire verser du sang», ce sont déjà des informations suffisantes pour mettre en branle une action judiciaire.

L’interrogatoire du général se poursuit ce 18 décembre 2018 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000.  

Aboubacar Dermé

J. Benjamine Kaboré

Encadré :

«Vous avez devant vous un accusé versatile »

Dans ses observations, le procureur militaire a lancé que «c’est compliqué avec le général. Vous dites une chose et après, vous faites un rétropédalage, vos moyens de défense sont évolutifs, il est difficile de vous suivre ». Réaction de «Golf » : «Vous ne pouvez pas avoir un général à la barre et penser que ça va être facile, c’est forcément compliqué». Le général n’avait pas fini de parler qu’un de ses supporters a failli l’acclamer.

Par ailleurs, Me Séraphin Somé, un avocat des parties civiles, lui, indiquera que le général a passé son temps à  changer de versions des enquêtes préliminaires à la barre en passant par le juge d’instruction. «Monsieur le président, vous avez devant vous un accusé versatile. Quel sérieux, quel crédit accorder à ses déclarations ? Si on doit dire quelque chose, en un mot, concernant sa comparution depuis le 26 novembre, on ne saurait quoi dire. Or, avec un général, ça devait être plus facile. L’officier n’a qu’une parole de même que l’officier supérieur. Pour l’officier général, ça devait être proche de l’Évangile de sorte à nous faire comprendre ce qui s’est passé. Mais là, il est en train de nous infliger une torture morale avec ses rétropédalages. Mon général, abrégez nos souffrances », a signifié l’avocat. «Vous souffrez car vous êtes venu au procès avec une idée arrêtée. Vous allez continuer à souffrir ; moi, je ne peux pas abréger cette souffrance », a conclu le mis en cause.

A.D.      

Encadré :

A quoi joue le général ?

 

« Je ne vais pas répondre à ça !

Moi, j’ai déjà répondu à ça !

Cela fait trois semaines que je vous explique cela. 

C’est une discussion stérile, nous avons parlé déjà de ça ici de long en large !

Vous êtes en train de tourner en rond !

J’ai été suffisamment clair sur ça ! »

Voilà autant de réponses du général lorsque les avocats des parties civiles lui posent certaines questions. On aurait donc envie de donner raison à ceux qui disent que le procès ressemble à un théâtre ou chacun vient jouer son rôle. En tout cas, si c’est le cas, on pourra dire que le général joue très bien le sien. Et ce n’est pas Me Guy Hervé Kam qui dira le contraire, vu que le général aux deux étoiles n’a pas répondu à ses questions. Il le fait remarquer d’ailleurs : « Il ne répond pas aux questions de la partie civile et quand il fait l’effort, sa voix est inaudible », a indiqué l’avocat avant d’ajouter que le fait que l’accusé ne se défende pas et passe son temps à accuser les autres le fait penser à un général allemand qui, après la guerre, a soutenu lors de son jugement qu’il a agi par patriotisme. Des remarques de l’avocat auxquelles le général a fait noter : « Je dis à haute et intelligible voix que je n’ai pas d’observations à faire ».

JBK 

 

Encadré : 

« Que Dieu nous protège »

Me Prosper Farama a interrogé le Gal Diendéré pour la première fois ce lundi 17 décembre depuis le début de son audition. Il a introduit en demandant à l’accusé s’il veut bien répondre à ses questions, vu qu’il avait tout bloqué avec son confrère Kam.  Et le Gal de répondre par l’affirmative. D’entrée, il fait remarquer à l’assemblée que d’aucuns qualifient la partie civile «d’anti-réconciliation ».  « La justice n’est pas un cadre de pardon et de réconciliation. Si c’était le cas, nos prisons allaient être vides aujourd’hui», a précisé Me Farama, qui voit en leur rôle la quête de la manifestation de la vérité.

Me Prosper Farama a par ailleurs affirmé que le général a fait une forte déclaration sur laquelle il est d’accord. Il s’agit de la requête du général qui veut qu’on libère les jeunes soldats et qu’on le garde enfermé durant 100 ans à la MACA. « Je suis d’accord avec vous, mon général. Les petits sont justes de petites mains qui ont exécuté des ordres. Ils sont plus excusables que les gros cerveaux », a opiné l’avocat. Pour lui, si c’est dans cette logique que l’accusé a fait cette déclaration, il la trouve raisonnable. Mais si le présumé auteur du coup d’Etat a fait cette déclaration tout en niant sa culpabilité, cela n’est pas logique ni acceptable, car « ce n’est pas un coup d’Etat orphelin ». Selon le conseil, tout est une question de relation de cause à effet. Prenant l’exemple des jugements qui se font à la Cour pénale internationale (CPI), Me Farama a affirmé que ce ne sont pas les soldats qui sont sur le terrain qui y sont jugés mais que ce sont les cerveaux, ceux qui ont donné les ordres.

En ce qui concerne les accusations du général Gilbert Diendéré sur la hiérarchie militaire, et le fait qu’il réclame que cette hiérarchie soit aussi dans le box des accusés, l’avocat a dit ne pas être contre. «Je suis d’accord pour que la hiérarchie réponde de ses actes », a lâché l’avocat.  De quoi faire dire au général qu’il est touché que certains partagent ses points de vue.  Mais cette émotion ne va pas durer puisque lorsque Me Farama a commencé à poser des questions sur les relations que l’accusé avait avec l’extérieur, et si le matériel de maintien de l’ordre est rentré au Burkina par la voie officielle. « Je ne peux pas répondre », lui a dit le général.

Me Prosper Farama a voulu par ailleurs savoir si un subalterne peut ne pas exécuter un ordre. S’adressant à celui qui était considéré comme le père spirituel du RSP, l’avocat n’a pas eu de réponse. Ce qui l’amène à rappeler que ce procès a une valeur pédagogique et que c’est l’occasion d’éclaircir ces questions d’autant plus que beaucoup estiment que ce procès fait l’apologie de la désobéissance militaire. Insistant sur la question, l’avocat a demandé au mis en cause si le coup de force était un ordre militaire ou pas. « Je ne sais pas si un coup d’Etat est un ordre militaire ou pas», a répondu droit dans ses bottes le général. Une réponse qui a fait sortir Me Farama de ses gonds : « Si le tout-puissant général Diendéré ne sait pas cela, que Dieu nous protège». « Inch’Allah », a conclu le mis en cause.

JBK

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut