Menu

Projecteur: Tics, toc, manies d’écrivains

 

Il est peu d’écrivains qui n’aient besoin de rituel pour aborder l’écriture.  L’un s’attache à un stylo fétiche, l’autre  aménage un cadre douillet avec des choses aimées, un troisième a besoin de fuir le monde. Tout se passe comme si, l’inspiration étant chose irrationnelle, il faut une pensée magique, un rituel, pour la faire venir. Petit inventaire des tics, des toc (troubles obsessionnels compulsifs) et des manies de nos écrivains.

 

 

Il y a peu, nous avons rencontré  un écrivain burkinabè qui avait fugué de chez lui ; il avait abandonné famille et maison pour se réfugier dans une chambre d’hôtel à moins d’un kilomètre de chez lui pour écrire un texte de commande : une pièce de théâtre. Il avait besoin d’un cadre plus neutre, loin de son cadre quotidien, de la  famille, pour créer. Etrange, direz-vous ! Pourtant ce cas n’est pas l’exception mais plutôt la règle chez les écrivains.

La fuite du cadre familial fait partie du rituel d’écriture de beaucoup de plumitifs. Dominique Fabre, auteur de Pour une femme de son âge, ne peut écrire chez lui. Il a besoin d’un lieu anonyme, loin des siens, pour travailler. « Un atelier, une chambre de bonne, la maison d’une collègue partie en vacances », tout sauf le domicile, confiait-il au journal le Monde. Mais la palme revient à l’auteur de Mendiants  et Orgueilleux, Albert Cossery  qui a vécu pendant 60 ans dans une chambre de l’hôtel Louisiane ; c’est là qu’il écrivit ses huit romans en s’obligeant à écrire une phrase par jour !

Mais d’autres ont des lubies plus fantasques : les académiciens Dany Laferrière, auteur de Je suis un écrivain japonais ainsi qu’Edmond Rostand, le père de Cyrano de Bergerac, écrivent tous deux confortablement allongés dans leur baignoire, flottant comme un bouchon de champagne grâce à la poussée d’Archimède et au vin rouge pour le premier. Raymond Carver   s’enfermait dans sa voiture pour écrire ses nouvelles dont la brièveté et le dépouillement ont fait le succès.

Maintenant quittons les écrivains qui malgré leurs manies différentes peuvent être rangés dans la famille des écrivains de la fixité, qui demeurent dans un lieu pour écrire et intéressons-nous aux écrivains qui ont besoin d’être en mouvement pour créer.

De ceux-là le poète Jacques Guégané. Il  a besoin de marcher sous la canopée des arbres géants de la forêt  Bangr-weogo, dès l’aube, au moment où les rayons du soleil ensommeillé tentent de s’extirper des draps de la nuit et où Ouagadougou a encore le souffle léger d’un enfant, pas encore celui de midi, pétaradant d’un ronfleur ivre. C’est en marchant sous la foulée légère que lui viennent les versets et leur rythme. Rentré à la maison, l’auteur de  La Guerre des sables  se met à sa table de travail, entouré de livres et tournant le dos à la fenêtre, il transcrit ces vers chus du feuillage pendant la marche. Son travail à la maison est proche de celui  du jardinier : il coupe, il taille, il émonde.

Des écrivains dont l’inspiration naît de la foulée, on peut citer James Joyce dont les déambulations dans Dublin ont accouché du roman Ulysse et Charles Baudelaire qui marchait dans Paris  jusqu’à ressentir des crampes avant d’écrire, Jean Jacques Rousseau dont les Méditations d’un promeneur solitaire en disent long sur cette inclination du philosophe pédagogue. Et Charles Dickens, l’auteur des Grandes Espérances, s’obligeait à une promenade de trois heures dans la campagne et les rues de Londres dans l’après-midi pour trouver des idées.

Comme il y a des trotteurs et des marathoniens, le célèbre écrivain japonais Haruki Murakami, auteur de l’Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, a besoin d’avaler des kilomètres pour se préparer à l’écriture. Dans un entretien avec John Wray, il confiait courir tous les dix kilomètres et nager sur quinze cents mètres les après-midi avant d’aller tôt au lit, espérant qu’au réveil, le lendemain matin, ce régime d’athlète lui vaudrait les faveurs de l’inspiration.

Il y a aussi ceux qui ont besoin de perdre leur lucidité pour oser affronter la page blanche : Jean Cocteau avait l’opium, Charles Baudelaire le haschich, Aldous Huxley le LSD, Arthur Rimbaud l’absinthe, Jean-Paul Sartre la mescaline, hallucinogène à base de cactus, Ernest Hemingway et Charles Bukowski les alcools forts.

Comme on le voit, chaque écrivain se crée un «chez-soi» psychique, un espace de confort et de sécurité  pour affronter les impondérables de l’écriture. Mais le paradoxe est que toutes ces manies, ces rituels d’une certaine façon, retardent l’acte d’écrire.  Mais au-delà de ces tics et tocs, il n’y a que le travail qui véritablement fait l’écrivain. Le talent est un diamant brut, sans le travail de taille, de polissage, de ciselage, il n’est qu’une pierre sans lustre.

Saïdou Alcény Barry

 

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut