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Grossesses en milieu scolaire : Nandiala, maternité à ciel ouvert

 

Des grossesses comme s’il en pleuvait. Tel aurait pu être aussi le titre de cet article. Car le constat que nous avons fait à Nandiala, à 25 km de Koudougou dans la province du Boulkiemdé, nous a laissé perplexe. Tant le phénomène y a pris des proportions très inquiétantes. Une situation d’autant plus choquante qu’elle concerne des filles dont certaines sont à peine sorties de l’enfance.  Nous avons passé trois jours dans cette commune afin de mieux cerner les contours de ce problème. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a lieu de tirer la sonnette d’alarme.

 

 

Déjà, le 17 octobre 2017, le Cadre unitaire d’action sonnait le tocsin à travers un forum sur les grossesses en milieu scolaire. Cette rencontre avait regroupé parents et délégués des élèves, chefferie coutumière et responsables des établissements d’enseignement. Ce beau monde avait aussi échangé sur les avortements à risques et les déperditions scolaires qui en découlaient. Au cours de ce forum, des propositions courageuses et inédites avaient été faites en vue d’endiguer le mal. Un an après, force est de reconnaître que les choses n’ont pas changé. On a même l’impression qu’elles sont allées de mal en pis. Et les chiffres sont là pour étayer cette impression. Car, dans cette localité, elles sont de plus en plus nombreuses à tomber enceintes en pleine scolarité. Hallucinant ! Décourageant !

 

BEPC dans le sac et enfant poussant dans le ventre

 

Le soleil était au zénith quand nous arrivions à Nandiala après trente minutes de route. ‘’Arrivé, appelez Adama Kabré à ce numéro’’, nous avait indiqué Idrissa Tiemtoré, coordonnateur du Cadre unitaire d’action. Nous retrouvâmes en effet Adama Kabré à son atelier. Il sera notre guide tout au long du reportage. Grâce aux efforts préliminaires qu’avaient faits Adama Kabré, nous n’eûmes pas de mal à localiser quelques ‘’porteuses’’ de grossesses précoces et non désirées. ‘’Je suis à mon neuvième mois de grossesse. Je vais accoucher dans ce mois de novembre ou en début décembre’’, Confie Bernadine, élève en classe de seconde A4. Après avoir échoué lors de la session 2016-2017, elle obtint son BEPC et son entrée en seconde à la session dernière. Malgré une grossesse contractée en mars de cette année. Première à en être informée, sa mère. Avant que son père ne soupçonne cette ‘’abomination’’, elle est contrainte de quitter le giron familial. Direction la cour d’une tante, comme c’est souvent le cas en pareille situation, puis celle de ‘’l’engrosseur’’, un élève d’un lycée privé de la place. Le père, que nous retrouvons plus tard au marché, n’en sera informé que quand il remarquera son absence.

Tambi évoque une situation qui continue de le traumatiser. Il nous apprend que Bernadine sera sa quatrième fille à ramener une grossesse de l’école alors qu’il en attendait des diplômes. Ses grandes sœurs sont allées accoucher chez leurs tantes avant de regagner le domicile paternel. ‘’Est-ce que je vais répudier mes filles ? Non ! Je ne peux obliger quiconque à épouser mes filles. Si elles avaient écouté nos conseils, cela n’allait pas leur arriver’’, soupire-t-il.

‘’J’ai commencé à fréquenter mon petit ami en janvier 2018 à l’insu de nos parents respectifs. Au début nous nous protégions lors des rapports sexuels, mais après on a laissé tomber. Et deux mois après notre rencontre, je suis tombée enceinte’’, raconte presque avec désinvolture la « victime ». ‘’Hormis ma maman, il m’est interdit de parler à mon père et à mes frères. Il est dit que si l’un d’entre eux m’adressait la parole, il mourrait’’, conte la future mère. Parti à Ouaga où il travaille dans la maçonnerie, son ‘’mari’’, ainsi qu’elle le désigne, lui enverrait régulièrement de l’argent. Elle soutient être bien traitée par sa ‘’belle-famille’’ et dit ne pas regretter d’avoir gardé la grossesse, même si au début le jeune voulait qu’elle avortât. Bien que le volume de son ventre révèle son statut de fille enceinte, Bernadine dit n’avoir jamais été victime de stigmatisation de la part de ses camarades. ‘’Je suis les visites prénatales, tout va bien. J’espère voir bientôt le visage de mon bébé’’, murmure-t-elle, le regard dans le vide.

 

Je ne savais pas que je pouvais tomber enceinte

 

Juliette, teint clair « sans produits ghanéens » comme on dit, 1 m 45, l’air un peu fuyant et craintif. Elle fait la 3e. Son cursus scolaire a été freiné à trois reprises dans les classes du CM2, de 4e et de 3e. Elle a une grande sœur et un grand frère qui sont étudiants à Koudougou ainsi que quatre petits frères dont trois scolarisés. Elle aussi a dû quitter le domicile paternel pour celui de son petit copain (élève en classe de seconde à Koudougou), dès que sa grossesse, qui évolue depuis trois mois, a été découverte. ‘’Les premiers jours on se protégeait, mais après on a laissé, car je ne savais pas que je pouvais tomber enceinte’’, explique Juliette toute candide. Si le garçon n’a pas fait de difficultés à reconnaître son ‘’forfait’’, et aurait même promis de l’épouser, elle essuiera de la résistance du côté de ses ‘’beaux-parents’’. Ils ont fini par céder quand la pauvre Juliette a été expulsée de sa famille. Elle non plus ne peut avoir de contact avec les membres masculins de sa famille. ‘’On dit que c’est un totem’’. Pas même son petit frère, qui est dans le même établissement, n’a le droit de lui adresser le moindre mot. ‘’J’ai vu une fois mon père en ville. Mais je ne me suis pas approchée de lui’’, soupire-t-elle. Elle reconnaît que cette situation, les ennuis de santé et les remords la peinent. Selon elle, l’administration du lycée ignorerait toujours sa situation, mais nous avons pu vérifier que tel n’était pas le cas.

 

Je suis sûre qu’il m’a ‘’wackée’’

 

‘’Personne ne peut voir cette fille et imaginer qu’elle connaît homme’’, murmure notre guide, les yeux rivés sur Kiemtoré W. Pélagie. Pourtant, cette gamine de 16 ans, en classe de 5e au collège départemental de Nandiala, est non seulement mère d’un garçon de deux ans, mais porte encore une grossesse de deux mois. Elle n’a jamais redoublé de classe. Elle est passée en 5e avec 12 sur 20. Calme et frisant la timide, elle a cependant une vie sexuelle très précoce. Elle n’a eu recours à aucun test de grossesse pour savoir qu’elle est tombée enceinte pour la seconde fois en moins de trois ans. L’auteur ? Un homme marié de plus de trente ans, cultivateur de son état. ‘’Il m’a wackée. Car je ne le voulais pas. Mais quand il m’appelle, je ne peux m’empêcher d’y aller’’, se lamente-t-elle. Comment prêter foi à ce qu’elle nous a dit ? Puisque, quand nous nous sommes rendus chez ses grands-parents où elle vit, nous avons compris que ceux-ci ignoraient que leur petite-fille, dont les parents vivent dans la province du Houet, a encore un polichinelle dans le tiroir. Nous nous sommes gardés de leur piper mot ; ne voulant pas être cet étranger annonciateur de si ‘’horrible’’ nouvelle. Le drame de la petite Pélagie, c’est qu’elle risque d’être chassée de l’école pour non-paiement défaut de la scolarité. ‘’Mon père a envoyé l’argent, mais grand-père l’a bouffé. L’intendant est déjà venu annoncer qu’il va renvoyer ceux qui ne sont pas à jour. J’ai demandé à l’homme qui m’a enceintée de payer, mais il a refusé’’ de le faire, gémit-elle.

 

‘’On se voyait mais pas en plein jour’’

 

‘’Si je ne trouve pas de solution, je vais aller à Bobo voir mon père’’, affirme l’infortunée, la voix enrouée par des sanglots qu’elle étouffe difficilement. Cette benjamine d’une fratrie de dix enfants ajoute que l’auteur de sa deuxième grossesse aurait voulu qu’elle avorte mais qu’elle aurait refusé. Il a fallu insister avant qu’elle lâche le nom de l’auteur de sa grossesse, un certain Pascal. ‘’Je ne connais pas son domicile. On se croisait un peu partout en ville, mais pas en plein jour’’, prétend-elle. As-tu son numéro de téléphone ? ‘’Oui. Mais ça ne passe plus’’, répond la fillette de 16 ans. Puis elle nous donne un numéro, en nous suppliant de ne pas dire que c’est elle qui nous l’a remis. Quand nous avons appelé au numéro censé être celui du nommé Pascal, et après que nous nous sommes présenté et avons manifesté notre désir de le rencontrer, mais sans en préciser l’objet, une voix à l’autre bout du fil nous a indiqué qu’il est occupé et qu’il nous ferait signe sous peu.

 

Une grossesse à seulement 14 ans

 

Après une heure d’attente, nous composons de nouveau le numéro, qui semble avoir été fermé. Nous n’avons donc pu vérifier la véracité des propos de Pélagie. Un flou qui ne sera pas dissipé quand nous sommes allés voir ses tuteurs. En l’absence du grand-père, c’est la grand-mère, Rosalie, qui nous reçoit, devant une vaste cour composée de plusieurs concessions. Nous prenons place à l’ombre d’un antique grenier. En face, sous un vieux et majestueux tamarinier, une flopée de femmes, de jeunes et de bambins. Parmi eux, un gosse de deux ans. ‘’C’est l’enfant de Pélagie’’, nous apprend la mamie. Après moult hésitations, elle finit par lâcher d’un trait, ‘’Pélagie a pris cette grossesse quand elle avait 14 ans. C’était toujours une gamine. Nous n’avons jamais su qui en était l’auteur. Elle nous a dit que c’est un homme marié du village. C’est Dieu qui va juger. Je souhaite désormais qu’elle se consacre à ses études. Nous sommes ses parents, mais nous ne pouvons pas la suivre partout’’. Nous réalisons alors qu’elle ignorait que sa petite fille était encore enceinte.

 

On ne doit pas piétiner les testicules d’un aveugle deux fois

 

Nous avons dû, avec tact et improvisation, réorienter nos questions. ‘’Est-ce que vous avez pris des mesures pour mieux la surveiller ?’’. ‘’C’est difficile. Vous connaissez les enfants. Mais avec ce qui lui est arrivé, c’est elle qui va conseiller les autres’’, répond Dame Rosalie. ‘’Et si elle vous amenait encore une grossesse ?’’, risquons-nous prudemment. Comme pour conjurer le sort, la veille ferme d’un geste brusque de la main sa bouche. Elle étouffe une exclamation en remuant la tête et cachant son visage de l’autre main. L’assistance éclate de rire. ‘’Une grossesse ? Que Dieu l’en préserve’’, marmonne-t-elle. Une femme, assise sur la racine du tamarinier, ajoute : ‘’Est-ce que quand un homme va appeler Pélagie elle ne va pas courir ? ’’. Éclats de rire. Un des garçons ajoute, dans l’hilarité générale, qu’on ne doit pas piétiner les testicules d’un aveugle deux fois. D’autant plus que, selon la grand-mère, le supposé auteur de la grossesse, désigné par Pélagie, aurait nié. Conséquence, le rejeton porte le nom de sa mère, c'est-à-dire Kiemtoré. Nous imaginons le drame que cette famille vivra quand elle saura que leur petite fille est encore « pleine ». Alors que nous nous apprêtons à prendre congé, arrive le grand-père. Il est mis au courant de notre démarche. ‘’Que Dieu vous bénisse. Aidez-nous à conseiller nos enfants. Une fois qu’ils sont à l’école, ils ne nous écoutent plus. Qu’est-ce que nous pouvons faire ?’’. Cette question trottait toujours dans notre tête quand nous quittions cette famille pour aller à la rencontre de Thérèse.

 

200 000 FCFA pour interrompre une grossesse

 

Petite de taille, teint noir, elle a le corps décharné, sûrement éprouvé par l’allaitement de son fils d’à peine deux ans. On ne peut s’empêcher d’éprouver de la pitié quand on la voit. Entre ses frêles bras est accroché un garçonnet. Il s’acharnait sur deux seins qui ne lui fournissent pas de lait à gogo. ‘’Il boit aussi la bouillie. Sinon le lait ne lui suffit pas. C’est un vrai gourmand’’, confie la jeune mère, une pointe d’humour dans la voix. Elle nous apprend que c’est à son CM2 qu’elle a contracté sa grossesse. ‘’Après quatre mois de grossesse, j’ai arrêté les cours à deux mois du CEP, car ça me fatiguait. C’était des jumeaux, mais l’autre n’a pas survécu. J’ai accouché en 2017 (elle ne se souvient plus du mois). Quand mes parents ont su que j’étais enceinte, ils m’ont mise dehors. Mais auparavant, j’en avais informé mon copain, Alassane. Il a tout fait pour que j’avorte, chose que je n’ai pas acceptée. Quand mes parents m’ont chassée, il avait d’abord refusé que je vienne chez lui. Son désir, c’était que j’interrompe la grossesse. Il m’a remis 200 000F pour ça. Se heurtant à mon refus, il a repris son argent, et m’a finalement accueillie chez lui’’. Elle s’arrête net et éclate en sanglots. Son enfant, comme par effet de contagion, se met à crier aussi. Nous mîmes près de cinq minutes à la calmer. Puis brusquement, elle se mit à sourire en regardant son bébé. ‘’Son papa est dans une agence à Ouaga. Quand il vient et voit l’enfant, il est content. Il lui amène chaque fois des cadeaux’’, ajoute cette jeune maman qui avait eu 6 sur 10 de moyenne au premier trimestre. Quel gâchis !

Un proche d’Alassane nous apprend que le jeune homme gérait une boutique de son oncle à Nandiala. ‘’Il a dilapidé l’argent. Les filles lui couraient derrière. Thérèse et une autre fille de la classe de 5e se sont même battues pour lui. Quand ma nièce est tombée enceinte, il lui a proposé beaucoup d’argent pour avorter. Son oncle a dû le chasser de sa boutique et il a quitté le village pour Ouagadougou’’, raconte ce proche parent qui n’a pas voulu qu’on mentionne son nom. ‘’Je ne veux pas de problème avec qui que ce soit’’, prévient-il. Sur le chemin du retour,  lorsque la nuit commençait à couvrir la cité de son voile opaque, le film de cette journée repassait en boucle dans notre tête au fur et à mesure que nous avalions les kilomètres.

 

Deux mois de cours et déjà une dizaine de grossesses

 

Le lendemain retour dans cette maternité à ciel ouvert. Alors qu’il n’était que 8h 40, nous voilà devant le bâtiment de l’administration du lycée départemental de Nandiala. Nous sommes accueilli par le conseiller d’éducation Paul Konwama Ky et l’attachée d’éducation du service de la vie scolaire, Mariam Soré. Six cas de grossesse y sont déjà enregistrés, depuis la rentrée scolaire 2018-2019. ‘’Nous répertorions les grossesses sur la base des rapports des professeurs d’éducation physique, du cahier de santé du lycée, des déclarations des parents ou des autres élèves’’, indique Paul Ky. Les filles en situation de grossesse dans cet établissement sont des élèves des classes de Terminale, de seconde, de 3e, de 4e et de 6e (lire encadré). Il faut dire que le lycée départemental de Nandiala risque de battre son record de l’année passée au cours de laquelle quinze cas de grossesse avaient été totalisés. Car en seulement deux mois, comme indiqué plus haut, on y note déjà six grossesses. Un chiffre qui pourrait être en deçà de la réalité, à en croire certains élèves.

 

Avortements tous azimuts mais en catimini ?

 

Alors que Mariam Soré affirme que l’administration n’a jamais eu vent de cas d’avortement, la veille Juliette a déclaré que plusieurs filles ont interrompu volontairement leur grossesse. Malgré notre insistance, elle s’est refusée à nous donner des noms. ‘’Waaiii ! Je ne veux pas de problème hein. Même en ville, il y a des filles non scolarisées qui ont avorté’’, soutient-elle ; affirmant que bien que tout se fasse en cachette, tout finit par se savoir. Combien de filles dans votre lycée sont enceintes actuellement ? ‘’Si c’est ça là, c’est versé beaucoup même’’, affirme cette élève de la classe de 3e. ‘’Dix même, c’est petit’’, insiste-t-elle en riant. Son camarade de classe David Kombasséré confirme quelque peu ses dires, en soutenant que dans presque toutes les classes, il y a des filles qui sont enceintes. Selon David, qui jure n’avoir pas de petite amie, les filles n’écoutent plus les conseils des parents et des professeurs. Parmi les six filles enceintes répertoriées, Noëlie, 16 ans, en classe de 4e. Tout au long de notre brève causerie, elle n’a cessé de fuir notre regard. A un certain moment, elle n’a pu retenir ses larmes. Elle a piqué sa grossesse à Léo (province de la Sissili), et l’auteur est un élève de la 1re. ‘’J’ai voulu aller chez lui, mais mon père a refusé, préférant m’envoyer chez ma tante ici’’, confie-t-elle. La voix nouée par des sanglots étouffés, elle nous apprend que sa mère est séparée de son père et vivrait à Koudougou. ‘’Si je vivais avec ma maman, cette situation n’allait pas m’arriver’’, murmure-t-elle, les yeux inondés de larmes.

 

Un manque général de prise de conscience

 

Le proviseur, Gérard Tapsoba, se désole face à ce fléau qui frappe les filles de son lycée, lequel compte 611 élèves, dont 290 filles. Selon lui, la principale cause pourrait être la pauvreté (lire encadré). Le même flou quant au nombre de grossesses prévaut au collège d’enseignement général (CEG) de Nandiala Centre. Le directeur de ce CEG, Boukari Kaboré, parle de deux cas. La mairie, par l’entremise de la 1re adjointe au maire, annonce six cas. Des échanges avec trois élèves de différentes classes estiment les cas à sept ou huit. Et c’est sans compter les six cas enregistrés l’année passée et dont certaines des porteuses n’ont pas encore accouché. Sur ces six cas, un est le fait d’un élève de  3e résidant à Koudougou, trois autres le sont de non-scolarisés de Nandiala et deux étaient l’œuvre d’autres élèves de la localité. ‘’Nous n’en avions pas encore fait le point avec les professeurs principaux. C’est probable que le nombre de grossesses soit plus important. Malgré la sensibilisation, on fait face à un manque général de prise de conscience’’, estime Boukari Kaboré. ‘’L’année passée, une fille a abandonné, car elle n’avait personne pour s’occuper de la garde de son enfant. Alors qu’au premier trimestre, elle a eu 12 de moyenne’’, ajoute, dépité, Boukari Kaboré.

 

A 18 ans, elle vit avec un ‘’mari’’ de 40 ans

 

Odette ne mesure pas plus d’un mètre 40, mais son corps est déjà celui d’une femme. Elle a 18 ans et est inscrite en classe de 4e. ‘’Je suis à un mois de grossesse. Mais depuis le mois de juin, j’ai rejoint mon mari. C’est un cultivateur né en 1978. Il était marié, mais sa femme est décédée. Quand il m’a vu, il a dit qu’il me veut comme sa femme. J’ai accepté, car mes parents voulaient me donner à un autre homme’’. En fait, son fameux mari, Samuel, est déjà père de 07 enfants dont une fille de 18 ans qui est dans la même classe qu’Odette. Elle accepte même de nous conduire auprès de son ‘’mari’’ dans un village situé à près de 15 km de Nandiala du nom de Gouron-Wéoguin. Samuel confirme qu’au début, les parents de la fille étaient réticents mais que maintenant, tout serait rentré dans l’ordre. Il dit qu’il ne voit pas d’inconvénient à ce que sa ‘’femme’’ poursuive ses études. ‘’C’est vrai qu’il y a des femmes qui, une fois qu’elles ont réussi dans leurs études, ne veulent plus vivre avec leurs maris paysans, mais je suis sûr que ça ne sera pas le cas avec Odette’’, prophétise l’époux. Quand nous lui demandons s’il était au courant qu’Odette était enceinte, il répond par la négation. ‘’C’est vous qui m’annoncez la bonne nouvelle. J’espère que ça ne va pas perturber son école. Si j’ai payé ses fournitures et lui ai acheté un vélo, c’est que je veux qu’elle aille loin dans ses études’’, soutient Samuel, débordant d’optimisme.

 

Des chiffres en hausse vertigineuse

 

Certes, nous nous sommes intéressés aux élèves des établissements publics de Nandiala. Mais il n’en demeure pas moins que le phénomène toucherait aussi des établissements privés. Nandiala en compte trois, dont un à l’effectif important.

Certes, ce reportage s’est focalisé sur l’aire territoriale de Nandiala. Mais ne nous leurrons pas ; le phénomène des grossesses en milieu scolaire touche toutes les localités du Pays des hommes intègres. Et ce ne sont pas les cas rapportés d’un peu partout qui nous contrediront. Pour preuve, cette année 2018, à la date du 30 juillet, le service des statistiques de la Direction provinciale de l’éducation préscolaire, primaire et non formelle du Boulkiemdé a enregistré 23 cas de grossesse rien qu’à l’école primaire. Les 23 enceintes sont majoritairement des élèves du CM2. En 2017, les chiffres arrêtés le 30 juillet affichaient 13 cas. On constatera qu’un an après, le nombre a quasiment doublé. Au niveau de la Direction régionale de l’enseignement secondaire du Centre Ouest, cette année 2018, le service des statistiques a répertorié, de la 6e à la Terminale, 150 grossesses non désirées dans la seule province du Boulkiemdé, et 250 dans l’ensemble des quatre provinces de la région. La frange importante de ces mères précoces est dans les classes de 5e et 4e. L’année précédente, soit en 2017, ce sont 81 filles ‘’seulement’’, de la 6e à la Terminale, qui ont contracté des grossesses en milieu scolaire.

 

 

Il est plus qu’urgent d’agir

 

Après trois jours à questionner et à écouter, nous quittons Nandiala le vague à l’âme. Qu’elle est loin l’époque où, pour avoir l’attention d’une fille, il fallait lui adresser une lettre et attendre son hypothétique réponse avant d’espérer aller au fond des choses après une période plus ou moins longue d’attente ! Qu’il est loin le temps où la vertu était le premier pagne dont se drapaient les filles ! Ce reportage finit de nous convaincre que la dégradation des mœurs, la dépravation et le libertinage ont atteint un niveau tel qu’il est plus qu’urgent que tous s’interrogent sur le type de jeunesse que nous voulons  et d’éducation donner à nos enfants. Mais en commençant nous-mêmes par être des modèles. Car c’est souvent facile de dire que les filles sont gâtées, en feignant pudiquement d’ignorer qu’elles ne se gâtent pas toutes seules ; que les ‘’enfants sont gâtés’’, en oubliant honteusement que le poisson commence toujours à pourrir par la tête !

 

Cyrille Zoma

 

Dix filles enceintes suivies, dont trois du CM2

 

A la date de notre passage, le mercredi 28 novembre 2018, dix filles enceintes fréquentaient la maternité du CSPS de Nandiala. Au nombre de celles-ci, trois sont en classe du CM2. Déjà, de janvier à octobre de cette année civile, huit filles ont accouché dans cette formation sanitaire. ‘’Nous avons dénombré dans cette période trois avortements incomplets. Elles ont commencé l’interruption volontaire à la maison, et devant les complications, elles ont été obligées de faire recours à nos services. Ces avortements sont légion, car beaucoup sont faits hors de Nandiala, ou quand ça marche, nous ne sommes pas mis au courant’’, confie l’accoucheuse Mariam Konsimbo. Selon elle, celles qui avortent le font, car elles ignorent « l’enceinteur » ou sur la pression des parents ou de l’auteur, ou même de leur propre initiative sans en informer quiconque. ‘’Malgré nos sensibilisations, les jeunes s’adonnent énormément à des relations sexuelles non protégées. Les risques de grossesses sont un moindre mal par rapport aux risques de contracter des maladies telles que le VIH-Sida, fait remarquer le major du CSPS de Nandiala, Yacouba Barry. Du reste, il n’exclut pas que le taux de prévalence du VIH dans cette commune rurale puisse être étonnamment élevé, quand il voit le libertinage et les pratiques sexuelles à risque.

 

C. Z.

 

 

Dès que tes seins pointent un peu, les hommes te courent après

 

Trois filles du CEG de Nandiala Centre, que nous avons rencontrées ensemble, ne se sont pas gênées de parler sans tabou des grossesses en milieu scolaire. De façon unanime, elles affirment que de nombreuses filles sont enceintes dans leur collège. Combien ? 10 ou 12, avancent-elles. Aucune de vous n’en porte ou n’en a jamais porté ? ‘’Non !’’, assurent-elles en chœur. « Pourquoi ? Les hommes du village ne s’intéressent pas à vous ? » « Bien sûr qu’ils nous courtisent. Ici, dès que tes seins sortent un peu, les hommes te courent après (rires). Ils ne cherchent même pas à connaître ton âge », raconte Sandrine Kaboré.

Elles affirment toutes repousser chaque fois les ardeurs des courtisans malgré les promesses d’argent et de téléphones portables. ‘’Je vois comment les filles qui tombent enceintes sont chassées de chez elles et souffrent’’, explique Marie Zongo. ‘’Moi, je sais que ça va jouer sur mon rendement scolaire. Mes parents ont investi leur argent sur moi. Je ne dois pas les décevoir’’, réagit Aïssa Simporé. ‘’Nous encourageons les filles à privilégier leurs études. Les garçons ne fuient pas. Les grossesses précoces non désirées compromettent notre avenir et annihilent les efforts de nos parents’’, estiment nos trois interlocutrices.

 

C. Z.

 

Sidonie Oubda, préfet du département de Nandiala

 

‘’L’année passée, c’était 38 cas. Cette année encore, des cas de grossesse nous sont signalés. Cela entraîne inéluctablement des plaintes auxquelles nous devons faire face. Elles sont pour la plupart  liées au paiement des frais de scolarité. Car, quand  les enfants tombent enceintes, les parents les envoient chez l’auteur  de la grossesse ou chez une tante et exigent alors que les responsables paient les frais de scolarité.

Le souci, c’est que souvent l’auteur est lui aussi un élève et donc sous la responsabilité de ses propres parents. Nous traitons actuellement un cas où la mère du garçon, qui, en plus de ce dernier, a d’autres enfants scolarisés à sa charge, a carrément dit qu’elle ne pourra pas payer les frais de scolarité de sa ‘’belle-fille’’. Nous lui avons alors enjoint de prendre le bébé afin que la mère puisse poursuivre ses études.

C. Z.

 

‘’C’est difficile de surveiller les fréquentations des filles’’

 

Hélène Tiemtoré, 1re ajointe au maire de Nandiala

‘’On nous signale déjà des cas de grossesses en milieu scolaire alors que nous ne sommes qu’à deux mois de cours. Il y a certes celles enregistrées au cours de l’année scolaire précédente, mais il y a de nouveaux cas. Comme cela a été le cas l’année passée, les responsables des établissements nous ont fait le point, et il est à craindre que nous vivions les mêmes situations. L’année écoulée, le nombre de cas était tellement élevé que cela a joué négativement sur les résultats scolaires.

Ce qui est inquiétant, c’est qu’à cet âge, les enfants aient déjà des relations sexuelles, mais pire, des relations sexuelles non protégées. Avec tout ce que cela comporte comme risque de contracter des maladies sexuellement transmissibles, dont surtout le VIH-Sida. Je suis outrée de voir que la majeure partie des grossesses sont l’œuvre d’adultes et de citoyens dont l’âge triple parfois celui des filles, si ce n’est plus. Les besoins financiers énormes des jeunes filles peuvent expliquer qu’elles tombent facilement dans le piège de gens sans scrupules’’.

 

C. Z.

 

‘’L’école est un piège pour les filles à Nandiala ?’’

 

Rencontré alors qu’il devisait avec deux autres hommes non loin du marché, Jean Kabré, la cinquantaine bien sonnée, cultivateur, n’a pas encore eu une fille en grossesse. Mais il n’en demeure pas moins qu’il est imprégné de cette ’’épidémie’’ qui frappe les petites demoiselles de la commune. Et il a sa petite idée sur les causes du phénomène.

La première serait le fait que les filles soient scolarisées. Non pas que ce soit une mauvaise chose que d’inscrire une fille à l’école, lui-même ayant ses trois filles scolarisées dont deux au secondaire, mais que l’école offre aux filles un statut les exposant aux désirs des villageois. « A Nandiala, c’est un privilège pour certains hommes d’avoir une copine à l’école ou au collège. Il n’est pas rare de voir un citoyen se vanter de sortir avec une élève. Et plus elle est jeune, plus sa gloire est grande. Ce qui fait que chacun fait tout pour avoir sa lycéenne ou sa collégienne ».

Et les conquérants sont prêts à y mettre le prix. « Au village ici, les filles ont juste besoin d’un portable de quinze mille francs et, de temps en temps, d’un peu d’argent », poursuit-il. Il n’accuse pas pour autant les filles. ‘’Nous, les parents, nous en sommes en grande partie responsables. Comment comprendre qu’une enfant de 15 ans vienne à la maison avec un téléphone sans que le père ou la mère cherchent à en savoir l’origine ? Comment comprendre qu’une enfant de cet âge puisse rentrer tard la nuit sans que ça inquiète les parents ?’’, s’interroge-t-il.

 

C. Z.

 

Zoom sur les présumées causes des grossesses en milieu scolaire

 

 « Les enfants sont sous l’attrait du gain facile, des portables et de l’argent. Ce qu’on prépare à la maison, elles trouvent que ce n’est pas bon, et elles ont besoin de repas que nous ne pouvons leur offrir », avance Rosalie Yaméogo, grand-mère de Pélagie Kiemtoré. « Le milieu familial et la société n’éduquent plus les enfants. On sent comme une démission des parents. A cela s’ajoutent les funérailles et les jours de marché (tous les trois jours) qui sont des moments propices aux libertinages. Les jours de marché, une sorte d’euphorie s’empare du village. Après toute une journée à se côtoyer, dès le crépuscule, on remarque sous les arbres ou dans certains recoins des couples qui s’adonnent à des actes inavouables », indique l’attachée d’éducation Mariam Soré. « Moi j’indexe la misère morale, l’effritement de la cellule familiale, les programmes des télévisions et des vidéos-clubs, les téléphones portables et les médias », relève le conseiller d’éducation Paul Ky. « L’arrivée de nos ressortissants de Côte d’Ivoire (koos-woéto) en fin d’année est aussi un facteur de risque pour les filles qui voient en eux des gens aux poches pleines », renchérit le directeur du CEG, Boukari Kaboré.

L’accoucheuse pointe du doigt les viols, les kermesses, les bals populaires, les soirées culturelles, les concours de danse et l’envie d’imiter les filles des grandes villes. « Les besoins démesurés des filles les rendent vulnérables. Imaginez un père qui n’a même pas un bon vélo, et sa fille veut un téléphone de 50 000 F. Pour l’avoir, elle est obligée de s’offrir au donneur. Des filles disent avoir même été envoûtées. Même si cela était avéré, ce serait parce qu’elles auraient prêté le flanc », martèle le préfet Sidonie Oubda.

 

C. Z.

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