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RDC : Chapeau bas, artiste Kabila !

Les résultats de la présidentielle et des législatives en RDC donnent plus que le tournis aux observateurs les plus avisés de ce landerneau politique bouillonnant depuis deux ans. Les élections qui y étaient attendues comme une solution de sortie de crise ont mis à nu les aspérités d’un processus chaotique où le désordre se l’est disputé aux entourloupes. Tout se passe comme si le pouvoir Kabila a fait un pied de nez aux électeurs congolais et à la communauté internationale : vous voulez des élections ? eh bien, en voici ! Pour le reste, le bon déroulement des votes, la transparence dans le dépouillement, la compilation des résultats, il faudra repasser.

 

 

Pour être un cas d’école pour étudiants en sciences politiques, le processus électoral congolais en est un. Il a offert l’illustration parfaite d’un chef d’Etat rétif à céder le pouvoir au terme de son mandat mais qui, poussé par la contestation interne et la  communauté internationale, est allé aux élections à reculons, dans un désordre organisé pour aboutir à un scénario de «qui perd gagne» !

 

On pensait avoir tout vu avec le bordel organisationnel le 30 décembre dernier, jour du triple scrutin. Il faut croire que non. Joseph Kabila et ses stratèges du Front commun pour le Congo (FCC) ont remis le couvert des surprises et des illogismes à la proclamation des résultats. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’à la compilation des suffrages, ils ont enfoncé la porte ouverte des irrégularités qui ont entaché ces élections avec un art de tricher tout en paraissant sincère.

 

On se surprend alors à admirer ces cerveaux diaboliquement géniaux qui ont créé ce bazar électoral en RDC, avec l’intelligence de provoquer la première alternance pacifique à la tête du pays, tout en la maintenant sous la coupe de Kabila fils et de son FCC. Et si dans ce capharnaüm électoral, on subodore un thing tank clandestin, tapi dans l’ombre de Mobutu light, jouant aux architectes de l’art de gagner en feignant la défaite, Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), est officiellement le maître d’œuvre de cette nique à la démocratie.

 

Non seulement l’institution  a joué un rôle de premier plan dans le report successif des scrutins, mais elle est aussi responsable de la pagaille qui a entouré le vote et plus encore de l’opacité qui a affecté la compilation des résultats et leur proclamation.  

Partir tout en restant, organiser l’alternance sans rupture avec la continuité dans la gestion de l’appareil d’Etat, c’est ce pari astucieux qu’est en passe de réussir Joseph Kabila deux ans après la fin officielle de son mandat. Chapeau bas, l’artiste ! Malgré le tragique de la situation, ce qui se passe en RDC, c’est du grand art politicien ou un raffinement de roublardise despotique, c’est selon.

 

En tout cas, l’un et l’autre requièrent une intelligence, l’habileté dans des tractations secrètes qu’on n’avait pas soupçonnée chez les maîtres de Kinshasa, eux qui nous avaient habitués à la brutalité grossière et autres méthodes à la hussarde pour mater les manifestations des partis d’opposition. Ce coup-ci, ils ont réussi à diviser leurs opposants au point même de trouver en Félix Tshisekedi, un de leurs contempteurs d’hier, un allié du moment, le cheval de Troie ou l’épouvantail qui leur permet de créer l’illusion d’une alternance au sommet de l’Etat.

 

Martin Fayulu, le porte-drapeau de la coalition Lamuka, cette autre frange de l’opposition, a beau crier au hold-up, au coup d’Etat électoral, appeler la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et la communauté internationale à exiger un nouveau décompte des voix et une publication des résultats par bureau de vote, il semble prêcher dans le désert. Les jeux sont faits. Il est le dindon de cette farce électorale. Mais pour la paix et la cohésion sociale au Congo, on lui revaudra d’avoir privilégié, pour l’instant, la contestation légale du scrutin par la saisine de la Cour constitutionnelle.

 

Certes, personne n’est naïf pour croire que ce recours légal entraînera un bouleversement des résultats et fera droit aux 61,57% des voix qu’il argue avoir obtenus à l’élection présidentielle, mais pour sûr, on aura noté qu’il a joué le jeu de la légalité jusqu’au bout. On aura aussi compris que des deux poids lourds de l’opposition, le clan Kabila aura choisi de composer avec le plus accommodant à ses intérêts du moment.

 

De fait, cette cohabitation au pouvoir qui se profile à l’horizon semble avoir été préparée de longue date ou, tout au moins, depuis la désignation avortée d’un candidat commun de l’opposition. Elle semble être, cette cohabitation probable, le résultat de tractations discrètes et d’une ingéniosité dans la triche électorale, plutôt qu’une vérité issue des urnes.

 

Voilà qui explique l’incohérence entre les résultats de la présidentielle et ceux des législatives : ainsi la coalition censée avoir gagné la présidentielle avec 38,57% des voix ne grappille qu’une cinquantaine de députés, tandis que celle du FCC, qui n’a recueilli que 23,84% des suffrages  à la présidentielle, remporte entre 250 et 300 sièges de députés sur les 485 déjà pourvus.

 

 

Ne riez pas de cette incohérence des résultats aux élections congolaises ! Ils sont symptomatiques d’un mélodrame qui fait pousser, avec le célèbre historien Joseph Ki-Zerbo, un soupir de désespoir : «A quand l’Afrique ?» L’Afrique de la démocratie enracinée dans des institutions fortes où les voix des électeurs, la vérité des urnes, comptent plus que les micmacs politiciens dans la dévolution du pouvoir.

 

En attendant, les élections tripatouillées ont encore de beaux jours devant elles et viennent de faire deux heureux gagnants en RDC, Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, sous réserve de la validation par la Cour constitutionnelle des résultats annoncés par la CENI. Le premier réaliserait le rêve de son père, devenir président de la RDC.

 

Le second céderait le poste de président de la République mais, à la faveur de la victoire de sa coalition aux législatives, pourrait devenir président du Sénat, deuxième personnalité de l’Etat et dauphin constitutionnel du chef de l’Etat. Même Vladimir Poutine doit sourire d’avoir fait des émules en Afrique et s’incliner devant le machiavélisme du maestro de Kinshasa.

 

Zéphirin Kpoda

Dernière modification lelundi, 14 janvier 2019 23:41

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