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Ecoutes téléphoniques : « Même un génie n’aurait pu inventer ces communications» (Procureur militaire)

La présentation des pièces à conviction au procès du coup d’Etat manqué de septembre 2015 s’est poursuivie hier 2 avril 2019 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Avant de continuer avec les éléments vidéo qu’il avait commencé à faire diffuser la veille, le procureur militaire a amené un interprète qui, lui, s’est chargé de traduire, du dioula au français, les échanges téléphoniques entre l’accusé Fatouma Thérèse Diawara et le colonel ivoirien Zakaria Koné, d’une part, et ceux impliquant Dame Diawara et le caporal Massa Saboué, d’autre part. Des débats qui en ont résulté, le ministère public a déclaré que même un génie n’aurait pu inventer ces communications au regard de la cohérence qu’il y a entre les propos et la tournure des événements.

 

«Je suis Karambiri Amadou, couramment appelé Baba, né le 31 décembre 1957 dans la province du Nayala. Je suis journaliste à la retraite, marié et père de trois enfants, domicilié à Ouagadougou ». Ainsi venait de se présenter au tribunal  l’interprète que le parquet militaire a déniché de radio Burkina  afin que celui-ci aide la chambre et les parties au procès à comprendre la teneur des échanges entre l’accusée Fatoumata Thérèse Diawara et le colonel Zakaria Koné de la Côte d’Ivoire, d’une part, et, d’autre part, celle qui est désignée comme «fiancée Delta fils» et le caporal Massa Saboué.

Le journaliste n’ayant pas été récusé, le voilà  levant la main droite pour jurer de remplir fidèlement la mission à lui confiée, notamment la traduction du dioula au français en se fondant sur trois appels téléphoniques. La cabine technique pouvait alors ‘’laisser couler les sons’’. «L’intéressé dit : Allô, il veut se rendre aux gens » ; «tout le monde l’a appelé, les présidents l’ont appelé, ils lui ont dit de ne pas sortir. Même le Pape l’a appelé» ; «mais il veut partir, moi-même j’ai intervenu ». Ce sont des morceaux choisis de l’échange téléphonique entre une voix féminine et celle présentée comme étant la voix du colonel ivoirien Zakaria Koné. Le second appel, cette fois avec le caporal Massa Saboué, disait en substance que «j’ai appelé pour qu’on vous sorte de là » ; «vos gens sont peureux». Dans le troisième et dernier, la voix féminine dit, entre autres, «sortez ! sortez ! » ; «les gens sont venus le voir pour l’argent » ; «celui qui devait vous donner l’argent a été arrêté, mais il faut sortir » ; «celui qui vous supporte-là, c’est lui» ; «faut prendre la ville, si vous voyez un, deux chars, vous limez, les gens vont reculer » ; «il faut essayer de le libérer ».

 

«Que les gens reconnaissent enfin ce qu’ils ont fait»

 

A l’issue de l’audition des trois éléments sonores, le procureur militaire a signifié que cet exercice a permis de comprendre «beaucoup de choses». «Suite à l’interprétation, nous constatons déjà que l’échange entre Fatoumata Thérèse Diawara et le général Gilbert Diendéré, lorsqu’il était à la nonciature, ressort  ici également. Elle lui disait de ne pas sortir, que personne ne peut le faire sortir. Ces échanges ressortent aussi des communications qu’elle a eues avec des gens de la Côte d’Ivoire», a ajouté la partie poursuivante.

A travers le deuxième appel, l’accusation a estimé que c’est parce que des gens, militaires du RSP en l’occurrence, ne sont pas passés à l’action que l’accusée a lâché la phrase : «vos gens sont peureux». En évoquant dans la foulée l’affaire des sommes d’argent que les uns et les autres attendaient avant de combattre, l’accusation n’y a vu que l’esprit du mercenariat, l’appât du gain facile, alors que : «l’armée est par essence un service commandé dans l’intérêt de la population». «On dit ici que le parquet militaire est contre X ou Y, que nous n’avons aucun élément de preuve, que nous sommes instrumentalisés par des politiciens. Mais les gens ont entendu ces éléments, nous n’avons rien contre quelqu’un dans cette salle.  Tout ce que nous lisons sont des pièces du dossier. Il faut que les uns et les autres comprennent que nous sommes dans une République qui a ses règles, lorsqu’on s’en écarte, on peut demander pardon, que les gens reconnaissent enfin ce qu’ils ont fait», a martelé le procureur militaire.

Il a expliqué que Dame Diawara a été la première personne que le général de gendarmerie Djibrill Bassolet a jointe lorsque les pandores étaient à son domicile pour l’arrêter le 29 septembre 2015. Le ministère public a aussi relevé qu’il se disait dans les communications que «ça va ralentir les opérations», parlant de l’arrestation de premier général de gendarmerie du Burkina ;  celui-ci ajoutait d’ailleurs qu’il allait «grouiller pour leur échapper ».

Pour l’accusation, l’échange entre le colonel Zakaria Koné et le général Gilbert Diendéré est aussi éloquent, l’Ivoirien disait en substance qu’il paraît que Bassolet est en train d’être arrêté et qu’il faut faire sortir les armes lourdes du Conseil pour s’y opposer. Selon ses explications donc, que Dame Diawara ait incité les militaires de l’ex-RSP, à travers le caporal Saboué, à sortir en ville et à s’en prendre à la gendarmerie de Paspanga, sans quoi ils n’auraient pas l’argent, se passe de commentaires. «La connexion entre ces faits est là, de quel élément on a encore besoin ? », s’est-il interrogé avant de tirer la conclusion que «vraiment, même un génie n’aurait pu inventer ces communications».

Le parquetier renchérira  que Dame Diawara est allée jusqu’à distiller du faux pour obtenir ce qu’elle veut, lorsqu’elle avait, notamment dit au caporal que «même le Pape l’a appelé». A l’écouter, ce n’était ni plus ni moins qu’une stratégie pour convaincre le carré de fidèles qui était toujours aux côtés du général Diendéré. Pour achever de convaincre le tribunal des faits, le parquet a invité Seidou Ouédraogo et les autres membres à se référer au contexte, la date du 29 septembre 2015 ; date à laquelle le général Bassolet a effectivement été arrêté dans la matinée. «Diendéré vous a dit que dès le 21 septembre, il avait remis le pouvoir à la Transition et qu’il ne comprenait donc pas pourquoi le camp a été bombardé. Dans ce contexte, on parlait de maîtriser l’aéroport, il a été question de l’arrivée de chiens, de mercenaires. Voilà pourquoi il a été nécessaire de bombarder le camp », a expliqué la partie poursuivante.

 

«Je n’ai aucune observation à faire»

 

Convoquée à la barre, Fatoumata Thérèse Diawara, après les formules de politesse à l’endroit des différentes parties, a signifié qu’elle n’a aucune observation à faire sur les trois éléments sonores et la réaction du ministère public. C’est la même posture qu’a adoptée le caporal Massa Saboué, alors chauffeur de «Golf».

Du côté des avocats des parties civiles, Me Séraphin Somé a indiqué que ces trois éléments sonores nous renseignent sur un point, le rôle que Dame Diawara a joué dans cette affaire. «Premièrement, son rôle a consisté à collecter des fonds, à chercher de l’argent pour soutenir les soldats, à les galvaniser afin qu’ils  mènent ce putsch jusqu’au bout. Deuxièmement, elle a joué un rôle sur le plan purement opérationnel. Elle a donné des instructions à des militaires, elle les suppliait presque de sortir dans la ville, et que s’ils voient un ou deux chars, il faut limer. Là, nous sommes sur le terrain des opérations, elle a donné des stratégies pour réduire l’ennemi à néant, c’est ce qui nous a convaincu depuis l’instruction du dossier que cette accusée a joué un rôle important dans cette affaire », a opiné l’avocat. Selon Me Somé, si on devait faire un classement en tenant compte des rôles joués par les uns et les autres, Dame Diawara viendrait en troisième position.

Pour l’avocat de l’accusée, qui n’a pas voulu «être long», le parquet militaire, malgré toutes leurs requêtes, n’a toujours pas envoyé un élément qui rattache les communications à sa cliente. «Sur quoi vous basez-vous pour distinguer la voix de ma cliente  de celles de milliers de Burkinabè ? En droit, on doit prouver, démontrer, on n’affirme pas », a martelé Me Abdoul Latif Dabo. Constatant donc cette absence de rattachement aux faits imputés à la «fiancée Delta fils », l’avocat a souligné qu’il n’est pas lié à tout ce qui a été dit ; pour ne pas dire qu’il n’opinerait pas sur le fond du sujet. «Nous ne nous sentons pas du tout impliqué ou concerné », a-t-il conclu.

 

Le lieutenant-colonel Bamba et ses communiqués

 

A l’issue des joutes verbales sur les éléments sonores, le parquet militaire a fait ouvrir le dossier ‘’communiqués CND et armée’’ qui contient la proclamation du Conseil national de la démocratie et les communiqués lus par le lieutenant-colonel Mamadou Bamba sur les antennes de la télévision nationale. Si le communiqué No 2 fait cas de l’instauration d’un couvre-feu de 19h à 6h pour compter du 17 septembre 2015, au regard des manifestations violentes et d’actes de vandalisme, le No 3, lui, informait de la fermeture des frontières terrestres et aériennes à partir de ce jour jusqu’à nouvelle ordre. C’est en tout 7 communiqués qui ont été écoutés par l’assistance. La proclamation du CND, elle,  faisait ressortir, entre autres griefs faits à la Transition, «une loi électorale taillée sur mesure», «des arrestations arbitraires », «de militaires instrumentalisés et politisés », «un Code de l’information qui musèle la presse », avant de conclure par «le président de la Transition est démis de ses fonctions », «le gouvernement de la Transition est dissout », «le Conseil national de la Transition est dissout». Cette proclamation relevait en dernière position qu’une large concertation allait être menée pour la mise en place d’un gouvernement qui, lui, œuvrera pour des élections inclusives et apaisées.

Le message du Chef d’état-major général des armées a condamné les actes de violence à l’encontre des populations et invité les éléments de l’armée au professionnalisme. Par la même occasion, la hiérarchie a exhorté les populations à faire confiance aux forces armées nationales pour assurer la paix et la sécurité.

Le deuxième dossier est intitulé ‘’Images BF1 et divers’’ qui contient neuf fichés. Parmi eux, des images montrant des éléments de l’ex-RSP au carrefour de la télévision BF1. De l’endroit où le journaliste prenait ces images, on pouvait entendre ces collègues lui dire de stopper et de ne pas «nous créer des problèmes », «ils vont venir nous tabasser ici».

Le caporal Sami Dah dans sa déposition, parlant de cet épisode, a cité Jean Florent Nion, Laoko Mohamed Zerbo, Ollo Stanislas Silvère Pooda, Issaka Ouédraogo, Zoubélé Jean Martial Ouédraogo, Mahamadi Zallé et deux autres militaires dont il ne connait pas l’identité exacte. Selon le procureur militaire, ces militaires ont essayé de justifier leur présence en ces lieux par le fait qu’il y avait des pro-CDP et des anti-putsch  et qu’ils voulaient éviter d’éventuels affrontements. «A l’analyse, ce qu’ils ont dit n’est pas exact. Le 16 septembre, ceux qui s’opposent au coup d’Etat voulaient marcher sur la présidence, c’est au niveau du monument aux héros nationaux qu’ils ont été stoppés, il n’y avait pas de pro-putsch là-bas. Eux, c’est après le 17 septembre qu’ils sont sortis, lorsque les chefs d’Etat devaient arriver », a dit le ministère public.

S’exprimant par ailleurs sur la proclamation CND, il a déploré que l’élément présenté ne prenne pas en compte la ligne de défense que le général n’a cessé de seriner qui est grosso modo que des jeunes ont fait le coup, sont venus le chercher chez lui, qu’il y a eu une médiation qui a finalement échoué et que c’est la hiérarchie militaire qui lui a dit d’assumer. Pour lui, si les choses se sont passées ainsi, il n’y a pas de raisons que ces éléments ne transparaissent pas aussi dans la proclamation.

 

Le lieutenant-colonel Bamba et Cie à la barre

 

Celui qui lisait les communiqués du CND a déclaré qu’il n’a pas de commentaires à faire. L’adjudant Nion, indépendamment de l’image,  selon ses propos, a soutenu qu’il avait déjà confirmé sa présence au carrefour de la télévision BF1 de chez le juge d’instruction à la barre en passant par la chambre du contrôle de l’instruction. Un élément où on le voit tirer en l’air. Le sergent Laoko, lui, ne s’est pas «vu dedans» et précise n’avoir jamais été confronté à des images. Il en est de même pour le sergent Zallé. Il était sur une moto mais ne pense pas qu’il était hostile, ou qu’il y avait une situation particulière, vu qu’un sportif et un véhicule sont venus passer devant lui sans problème.

Lui, c’est le sergent Zoubélé à qui le parquet a répondu qu’il y avait au moins des briques jonchant le bitume et que l’endroit était occupé par des militaires armés. Si le sergent Ollo n’a pas fait d’observations, ce n’est pas le cas du soldat Issaka Ouédraogo qui dit qu’il revenait de Dasasgho, où il assurait la sécurité du domicile de M’Ba Michel, et s’est approché du groupe pour essayer de comprendre ce qui se passait. «C’était entre 16h et 16h30, je voulais me renseigner, je n’ai jamais vu ça si ce n’est ici ».

Mais le parquet, qui n’est pas convaincu, a fait repasser l’élément où le soldat a reconnu qu’il est «venu à pied». La partie poursuivante a révélé qu’en réalité, l’accusé a beaucoup varié dans ses propos concernant cet épisode, lui qui avait dit en instruction qu’il n’était jamais sorti.

«Je pensais que c’est la vérité que les gens veulent dans cette affaire mais en fin de compte, ça se retourne contre moi. Si des gens sont ici à cause de moi, cela me traumatise, ça pèse sur moi, je profite présenter mes excuses à ces personnes, je me suis trompé ». C’est le caporal Sami Dah qui venait de tenir ces propos qui  ont étonné le procureur militaire : «nous comprenons sa frustration concernant ses nombreuses demandes de mise en liberté provisoire. C’est la vérité que nous recherchons dans cette affaire, ce n’est pas forcément sa déposition qui a amené ces personnes dans le box des accusés. Vous devez plutôt vous en féliciter, vous avez concouru à la manifestation de la vérité. Il faut attendre nos réquisitions, nous en tiendrons compte. Pour ceux qui veulent continuer à nier, nous en tiendrons également compte », a-t-il conclu.

La présentation des pièces à conviction se poursuit ce 3 avril 2019, dans la Salle des Banquets de Ouaga 2000.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

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