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Habiter poétiquement la ville:La rue des Poètes

 

Tout le mois d'août,  Projecteur propose une géographie amoureuse du Burkina à travers des articles sur des lieux ordinaires à fort potentiel onirique. Il s'agit de poser un autre regard sur ces endroits banals, méconnus,  pour les mettre en lumière de façon originale. La Rue des Poètes ouvre ce pari d'habiter autrement la ville en trouvant de petits   territoires  enchantés et enchanteurs.

 

Peu d'habitants de la capitale  burkinabè savent qu'il s'y trouve une rue dédiée aux poètes et à la poésie. Beaucoup l'empruntent sans savoir son nom et l'appellent de la périphrase  « la rue pavée derrière l'hôpital Yalgado Ouédraogo ».

 

 

C’est une belle petite rue pavée qui se faufile entre l’hôtel Silmandé et la berge du barrage n°3, une petite rue revêtue d'une robe d'un  gris anthracite avec des liserés  rouges qui étincelle au lever du soleil et luit  doucement au crépuscule.

 

Le promeneur qui emprunte  cette ruelle peut s’accouder à la rambarde pour regarder le combat homérique du barrage contre la jacinthe d’eau. Celle-ci tente d'étendre son drap vert sur l’eau qui se débat, gigote et parfois arrive à rejeter la  couverture asphyxiante vers la berge.

 

S'il lève les yeux à hauteur d'homme, il verra sur l'autre rive des taches de couleurs, comme des tableaux couchés. Ce sont  les fleurs et les plantes que les pépiniéristes entretiennent. Des effluves odoriférants, des goyaves,  des frangipaniers et des roses viennent titiller les narines des promeneurs.

 

 Au crépuscule, il peut voir  le disque solaire faire trempette dans l’eau, son reflet mordoré se disperser en petites touches dorées sur l’eau. Le soir, il peut voir monter des nuées de chauve-souris  dans le ciel et le couvrir partiellement. Elles quittent Bangr- Weogo où elle passent la journée pour rejoindre leurs pénates dans les bureaux que viennent de quitter les travailleurs.

 

La rue des poètes s'anime plus la nuit que le jour. Chaque soir, on y croise des hommes et femmes, sportifs au pas lourd d’éléphant, qui suent pour perdre du poids ; ils rêvent de redonner à leur corps, la beauté d'un poème.

 

La nuit, on reconnaît les chats qui flânent  à leurs ombres glissantes, ils se meuvent majestueusement,  leurs prunelles rondes luisant dans la nuit comme des pierres précieuses. Ils sont dans cette rue, attirés sans doute par l’odeur de poisson sur les étals des vendeurs sur le pont à l'est que le vent amène dans la rue.

 

Parfois, des amoureux  s’accoudent à la balustrade pour regarder les étoiles ou la lune qui se mirent dans l’eau et se faire des promesses d'amours éternelles qui s' évanouiront au bout de la promenade.

 

Y passent tout le temps, de jour comme de nuit, des motocyclettes et des voitures. C'est une voie à sens unique mais beaucoup de conducteurs la prennent en sens inverse. Elle doit bien les regarder avec une moue de mépris.

 

Il y a de la poésie qui flotte dans cette rue mais on n'y trouve aucun poète ni un poème. A moins de considérer que les amoureux furtifs qui se tressent des colliers de mots suaves sont des poètes. Cette rue languit en attente de poètes.

 

Et pourtant, cette rue devrait être investie par les poètes de la ville, les slams des jeunes et les vers des poètes devraient résonner dans cette rue. Des poèmes devraient être affichés sur des panneaux, des cartons d'extraits de poèmes devraient se balancer  aux branches comme des feuilles, attendant la main d'un promeneur qui va les cueillir et les dire à haute voix. 

 

D'ailleurs, cette rue devrait redevenir piétonne, seuls les bruits des pas sur le pavé et des vers de poètes devraient résonner dans cette rue. Des bancs publics et des recueils de poésie devraient accueillir les promeneurs pour s’asseoir et lire des poésies.

 

Et on se prend à rêver d'un festival des poètes dans cette rue où  les poètes du bitume et ceux des livres se donneraient rendez-vous et pendant une semaine,  liraient des poèmes et feraient voler les mots dans les airs dans un froufrou d'ailes comme des oiseaux qu'on libère des volières.

 

Les anciens de Tanghin racontent qu'une belle sirène hantait les rives du barrage et qu'elle a disparu depuis des années, parce que lasse de ne pas rencontrer un amant  dont les mots d'amour seraient capables de la brûler comme des braises. Depuis, elle dormirait d'un sommeil liquide au fond du barrage dans un lit d'algues.

 

Les vers d'un poète inspiré pourraient-ils la faire sortir de son sommeil fluvial et la faire remonter des flots, dans une écume argentée pour venir habiter définitivement la rue des poètes…

 

 

 

 

 

Saidou Alceny Barry

 

 

 

 

 

 

 

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