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Retraités des années du PAS : «L’inflation ne fait que détruire notre pension» (A. Mahamane Nacro)

Dégagé sous la révolution d’Août puis rétabli dans ses droits en 1991 avant de faire valoir ses droits à la retraite depuis 1995, il est l’auteur d’une lettre ouverte au ministre de la Fonction publique. L’objet de cette sortie publique d’A. Mahamane Nacro, puisque c’est de lui qu’il s’agit, met le doigt sur l’inflation qui engloutit les pensions des retraités de l’ère des Programmes d’ajustement structurel (PAS). Le 29 juillet 2020, l’ingénieur agronome, à son domicile de Gounghin Sud, dans cet entretien qu’il nous a accordé, explique les effets pervers de l’inflation sur leurs maigres revenus.

 

 

 Qui est M. Aboubacar Mahamane Nacro pour ceux de nos lecteurs qui ne le connaîtraient pas ?

 

Je suis un agriculteur à la retraite, uningénieur agronome qui a occupé pas mal de fonctions.  J’ai exercé beaucoup plus dans la protection des végétaux.  Et par la suite, j’ai été conseiller technique du ministre Antoine Dakouré.

 

Vous avez été victime de la révolution d’Août. Pourriez-vous nous faire une brève synthèse de cet épisode et des suites qui s’en sont suivies ? 

 

Le pauvre Thomas Sankara a été terrassé par des CDR (ndlr : Comités de défense de la Révolution) qui ont saisi l’occasion pour se venger. Ils ne pouvaient rien faire, mais comme il y avait la révolution, ils ont saisi l’occasion de se venger. J’ai été dégagé quand j’étais en fonction à la CEAO (Ndlr : Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest). Je pensais que la logique aurait voulu qu’on me rappelle dans la fonction publique avant de me dégager. Mais on m’a dégagé alors que j’étais à la CEAO depuis sept (7) ans. Je n’avais pas mal d’ennemis. Celui qui m’a dégagé a fait son stage avec moi. Aujourd’hui je le dis, son mémoire de stage, c’est moi qui l’ai rédigé exactement comme je préparais mon mémoire de Maîtrise à Imperial College à Londres. 

En pareil cas, on se sent innocent. J’ai tenté de joindre certains camarades, des militaires comme des civils. Beaucoup ont accepté de m’accompagner. Il y en a un qui a fait un peu plus : c’est Dominique Cisso qui fut un temps le président de l’association que nous avons créée. A l’époque il m’a dit : « Continue de racoler les gens, moi je vais rédiger les Statuts et Règlement intérieur ». J’ai racolé pas mal de gens. J’ai rencontré un commandant de la gendarmerie, mais quand j’ai essayé de le recruter et il m’a dit : « Nacro, tu es trop têtu. Tu as confiance en ces gens ? Il faut avoir peur de ces gens ». Et à vrai dire j’ai eu peur. Mais comme je tenais coûte, que coûte j’ai continué. Et pour m’entourer de précautions, je suis allé voir un promotionnaire de mon oncle, en l’occurrence Alassane Wangrawa, qui a été ministre de la Défense, et je lui ai dit : « Wangrawa, tu sais que je ne suis pas violent. J’ai été dégagé et nous avons racolé des gens pour créer une association. Il m’a dit que c’est bien que je sois venu ce jour. C’était un lundi matin et, le lendemain, il avait une audience avec le président du Faso, Blaise Compaoré, et  allait lui en parler. Effectivement il a tenu parole. Le mercredi soir, au compte rendu du Conseil des ministres, on a annoncé que le ministre de la Fonction publique, Juliette Bonkoungou, avait été chargée de recevoir les dégagés. A notre réunion le jeudi soir, la cour était pleine. Tous les licenciés étaient là.

Un ou deux ans après, nous avons été rétablis dans nos droits. Je suis reparti dans la fonction publique pour quelque quatre années.

 

Vous êtes à la retraite depuis 1995. A quel âge avez-vous commencé à en jouir et comment la vivez-vous ?

 

C’est en mars 1995 que j’ai commencé à jouir de ma retraite à l’âge de 53 ans.

 

Et comment la vivez-vous ?

 

Couci-couça, cahin-caha ou tant bien que mal comme on le dit.  C’est difficile ! J’ai créé un petit bureau d’études, et je devais travailler sur l’agriculture. Lorsqu’il y avait quelque chose à faire et que je présentais mon dossier, ceux qui m’ont dégagé étaient toujours là pour le rejeter. Je ne pouvais rien faire. Ils ne m’ont pas permis de travailler.  

 

Vous êtes l’auteur d’une lettre ouverte au ministre de la Fonction publique dans laquelle vous plaidez pour les retraités de la première génération. Qui sont-ils et que réclamez-vous pour eux ?

 

J’ai fait cette lettre parce que je me suis dit qu’il est mieux de balayer devant sa porte plutôt que de critiquer le voisin qui a trop de saletés devant la sienne. Pourquoi cela ? Je viens de rédiger un ouvrage portant sur l’islam et la paix. Dans ce document, j’ai montré que l’islam est une religion de paix et j’ai analysé pas mal de thèmes dans cet ouvrage.

Un des thèmes que beaucoup connaissent, c’est le rejet de l’intérêt par l’islam. Sur cette base, vous avez les fonds pétroliers arabes qui dorment dans les pays occidentaux. En travaillant sur ce dossier, je me suis rendu compte qu’avec l’intérêt qui n’existe pas, de l’argent qui est thésaurisé pendant des années dans des banques occidentales,  en cinquante (50) ans par exemple, j’ai pris 1000 milliards de dollars et ç’a dégringolé à moins de 400 milliards. C’est dû à quoi ? L’inflation ! J’ai pris un taux mondial d’inflation de 3 ou 4%.

Ainsi donc j’ai dit, dans le document, qu’il faut que les Arabes acceptent d’indexer les fonds qu’ils déposent dans ces banques. Sinon cet argent se comporte comme un morceau de glace au soleil. Je dis que ce n’est pas normal parce que cela appauvrit les pays arabes et l’islam.

C’est après cela que je me suis dit : « Tu es parti à la retraite et on te donnait 100 francs.  Aujourd’hui, c’est toujours le même montant ». Si on fait les calculs, ce n’est plus 100 francs. C’est peut-être 15 ou 20 francs. Je suis parti d’une date. En 2011, le ministre de la Fonction publique de l’époque, Soungalo Ouattara, avait eu pitié de nous ou je ne sais quel terme employé. Il avait révisé la pension. C’est à partir de cette date, qui concerne tout le monde, que je suis parti. Et de cette date à aujourd’hui ce n’est plus 100 francs qu’on nous donne. L’inflation grignote quelque chose comme 36 francs.

Tous ceux qui n’ont pas perçu d’indemnité de départ à la retraite, ce sont eux que j’appelle les retraités de la première génération. Ils ont fait parfois trois, quatre, cinq, voire 12 mois avant de percevoir la pension. Je connais un frère qui a été pénalisé par son ministre. Il a fait quatre ans sans jouir de sa pension de retraite. Alors que, maintenant, les gens perçoivent une indemnité de départ.

Le ministre a une famille qu’il a divisée en deux : une partie vit bien,  l’autre ne vit pas bien et, pour moi, ce n’est pas normal.

 

De l’inflation qui érode la pension, parlons-en. Un cas concret pour nous édifier

 

J’ai fait un calcul à partir de 100 francs simplement parce que, quand on prend un chiffre n’importe comment, c’est difficile à interpréter. Alors que 100 francs, ça donne une idée du pourcentage.

L’inflation au Burkina Faso, suivant les émissions de la télévision, est à 2%. Lorsqu’on a dit que le franc CFA doit maintenant être africain et que la France devait se retirer, il y a un Français qui a montré à la télévision que tous les pays voisins dans la zone CFA ont un taux d’inflation de 2,4%. Mais je suis allé jusqu’à 5% parce que la Banque centrale, avec des paramètres que je ne connais pas, fait ses calculs avec 5%. C’est un taux inférieur à celui des banques commerciales. Avec ce taux j’ai fait mes calculs pour montrer que l’inflation ne fait que détruire nos pensions.

 

Depuis 1995 plus de deux décennies se sont écoulées. Pourquoi maintenant ce réveil ?  

 

J’ai critiqué les Arabes qui déposent leur argent dans les banques occidentales sans un taux d’intérêt et il diminue avec l’inflation. Tout est parti de là.

 

Des structures associatives de retraités existent. Les avez-vous impliquées dans votre démarche ? Si non, pourquoi une initiative en solitaire ?

 

Chat échaudé craint l’eau froide. J’ai été échaudé lorsque nous avons créé l’association des retraités parce qu’on nous avait contraints à ne pas aller en justice et que tout le monde accepte ce que l’Etat donne. Le président avait fait en sorte que ce soit comme ça pour tout le monde.

Ensuite, j’ai pris un petit prêt avec le Fonds national des déflatés et des retraités. On m’a appliqué un taux de 12%. J’ai critiqué vertement cela pour dire que ce n’est pas normal. Vous êtes à 12% alors que les banques commerciales qui prêtent aux retraités sont à 8%. Il y a quelque chose qui ne va pas. Tous les fonds créés par l’Etat sont à 5%. Pourquoi ce fonds est spécialement à 12% ?

Je me suis présenté au président de l’association, qui m’a dit qu’il ne s’y connaissait pas. Alors qu’on m’a dit qu’il a été un agent de la Banque nationale de Développement (BND). Il peut être un agent de la banque sans connaître. Ça peut être vrai. Mais il doit s’informer. Dans ses explications je sentais l’impuissance. Le président m’a demandé de produire un document. Me rappelant ce qui s’est passé avec l’association, j’ai refusé. Je ne vais pas produire un document qui sera très élagué par la suite sous prétexte qu’une idée ou une telle phrase a été mal formulée.  

 

Pensez-vous avoir une oreille attentive suite à votre cri du cœur ?

 

Je pense bien !  J’ai demandé à chaque retraité de le lire.  S’il est consentant, ce n’est pas une obligation, s’il se rend compte qu’il est lésé, que l’inflation détruit sa pension, il va se pencher sur la question.   

 

Ingénieur agronome, vous êtes d’une utilité indéniable au sein des ONG œuvrant dans le milieu paysan. Cette aventure vous-a-t-elle tenté au cours de votre vie active ?

 

Ça ne m’a pas tenté. J’ai été nommé par le ministre Antoine Dakouré conseiller technique chargé de la sécheresse. J’ai fait une maîtrise d’écologie à Impérial College à Londres. J’étais chargé de tout ce qui concerne la sécheresse. Je ne dirai pas que ça m’a tenté.  C’était ma fonction.

 

Vous êtes l’auteur d’œuvres littéraires dont la dernière en deux tomes intitulée « L’Islam La paix-Une vision de paix ». Pouvez-vous nous en faire un bref aperçu ? Qu’est-ce qui a motivé la naissance de cet ouvrage ?

 

Je suis musulman et j’aime lire le Coran. C’est dans ma lecture que je me suis rendu compte que Dieu a dit à notre aïeul Adam et à son épouse, Eve : descendez tous deux ensemble du jardin, une direction vous sera envoyée certainement de ma part. Ni crainte ni tristesse n’affligeront ceux qui suivront la direction. Il y a une direction qui vous sera apportée par des messagers. Et les trois derniers que nous connaissons ont créé le judaïsme, le christianisme et l’islam. Dans le Coran, j’ai pris des thèmes pour voir dans quelle direction aller en fonction du thème. Si je prends par exemple les maladies infectieuses, le covid 19, quelle est la direction que l’islam donne ?  Je l’ai analysée et ça se trouve dans le document. Concernant la guerre en Libye par exemple, où deux groupes de musulmans se battent, quelle direction l’islam donne ? C’est ce qui m’a amené à analyser et à écrire cet ouvrage. Certains m’ont reproché le fait qu’il soit volumineux. Mais on ne peut pas écrire sur Dieu en deux mots. Dieu est infini. Il y a un verset qui dit : « Si la mer que nous voyons était une encre pour écrire sur Dieu, elle va sécher. Même si vous ajoutez 7 autres mers, elles vont sécher ». On ne peut pas écrire sur Dieu en deux mots. Et là d’ailleurs j’ai été freiné par mon éditeur. Le premier tome fait 488 pages et le second 400.  

 

Quelque chose vous est-il resté sur le cœur que vous voudriez partager avec les lecteurs ?

 

Simplement, nous sommes tous des fils et filles de ce pays. Le ministre de la Fonction publique actuel est le chef de famille de tous les travailleurs, il ne doit pas faire une scission et avoir des enfants qui reçoivent du beurre pour leur petit déjeuner, un steak à midi et les autres, comme on le dit ici, du benga qu’on fait bouillir pour leur servir. Il faut qu’il y ait cette justice. Ce qu’ils reçoivent, qu’on nous le donne aussi. Tout change. Dans le verset 29, sourate 55, Dieu dit que chaque jour il modifie. S’il y a une modification, n’oubliez pas les premiers. Nous avons travaillé activement à construire ce pays. C’est de l’injustice crasse ce que nous vivons.

 

Propos recueillis par

Lévi Constantin Konfé

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