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Carrefour des veuves de Monique Ilboudo: La guerre des femmes pour la paix

Après Si loin de ma vie (2018), l’écrivaine burkinabè Monique Ilboudo publie cette année  son quatrième roman, Carrefour des veuves, aux éditions Les Lettres mouchetées. C’est un roman sur l’insécurité avec des personnages féminins forts, une critique acerbe de l’Afrique présente prise en étau entre le terrorisme et  des mœurs politiques et culturelles rétrogrades.

 

 

Dans ce roman, Monique Ilboudo fait œuvre réaliste, car elle puise sa matière dans l’histoire récente du Burkina Faso. On reconnaît, même si le Burkina Faso n’est jamais mentionné, son histoire politique récente avec la chute de l’ancien régime, les promesses non tenues de la Transition et l’avènement du nouveau régime, l’émergence des milices, les massacres communautaires. C’est un procès en règle des politiques burkinabè dont le personnage Ngomè N’Yègué est le prototype. Son nom signifie côtoyer sa vraie parole. On y croise aussi cette ministre en charge de l’humanitaire venue visiter les camps des refugiés et qui leur demande de ne plus s’autoriser plus d’un repas par jour pour économiser les vivres ! Ce n’est pas un roman à clés mais ça y ressemble, tant il puise dans l’actualité et le fait divers du pays des hommes intègres.

Carrefour des veuves est l’histoire de Tilaine, une sage-femme qui perd son époux Isma, un officier des douanes, dans un attentat terroriste. Il a été muté au Nord parce qu’il a osé critiquer la gestion de la crise sécuritaire par les politiques. Tilaine décide avec ses deux amies, Farida et Sebyèla, de créer une association des veuves de cette guerre asymétrique pour aider les femmes et enfants victimes.

Le récit est construit autour des pérégrinations de Tilaine, à partir de son point de vue. A travers son récit, on découvre la société avec ses politiciens ripoux, ses ayatollahs comme ce cheik analphabète qui ne sait pas lire le Coran mais dont les fatwas enserrent les hommes et les femmes dans la nasse de l’extrémisme religieux. Mais ce roman s’intéresse surtout  à la femme prise dans la tourmente sécuritaire.

Il y a les citadines, Farida et Sebyèla, femmes libres et épanouies qui s’engagent sur le terrain de l’humanitaire pour rendre le monde plus supportable. Elles croiseront sur leur route d’autres femmes, des paysannes, avec lesquelles le destin est parfois cruel. Comme Ada dont la belle-famille a tué le mari juste pour accaparer le bétail et qui se retrouve dans un camp de réfugiés. Comme Bilkiss, la jeune rurale, veuve qui se retrouve par le système du lévirat dans les draps d’un Tartuffe en turban et qui perd la vie en couches par l’inconscience de celui-ci. Ou les trente et une femmes tuées à la fontaine du village par les djihadistes.

Et enfin Noura, sublime jeune fille, innocente et intelligente, qui rêve d’école et d’avenir, belle fleur du Sahel qui portait la promesse du plus beau fruit et dont on se demande si la société pourrie qui l’a vu pousser mérite de jouir de son éclat et de son parfum.

C’est un roman au récit prenant, parsemé de burkinabismes, ces mots que l’Afrique offre à la francophonie. Il emmène le lecteur à la découverte des multiples visages de femmes prises dans le filet de l’insécurité. L’intrigue se déroule à petites touches vers une fin inattendue. Le lecteur musarde dans le roman comme un marcheur sur un sentier bien droit et soudain, il est surpris par la tournure brutale du trajet ; comme un pied qui se pose sur un engin explosif artisanal, il est soufflé !

Le lecteur sort du récit tourneboulé. Il devine que la conception de la littérature de son autrice est celle d’André Gide : le rôle de l’écrivain est d’inquiéter. Pour écrire ce roman, Monique Ilboudo a trempé sa plume dans la sanie de notre société actuelle, prise en otage par des milices armées et des djihadistes sans foi ni loi ; elle compose un tableau plein de ténèbres mais à le scruter de près, on décèle néanmoins quelques petites lumières comme des lucioles dans la nuit. Ces lueurs, ce sont les femmes, Mères Courages et jeunes Antigone qui refusent la fatalité et se ceignent la taille pour entrer dans l’arène… A l’image de la jeune orpheline du terrorisme, Noura, qui exige du président de la république un geste de compassion pour les victimes. Le père de la Nation l’entendra-t-il ?

 

Saïdou Alcény Barry

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