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Sony Labou Tansi, naissance d’un écrivain de Céline Gahungu: Dans l’atelier de l’écrivain congolais

Sony Labou Tansi est un écrivain congolais qui a marqué la littérature par la force de son écriture et le succès de ses romans et pièces de théâtre. En plus de  sa riche bibliographie, on a découvert des textes inédits, en l’occurrence son courrier et ses poèmes. Mais que sait-on du devenir-écrivain de cet homme ? Comment Marcel Ntsoni, obscur prof d’anglais d’un collège de brousse, est-il devenu le flamboyant Sony Labou Tansi ? C’est à ces  questions essentielles que tente de répondre l’essai de Céline Gahungu.

 

 

L’auteure Céline Gahungu reconstitue la trajectoire de l’écrivain en fin limier. Au-delà d’une étude génétique, c’est une investigation qui puise à toutes les sources, manuscrits, lettres, interviews, témoignages de personnes qui l’ont côtoyé, et au fil des pages apparaît la trajectoire, sinueuse et ascendante, qui mène Marcel Ntsoni au sommet des lettres congolaises, voire africaines.

Au début, il y a l’envie d’écrire, ce plaisir de construire une réalité à partir de mots et ensuite vient l’envie de faire savoir au monde que l’on a construit des univers. Il ambitionne d’ « influencer par le verbe une, deux, trois, quatre ou cinq générations ». 

Chez Sony Labou Tansi, très tôt, il y a cette furieuse envie d’entrer dans la République des lettres et il pressent vite qu’outre la capacité d’imposer une écriture nouvelle, il faut construire un entregent. Alors le jeune homme écrit beaucoup : des essais, des pièces, des poèmes et des lettres :  A Sylvain Bemba, à Edouard Maunick, à Senghor, à Tchicaya U-Tamsi et surtout à Jové Pivin et à Françoise Ligier. Dans ces lettres, il déploie tout un art de la séduction digne d’un paon parce qu’il a compris que l’on n’entre pas seul, sans compagnie, dans la famille des écrivains. Il faut des pairs qui, parfois, jouent aux pères, des réseaux, des instances de légitimation comme les journalistes, les éditeurs, surtout ceux français.

Au début, Sony se veut poète comme Senghor, mais contre-Senghor, il se rêve plutôt frère de Rimbaud et fils de Victor Hugo. Il écrit Vers au vinaigre, Le Pays intérieur, L’autre rive du pain quotidien. Mais comprenant que, dans les années 70, ce ne sont plus les poètes qui sont fêtés par les éditeurs et le public, il s’oriente vers le roman et produit à un rythme soutenu des œuvres qui puisent grandement dans le quotidien de sa vie. Il écrit, entre autres, Remboursez l’honneur, La planète des signes, Ces hommes qui fatiguent les chiffres. Et avec le concours du théâtre interafricain de Radio France International, qui est une voix et une voie pour être connu, il se lance aussi dans le théâtre avec Monsieur Tout-Court, le Ventre,  La Gueule de rechange.

Au fil des années, les manuscrits sont remaniés, des textes migrent pour rejoindre d’autres, des textes sont recombinés, l’ordre du récit est interverti…On sent l’écrivain qui cherche, tâtonne, crée du nouveau. Celui qui assimile la création à la lutte, l’écriture à un combat de boxe avec les mots travaille sa prose, fait ses gammes pour trouver sa propre musique. Et elle aura la fulgurance de la foudre, le grondement du tonnerre et le souffle d’une bombe.

Naissance d’un écrivain nous rappelle que le monde des lettres est un champ d’affrontement, comme l’a formulé Bourdieu, et que la légitimation d’une œuvre littéraire et la consécration de son auteur dépendent d’autres acteurs que l’écrivain. Quoique l’éditeur, le critique, le libraire jouent à être des acteurs invisibles, ils construisent la consécration de l’écrivain, et sans eux, le talent peut rester méconnu et une œuvre ne jamais dépasser le stade de manuscrit.

Cet essai de Céline Gahungu, paru aux CNRS Editions dans Planète libre Essais, est un gros pavé que l’on lit facilement parce qu’il est construit comme une mosaïque de textes. En effet, au lieu d’un texte long comme un fleuve, la chercheuse a opté pour des intertitres qui abordent chacun un aspect de la longue marche de Sony vers le statut d’écrivain. Ce livre raconte avec force détails le processus alchimique de l’écriture du jeune Marcel. Comme du plomb de son désir d’écriture il est arrivé à extraire de l’or de la littérature.

Saïdou Alceny Barry

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