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La gratuité : Une vertu oubliée dans le service interpersonnel ?

«Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance  méritez-vous ? » (Lc 6,33)

Cette remarque faite par le Christ à son auditoire convoque la place et la valeur instrumentale et spirituelle de la gratuité dans la vie de l’homme. La gratuité semble permettre une valeur ajoutée à l’agir de l’homme. Qu’est-elle en réalité ? Est-elle ordinaire ? Quel enjeu a-t-elle ? Et quelles implications peut-elle présenter pour la relation avec autrui et avec Dieu ?

 

 

1.                Définitions

Sur le plan étymologique, deux pistes latines du mot ‘’gratuité’’ sont données par les dictionnaires Larousse et Littré : ‘’gratuitas’’ qui signifie ‘’faveur’’, et ‘’gratis’’qui signifie ‘’de pure grâce’’. Selon le dictionnaire Larousse, le concept de ‘’gratuité’’ fait appel au «caractère de ce qui est sans fondement, injustifié (gratuité d’une affirmation) ; ou ‘’caractère de ce qui n’a pas un but défini, rationnel (gratuité d’un acte »’. Le Centre national de recherche textuelle et lexicale (CNRTL) définit à travers ce mot le « caractère de ce qui est fait ou donné, ce dont on peut profiter sans contrepartie pécuniaire, sans recherche de compensation ».

Le concept de ‘’gratuité’’ introduit dans plusieurs univers lexicaux et disciplinaires : économique, sociologique, politique, théologique, psychologique, philosophique. Il concerne la relation entre au moins deux personnes, deux institutions, deux entités. Il définit les implications d’une action, d’une option ou d’une décision d’une personne physique ou morale envers une autre, sous l’angle des conditions ou des retombées. Il fait appel au prix, au coût ou à la valeur d’un don ou d’un service destiné à une tierce personne. Gratuité rime essentiellement avec générosité et don. Toutefois, l’univers du don est assez vaste et complexe surle plan des options à prendre et des valeurs à choisir. 

 

2.                Le don, l’échange et le contre-don

Une discussion a été entretenue entre plusieurs sociologues concernant le lien entre le don, l’échange et le contre-don. Dans son étude intitulée Essai sur le don, le sociologue français Marcel MAUSS stipule que dans certaines sociétés, le don est une forme d’échange déterminé par trois principes : obligation de donner, obligation de recevoir et obligation de rendre (Mauss & Weber, 2012). Alain Caillé et Jacques Gotbout précisent à leur tour que « ce qui est en jeu dans le don, c’est moins le bien qui circule que le lien qui résulte de la transaction » (Caillé, 2000; Godbout, 2000). Alain Testart, quant à lui, note une opposition entre don et échange : le don n’exige pas d’obligation juridique de donner en retour, tandis que l’échange l’exige (Testart, 2007). Il souligne également que la générosité qui s’affiche derrière le don peut susciter parfois un doute sur les intentions réelles du donateur ; un doute que Luk Boltanky situe également dans l’esprit du donateur : «Suis-je bien sûr de ma bienveillance, ou bien ai-je des motifs d’agir plus égoïstes ? » (Albert, 2011; Boltanski, 1993). Ce bref aperçu de la littérature apporte des distinctions conceptuelles et donne des repères pour déconstruire les motivations du don, donc de la gratuité dans les sociétés actuelles.

 

3.                Les relations sociales à l’épreuve d’une marchandisation galopante

Les relations sociales des sociétés contemporaines sont marquées par une logique prépondérante d’un don qui exige une contrepartie implicite ou explicite. La pratique de la contrepartie des 10% en donne une illustration : les tractations foncières et immobilières, la facilitation dans la recherche de marchés pour certaines entreprises ou sociétés se caractérisent par le sacro-saint principe d’une ristourne de 10%. Il s’agit là d’un business qui s’érige presque en norme et qui exige qu’à la suite du savoir-faire, en termes de démarche et de facilitation, il y ait un retour sur investissement. La joie de rendre service à une tierce personne disparaît au profit d’une exigence de monétarisation. Cette pratique de retour sur investissement prend des formes plus déterminées dans certains contextes où le fonctionnement normal des institutions publiques est monétarisé. Un service auquel le citoyen a droit doit alors être conditionné par une compensation de quelque nature que ce soit. Ainsi un document souhaité, un avancement professionnel attendu selon les dispositions, un procès attendu selon les dispositions pénales seront bloqués aussi longtemps que le bénéficiaire affichera son droit à l’obtenir gratuitement conformément à ce que la loi lui garantit. Cet état de fait touche les nombreux secteurs épinglés par le RENLAC en matière de corruption : ce fléau rouleau compresseur qui altère le sens du travail bien accompli. Un autre phénomène quicorrompt le sens de la gratuité et de la déontologie dans le secteur public est la politisation de l’administration publique. A travers cet état de fait, là précisément, la politique détruit l’essence même de la politique : le bien commun est mis au service du bien particulier individualisteet partisan. La marchandisation des relations sociales a pour effet de compromettre le bien-être sociétal et la vocation de l’homme à trouver sa joie dans une ouverture vraie et profonde à son prochain.

 

Conclusion :

En termes de gratuité du don, si nous paraphrasons l’appel de Jésus en Luc 6, 34, à prêter sans rien attendre en retour, nous pouvons écrire ceci : « Si vous donnez à ceux qui peuvent vous donner en retour, quelle récompense méritez-vous ? » La récompense évoquée dans ce passage de l’Evangile se trouve avant tout dans le cœur de chaque être humain. Elle lui permet de se réaliser à travers la capacité du don gratuit. La mesure de la joie de l’homme se trouve dans la mesure de son sens du partage. Le partage est vrai seulement s’il est oblatif, c’est-à-dire dongratuit. Il s’agit alors de sortir de la tentation de l’élan captatif et d’éviter d’aimer en prenant. N’est-ce pas l’interpellation lancée par le Christ en ces termes : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Mt 16, 26). Il y a lieu de prendre alors des dispositions pour ne pas perdre son âme, mais la gagner en apprenant à la donner pour les autres. Le Christ a démontré par sa propre vie que la générosité/gratuité ouvre l’homme à la mesure de l’amour de Dieu. La vie du Christ a été, une offrande à Dieu et aux hommes en vue de la réalisation de l’amour vainqueur de Dieu pour l’homme. Le Christ nous enseigne qu’exister pour les autres est le vrai chemin du bonheur qui permet à l’homme de se retrouver et de retrouver  Dieu.

 

Abbé Anicet Tounwendsida Kaboré

Enseignant-Chercheur à l’UCAO-UUB

Dernière modification ledimanche, 24 mars 2024 19:48

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