Menu

Victoire de Diomaye Faye au Sénégal: La France a-t-elle du souci à se faire ?

Quatre jours après, on n’en finit pas d’être admiratif de la vitalité de la démocratie sénégalaise qui, une fois de plus, a administré une bonne leçon que beaucoup de pays africains gagneraient à méditer et à  assimiler.

Certes, les résultats provisoires officiels ne sont pas encore proclamés, à plus forte raison les résultats définitifs qui doivent être annoncés par le Conseil constitutionnel, mais d’ores et déjà, le vainqueur entre petit à petit dans sa fonction en attendant son investiture officielle.

Bassirou Diomaye Faye, qui vient de troquer sa tenue de prisonnier contre le costume de président, est scruté et ses moindres propos passés à la loupe pour jauger ses premiers pas et voir le chemin qu’il entend emprunter.

Si, sur le plan local, il est bien placé pour savoir que les Sénégalais l’attendent particulièrement sur le front social, notamment le chômage des jeunes, l’émigration, le pouvoir d’achat et bien d’autres choses, on s’interroge déjà sur ce que sera sa ligne de conduite en matière de politique étrangère.

D’ores et déjà, il a laissé entendre, concernant la CEDEAO, qu’il œuvrerait à consolider les acquis et à corriger les faiblesses de l’instance régionale. Reste à savoir s’il parviendra, comme il l’a promis, à ramener dans la famille CEDEAO ses désormais homologues Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdarahamane Tchiani, qui ont décidé de façon concertée d’en claquer la porte et qui ont tous dit que leur décision était irrévocable.

Il va bien falloir au nouveau magistrat sénégalais un trésor d’imagination, de persévérance et de persuasion pour les amener à reconsidérer leur position.

S’il y a également un axe de la politique étrangère qui sera suivi avec attention, c’est bien celui des relations entre la France et le Sénégal.

Depuis de longues années, le PASTEF d’Ousmane Sonko n’a jamais fait mystère de sa volonté de refonder la relation franco-sénégalaise, au point d’être qualifié d’antifrançais.

Il est vrai qu’il a souvent embouché la même trompette que ceux qui regardent aujourd’hui l’ex-puissance coloniale en chiens de faïence, mais il s’est toujours défendu d’être un antifrançais.

Dans une interview accordée à France 2024 et à RFI en janvier 2023, il avait déclaré «n’avoir rien contre la France», appelant Paris à un «partenariat gagnant-gagnant avec l’Afrique».

Sur certains points,  Ousmane Sonko rejoint dans une certaine mesure les Etats de l’AES, même si on imagine qu’ici, le divorce, si divorce il y a, ne sera pas aussi brutal  et violent.

Une chose est de tenir des discours  quand on est  opposant, une autre est de gouverner en homme d’Etat une fois le pouvoir acquis. Et on imagine que les nouveaux dirigeants du pays de la Teranga vont jauger un peu la situation avant de se lancer dans des aventures qui pourraient s’avérer périlleuses.

Il en est ainsi de la sortie du franc CFA. La posture  du PASTEF était jusque-là de créer une monnaie locale, mais la réalité pourrait très vite rattraper les vainqueurs de la présidentielle, qui commencent déjà à mettre un bémol sur leur position en privilégiant désormais la création de l’ECO, cette monnaie commune aux pays membres de la CEDEAO en gestation depuis de longues années  et qui devrait voir le jour en 2027.

La monnaie sénégalaise devrait donc être une solution de rechange au cas où le serpent de mer de la CEDEAO ne verrait pas finalement le jour.

Dans l’immédiat, la France n’a peut-être pas grand-chose à craindre, même si l’Hexagone devrait anticiper pour éviter de se retrouver dans une position délicate comme celle qu’elle a en ce moment au Sahel.

Quoi qu’il en soit, on peut être déjà sûr d’une chose : quand bien même le nouveau locataire du palais présidentiel voudrait couper le cordon ombilical qui lie le pays de Senghor à l’ancienne métropole, il ne s’agirait certainement pas de délaisser le Coq gaulois pour se jeter éperdument dans les bras d’un autre partenaire, en l’occurrence l’Ours russe, qui a occupé le terrain laissé vacant par Paris au Mali, au Burkina et au Niger. Dans cette interview précédemment citée, Ousmane Sonko avait indiqué que ce qui est attendu de la Russie n'est pas «un partenariat de guerre» mais «des partenariats plus larges qui englobent toutes les questions de développement». Or, a-t-il souligné, «ce qu'on voit dans certains pays africains ne semble pas aller dans ce sens». «On est dans le remplacement. Est-ce que ce par quoi on remplace vaut mieux que ce qu'on remplace ? Je n'en suis pas totalement sûr», avait-il ajouté.

Tout compte fait, si changement de camp il devait y avoir, ce ne serait pas une révolution qui casse tout sur son passage mais une posture beaucoup plus modérée et sans doute que toutes les composantes de la société sénégalaise auront leur mot à dire, contrairement à ce qui s’est passé dans les trois Etats où les décisions ont souvent été prises au sommet sans concertation aucune avec les forces vives de la Nation.

 

Hugues Richard Sama

 

 

En savoir plus...

Loi d’amnistie au Sénégal : Voter ou ne pas voter?  

L’Assemblée nationale sénégalaise a sans doute vécu hier l’une des journées les plus longues de son histoire.

En effet, elle devait examiner le projet de loi d’amnistie voulu par le président Macky Sall pour sortir de l’imbroglio politique qu’il a lui-même créé.

Tout est parti de sa décision, jugée unilatérale par une bonne partie de l’opinion sénégalaise, de reporter l’élection présidentielle qui devait initialement se tenir le 25 février dernier. Mais  cette volonté présidentielle sera retoquée par le Conseil constitutionnel  qui a estimé que le décret du 3 février fixant la nouvelle date du scrutin au 15 décembre 2024 était contraire à la loi fondamentale.

Du coup, l’enfant de Fatick s’est retrouvé au milieu du gué sans pouvoir faire machine arrière ni avancer. Pour sortir de l’impasse, il a sorti de son chapeau le projet de loi d’amnistie dont l’annonce a été faite au premier jour du dialogue national qu’il convoqué à Diamniadio les 26 et 27 février derniers, lesquelles assises ont proposé la date du 2 juin pour tenir le scrutin présidentiel.

Pour les initiateurs  de cette loi, il s’agit d’apaiser le climat sociopolitique et d’aboutir à une élection beaucoup plus inclusive, sauf que pour de nombreux Sénégalais, ce serait une prime à l’impunité dans la mesure où pas moins de 60 personnes ont été tuées dans les différents troubles entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, soit la période visée par le texte.

L’on a assisté hier donc  à une véritable querelle de tranchées sur les bancs de l’hémicycle où les deux camps s’affrontaient à coups d’arguments politiques et juridiques. Restait à savoir lequel des deux camps allait  rafler la mise à l’issue du vote.

Mathématiquement, voici comment les choses se dessinait: la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar, pouvait compter sur ses 81 députés  et avait besoin de  2 voix de plus pour plier les choses; le PASTEF d’Ousmane Sonko disposait de 24 sièges; le PDS de Karim Wade avait annoncé qu’il s’alignerait sur le vote de la principale coalition d’opposition, Yewwi Askan Wi, et ses 39 élus.

L’issue du vote répondra-t-elle à cette logique mathématique? Jusqu’à hier en début de soirée, il était difficile de savoir de quel côté la balance parlementaire allait pencher.

Mais quel que soit ce qui en sortira, c’est forcément une issue qui ne satisfera pas toutes les parties prenantes. Et au finish, on se demande bien si l’objectif visé, qui est d’apaiser les tensions sociopolitiques, sera atteint.

Une autre question restait en suspens: Macky Sall ayant déclaré qu’à partir du 2 avril, fin de son mandat, il partirait effectivement, la question demeurait de savoir quelle décision prendrait le Conseil constitutionnel sur ce sujet.

Après avoir statuer sur la question le 5 février, les  Sages n’ont pas validé la nouvelle date proposée par les dialoguistes sans pour autant préconiser de nouveau calendrier. Ils ont par ailleurs maintenu la liste initiale des 19 candidats à la magistrature suprême. Ce qui signifie que quels que soient les micmacs politiques, Ousmane Sonko et Karim Wade sont définitivement forfaits pour la course à la présidence.

Ce nouveau niet des grands juges sénégalais  a poussé Macky Sall à revoir encore ses plans. L'on a appris en effet hier dans la soirée la dissolution du gouvernement et la nomination de Sidiki Kaba, jusque-là ministre de l'Intérieur, à la Primature. Quant à  la présidentielle, elle se tiendra finalement le 24 mars prochain. S'il n'y a pas de second tour, le délai constitutionnel peut encore donc être tenu. Mais tout ça pour ça!

 

 

Hugues Richard Sama

En savoir plus...
S'abonner à ce flux RSS