Procès putsch manqué : Le fameux major Badiel
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L’interrogatoire des accusés au procès du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015 s’est poursuivi, hier 9 juillet 2018, dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Etaient devant les juges pour s’expliquer sur les faits à eux reprochés l’adjudant Kossè Ouékouri et l’adjudant-chef major Eloi Badiel. Si dès l’instruction de ce dossier à la barre, il y a un nom qui est revenu avec insistance, c’est bien celui du major Badiel. Son premier mot a été d’ailleurs : «J’ai l’impression que tous ceux qui se sont succédé à la barre se sont concertés pour tout déverser sur moi.»
Après avoir achevé l’interrogatoire de l’adjudant Kossè Ouékouri sur les faits de complicité de meurtre, de coups et blessures volontaires ainsi que de dégradation volontaire aggravée de biens, le président de la chambre de première instance a invité l’adjudant-chef major Eloi Badiel à se présenter à la barre. Les chefs d’inculpation contre le natif de Réo sont : attentat à la sûreté de l’Etat ; meurtre sur 13 personnes et coups et blessures volontaires sur 42 autres. Des faits prévus et punis par des dispositions du Code pénal (articles 64, 67, 69, 108, 109, 111, 112, 328 et 347). «Reconnaissez-vous ces faits qui vous sont reprochés, adjudant-chef major Badiel Eloi ? » a demandé Seidou Ouédraogo. «Je reconnais partiellement les faits. Je veux préciser que j’ai l’impression que tous ceux qui se sont succédé à barre, monsieur le président, se sont concertés pour tout déverser sur moi », a répondu le quinquagénaire (52 ans). S’il endosse la responsabilité dans l’accusation d’attentat à la sûreté de l’Etat, il ne se reconnaît en revanche pas dans les faits de meurtre ainsi que de coups et blessures volontaires.
Selon les explications du major Badiel, le matin du 16 septembre 2015, il a été à un rassemblement au carré d’armes à 8h avant de regagner son P.C. (poste de commandement). Il a l’habitude de faire la ronde au palais, de s’assurer que tout va bien avant de rentrer chez lui. C’est ainsi qu’il a rencontré le sergent-chef Roger Koussoubé, qui lui a fait savoir qu’il l’avait cherché la veille pour quelque chose de très important. «Il m’a dit de procéder, sur instruction du général Diendéré, à l’arrestation du président de la Transition, Michel Kafando, du Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, et de deux autres ministres que sont Augustin Loada et René Bagoro. Je lui ai demandé si c’était le général qui avait dit cela et il a répondu par l’affirmative. Quand j’ai cherché à savoir la cause, il m’a dit que la dissolution du corps (ndlr : RSP) était à l’ordre du jour du Conseil des ministres. J’ai demandé s’il avait vu le document relatif à cette dissolution et il a répondu non. Nous sommes rentrés chez Nion que je l’ai réveillé, je lui ai donné l’information et le sergent-chef Koussoubé a répété ce qu’il venait de porter à ma connaissance. Nion a proposé d’entrer en contact avec le général Diendéré pour vérifier l’info. Par la suite, le général a répondu et il nous a montré le message qui disait de passer le voir et je suis rentré à la maison », a relaté l’adjudant-chef major Eloi Badiel.
«J’ai déposé mon plat et regagné le palais lorsque Koussoubé m’a rappelé »
Poursuivant son récit, l’accusé a fait savoir qu’il était en train de manger quand, vers 12h30-13h, le sergent-chef Roger Koussoubé l’a rappelé de venir au palais, l’information ayant été confirmée. « J’ai déposé mon plat et j’ai regagné le palais. Arrivé, Koussoubé m’a dit que Nion a confirmé que le général est au courant, il était avec des jeunes (Zerbo Mohamed Laoko, Pooda Ollo Stanislas Silvère et Djerma). Je me suis dit que si on doit mener cette action avec les jeunes c’est dangereux, c’est risqué donc j’ai fait appeler Nébié Moussa, dit Rambo, Bouda Mahamado qui connaît très bien le palais et Kossè Ouékouri », a expliqué le mis en cause.
Selon son développement, les véhicules étaient au nombre de trois, mais il ne se rappelle plus exactement qui étaient les occupants. Il sait seulement que dans le premier, le véhicule 1 qui a bougé, il y avait Moussa Nébié et Jean Florent Nion pour l’arrestation des quatre autorités ci-dessus citées. Dans le véhicule 2 se trouvaient Kossè Ouékouri a qui il a confié une mission d’observation, puisqu’il est arrivé un peu tard (l’inculpé a reconnu par ailleurs qu’il s’agissait d’une équipe d’appui même si les éléments avaient reçu la consigne d’aller observer le côté ouest de la présidence). Le véhicule 3 n’a pas bougé et Roger Koussoubé n’a pas été de la mission car il craignait d’être reconnu facilement «à cause de son teint ». Rires dans la salle.
La mission d’arrestation terminée, Bouda Mahamado qui est arrivé le premier, devait préparer le salon de la résidence (ou le palais) et y installer les autorités en attendant l’arrivée du général. «Quand j’ai demandé qui se portaient volontaires pour aller chercher le général à son domicile, Rambo s’est proposé, Nion, Birba, et d’autres militaires, deux véhicules ont composé ce cortège », a précisé l’adjudant-chef major Eloi Badiel. Entre-temps, il aurait demandé à appeler sa femme depuis la maison afin que son fils lui apporte son téléphone qu’il n’avait pas emporté à l’issue de l’appel de Koussoubé. Ayant remarqué que le général ne venait pas, le major Badiel dit avoir appelé d’abord Rambo sans succès et Nion ensuite qui lui a signifié que le général a continué au P.C. où s’il s’entretenait avec des militaires. Rambo, selon ses propos, ne l’a pas appelé pour signaler un quelconque changement de destination.
« Je n’ai pas rendu compte à mon supérieur Dao car il était en mission »
«Mon adjudant-chef major, quand Koussoubé vous a donné l’information sur l’arrestation des autorités, pourquoi vous n’avez pas rendu compte à votre supérieur hiérarchique, le capitaine Dao ? » a voulu savoir le substitut du procureur militaire, Mamadou Traoré. «Je n’ai pas rendu compte à mon supérieur, le capitaine Dao, car il était en mission », a répliqué l’accusé. Bien que son commandant de groupement, le capitaine Abdoulaye Dao fût en mission à Bobo-Dioulasso, il n’a pas jugé bon de lui donner l’information au téléphone. Il voulait le faire de vive voix. A la question de savoir pourquoi il ne s’était pas référé à l’adjoint du capitaine Dao, voici sa réaction : «Je n’avais confiance en personne ».
Et le parquetier de poursuivre : «Selon vos explications, vous étiez réservé dès le départ ? Vous étiez mal à l’aise pourquoi ? » « Ce genre de mission doit être préparée », a indiqué le major Badiel. «Entre Koussoubé et vous, je ne sais pas qui est le plus gradé mais est-ce que si votre subordonné vous dit d’arrêter les autorités de la Transition, vous devez déférer à cette instruction », a ajouté Mamadou Traoré. «Je n’ai pas adhéré voilà pourquoi nous sommes allés voir Nion, qui a proposé de vérifier l’info en entrant en contact avec le général », s’est défendu l’inculpé. Une réponse qui n’a pas convaincu le substitut du procureur militaire qui a réagi en ces termes : «Malgré cette vérification proposée par l’adjudant-chef Nion, il est votre subordonné, ma question demeure, mon adjudant-chef major. Vos subordonnés vous donnent une information et vous vous retrouvez au centre à jouer le coordonnateur, l’organisateur en chef ». «Je confirme que je n’étais pas d’accord. Quand Nion a pris contact avec le général, je suis rentré à la maison, Koussoubé m’a rappelé et à mon arrivée, il était avec de jeunes militaires, je ne pouvais plus faire marche arrière sinon je n’allais pas me retrouver devant la barre ce matin ».
Pour le conseil de l’accusé, Me Bali Bazémo, ce qu’il faut retenir et garder à l’esprit est que la responsabilité pénale est individuelle. Selon ses propos, son client a été on ne peut plus clair dans la narration des faits et ne s’est pas dérobé à la charge d’attentat à la sûreté de l’Etat qui pèse sur lui. Il a fait noter également que la question de la rupture de confiance entre les militaires s’est toujours posée dans tous les procès (Madi Ouédraogo et autres, attaque poudrière de Yimdi).
Après la pause de l’après-midi, l’audience s’est poursuivie avec l’interrogatoire du major. Ce dernier sera encore ce matin à la barre.
San Evariste Barro
Aboubacar Dermé
Encadré :
« Si je vois quelqu’un en panne, je bombe »
A la reprise de son interrogatoire hier matin, l’adjudant Kossè Ouékouri a reconnu que la seule mission qu’il a exécutée hors de Kosyam a été au domicile de feu Salifou Diallo. Il était avec le major Badiel quand le colonel-major Kéré a téléphoné à ce dernier pour lui dire de constituer une équipe qui avait pour mission de faire cesser les actes de vandalismes au domicile de feu Salifou Diallo. Ils s’y sont rendus et n’ont pas fait usage d’armes pour disperser les «pilleurs » qui tentaient d’emporter tout ce qu’ils pouvaient (écran téléviseur, cuisinière, frigo, minibar, entre autres). «J’ai failli démonter mes reins là-bas, il fallait chasser les manifestants et ramasser le matériel qu’ils laissaient dans leur fuite ». Il a nié avoir participé au désarmement du policier Yacouba Manli et l’avoir conduit dans un centre de santé. « Je suis désolé d’avoir participé à cette mission chez feu le président Salifou Diallo, à cette allure personne ne va aider son prochain parce que les gens ne relatent pas les faits exactement. J’ai fait ce que je peux pour arrêter les actes de vandalismes mais si les gens veulent mettre tout ça sur mon dos. Demain, si je vois quelqu’un en panne, je bombe (ndlr : je continue ma route) », a conclu Kossè Ouékouri en laissant l’assistance dans l’hilarité.
A.D.
Encadré :
Le major Badiel a failli s’énerver
L’adjudant-chef major Eloi Badiel a fini par être éreinté par une question qui lui a été posée plus d’une fois : «Trouvez-vous normal que vos subordonnés vous donnent des instructions pour arrêter les autorités de la Transition et que vous les exécutiez ? » Sa réponse a été que l’information a été vérifiée par Jean Florent Nion car si elle provenait uniquement du sergent-chef Koussoubé, il n’allait pas être partant. Mais dans le jeu de questions-réponses, la même préoccupation a été exprimée par Me Alexandre Sandwidi autrement : «Pourquoi le général ne vous a pas dit directement de faire le coup d’Etat ? » Réponse de l’accusé : «Il était question d’une arrestation. Posez cette question au général ». Et Me Sandwidi d’ajouter : «Mais pourquoi vos subordonnés vous approchent avec cette instruction et vous l’exécutez ? » Réaction de l’inculpé : «Euh ! à ce genre de questions-là, j’ai déjà répondu, je ne veux pas m’énerver ». Ambiance.
Se voyant obligé d’intervenir, le président Seidou Ouédraogo a fait savoir à l’accusé qu’il peut ne pas répondre à la question ou demander une suspension de l’audience s’il est fatigué au lieu de rétorquer de la sorte.
A.D.
Encadré :
Le président Kafando refusait de manger
Après l’arrestation des autorités de la Transition, Mahamado Bouda est celui qui a préparé le salon de la résidence pour les installer en attendant l’arrivée du général Diendéré. Mais «Golf » ne s’étant pas présenté, le militaire a reçu l’ordre du major Badiel de préparer des chambres au cas où ces autorités voudraient se reposer. Mahamadou Bouda était, selon le parquet, nommé régisseur des cellules ; c’est pourquoi ce n’est pas fortuitement qu’il a été appelé.
Par rapport à l’alimentation, dans la nuit du 16 septembre, le président Michel Kafando a refusé de manger la nourriture venant des serveurs de la présidence en prétextant qu’il avait jeûné. Le lendemain, il était toujours dans la même posture, ce qui obligera le major Badiel à communiquer l’attitude du président au capitaine Dao. Sur instruction de celui-ci, la femme de l’illustre détenu pouvait lui faire parvenir de quoi manger mais il ne voulait pas que celle-ci vienne au palais. Et la femme qui a dit connaître son homme avait la certitude que M’Ba Michel n’allait jamais manger en l’absence de son épouse qu’elle est.
A.D.
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