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Arts plastiques : Pneuvolution, les Traces du temps d’Issouf Diero

Le Kunstraum 622 accueille,  depuis le jeudi 25 janvier 2018, une installation d’Issouf Diero. Cet artiste de Bobo-Dioulasso travaille principalement  le pneumatique, un matériau qu’il a découvert  auprès de son père cordonnier qui en tirait des chaussures inusables. Lui, même s’il ne rompt pas la corde de la transmission du savoir artisanal du père au fils, va y introduire une petite révolution : des pneus, il ne fera pas des sandales mais des œuvres d’art !

 

 

Pneuvolution est une installation qui mêle œuvres en pneumatique et images vidéo. L’artiste y célèbre le pneu tout en questionnant l’histoire et  la catégorisation des arts plastiques.  A l’entrée de la salle d’expo, le spectateur est accueilli par une vidéo qui diffuse des images de la circulation. Défilé de pneus de toutes tailles : roues de petits cycles, de voitures jusqu’au gros Michelin ou Bridgestone des mastodontes.  

Dans la salle principale, une tapisserie composée de larges bandes de pneus assemblées est fixée au mur, avec des jeux sur les volumes.  En face, trois tableaux faits de pneus. On comprend que l’expo joue le rapport entre la fixité des pneus devenus œuvres d’art de Diero et la mobilité des pneus filmés dans la ville. Le spectateur est pris entre, d’un côté, la cinétique des pneus  et, de l’autre,  leur  majestueuse immobilité. Comme entre la vie et la mort ? Ou entre une première vie et la dernière vie qu’il donne au pneu?

La tapisserie  de Diero ! L’artiste s’est contenté de suturer les bandes entre elles sans chercher ni à les égaliser ni à en masquer les aspérités, les traces du temps. Tout le contraire  des tapisseries chatoyantes d’El Anatsui faites de capsules lustrées et vernies. On peut se demander pourquoi l’artiste est si peu intervenu sur le matériau. Et on se souviendra de son rapport au pneu : il ne se sert pas du matériau, il le sert. Là est toute la différence. Car  laisser s’exprimer le matériau  brut exige du créateur une grande confiance dans cette matière-là. Et cela exige de lui  une démarche   de grande retenue, un travail a minima,  une option pour l’inachèvement… Tout à l’opposé, par exemple, de Wim Delvoye qui traite le pneu comme une dentelle dans laquelle il faut tailler des ornements.

Et les trois tableaux !  Ce sont évidemment des monochromes noirs avec les lignes des pneus et les nuances dues à l’usure, aux stigmates, aux ridules et aux gerçures. Sont-ce des tableaux ou des hauts-reliefs ? Faut-il y voir un triptyque ou 3 tableaux indépendants ? Ces tableaux nous interrogent sur  ce que valent les frontières entre une toile et une sculpture. Ce n’est pas la réponse qui importe mais la question. Et c’est en cela que l’expo de Diero  est intéressante et charrie un souffle nouveau.

Nombre d’observateurs du milieu de l’art au Burkina  déplorent de plus en plus l’absence de créativité des  sculpteurs burkinabè, figés qu’ils sont  dans des pratiques oscillant entre l’artisanat et un art de la routine comme si le bronze, leur matériau de prédilection, les avait pétrifiés. Il est donc heureux de voir surgir de Bobo-Dioulasso un artiste porteur d’une proposition nouvelle, osée et originale. René Char disait que "ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience". L’installation d’Issouf Diero est troublante. Donc elle est la bienvenue dans le monde des arts au BF pour  bousculer l’engourdissement des sculpteurs et  porter la cognée au bois mort de la routine.

 

Saïdou Alceny BARRY

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