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Fête des amoureux: Saint-Valentin noyé dans les cendres

14 février 2018, jour de la Saint-Valentin, début de carême catholique, match PSG/Réal de Madrid, autant d’évènements qui ont porté un coup au jour dit de l’amour puisque cette fête n’a pas connu cette fois sa ferveur des années antérieures. Obligations religieuses ? Contraintes économiques ? Passion du match ? En tout cas cette année, la fête des amoureux n’a pas tenu toutes ses promesses. Constat !

 

 

En cette matinée de la fête dite des amoureux, la Grande Cave est déserte. Seulement un client durant les 20 mn que nous avons passées dans la boutique. « Les amoureux ne boivent-ils pas de vin ? » nous demandons-nous. En tout cas par le passé, ce breuvage faisait partie des cadeaux favoris des tourtereaux.  Mais cette année, malgré les coffrets que la cave a confectionnés pour l’occasion, les choses ne bougent pas. « Les chiffres d’affaires n’ont rien à voir avec ceux des années antérieures », nous a confirmé le gérant, Abdoulaye Bonkoungou.  A l’en croire, il n’y a pas d’engouement mais l’espoir est permis et il attend de voir si, d’ici la fin de la journée, la donne ne va pas qualitativement changer, quand bien même l’événement coïnciderait cette année avec le mercredi des cendres (début du carême catholique). Alors que nous quittions les lieux VERS 11h, un client faisait son entrée dans la cave mais pas pour la St-Valentin : il voulait un cadeau d’anniversaire à offrir.

A quelques rues du grand marché de Ouagadougou, l’ambiance est tout autre. Bébés en bandoulière ou au dos, des femmes hèlent les clients. Leurs « fleurs, fleurs», attitrent les regards admiratifs des passants à moto ou en voiture qui ralentissent pour admirer les bouquets de fleurs fraîches qu’elles vendent. Les plus « courageux » qui se hasardent dans les stands où des fleuristes font les compositions florales trouvent les prix « exorbitants ». Idakom Palé, une jeune femme, est de ceux-là.  « Je suis venue prendre une fleur pour mon amoureux. J’ai déjà acheté une paire de chaussures. Aujourd’hui comme c’est un jour spécial, j’espère que mes présents vont le toucher », nous confie-t-elle. A la question de savoir si avec le mercredi des cendres cette fête ne perd pas de sa saveur, elle nous informe qu’elle est de religion musulmane. « Donc je ne vois aucun problème à fêter la St-Valentin », précise-t-elle.

 

« Il ne faudrait pas que ma chérie me voie en tenue kaki… »

Dans sa tenue d’école kaki, Djibril Dembélé, élève d’une quinzaine d’années, a l’air perdu dans cette cacophonie de « fleurs, fleurs, fleurs ».Qu’est-ce que vous êtes venu faire ici ?«Ah vous voulez m’interviewer et faire des photos? Attendez que j’enlève d’abord mon uniforme, il ne faudrait pas que ma chérie me voie dans cette tenue kaki », plaisante-t-il avant d’ôter sa chemise. «Je suis venu chercher une fleur pour ma bien-aimée. Ce n’est pas une fête pour les grands uniquement », se justifie le jeune amoureux. Mais le prix des fleurs brise le cœur au jeune homme : « Le prix des bouquets dépasse celui des voitures, on me parle de 10 000, 15 000 et 20 000 F CFA  pour quelque chose qui va se faner d’ici demain, c’est trop cher», déplore-t-il. Par contre, les fleuristes, eux, se frottent les mains et c’est à peine s’ils ont le temps de s’entretenir avec nous. Après quelques minutes d’attente et de patience, Lassané Sana finit par nous accorder 5 mn afin qu’on débarrasse vite le plancher (nous encombrons visiblement les lieux, vu son attitude).  Il nous a confié que l’affluence cette année n’était pas celle des années précédentes. « Les anciens clients ne se déplacent plus, ils appellent pour passer leur commande », dit-il. Pris par le temps et avec les nombreux appels qu’il reçoit, il ne sait plus à quel saint se vouer. Il faut noter que les bouquets qu’il compose sont constitués de plusieurs qualités de fleurs. Elles proviennent de la Côte d’Ivoire, du Togo et de la France. 

« Les gens sont fatigués de ces histoires-là »

Après avoir réussi à tirer les vers du nez au fleuriste Sana, direction une boutique pas trop loin de là pour constater la morosité de la fête des amoureux.  Nous sommes à la boutique « Faso cadeau ». Le premier vendeur à nous recevoir est Georges Yaguibou, qui affirme que cette année les gens ne sont pas motivés à célébrer la Saint-Valentin. A l’en croire, l’amour vrai n’existe plus car tout repose aujourd’hui sur le matériel et « la sincérité a foutu le camp ». Dans la boutique il n’y a pas grand monde. Un homme d’une quarantaine d’années qui a requis l’anonymat nous a dit que c’était tout fait normal qu’il n’y ait plus d’engouement.  « Les gens sont fatigués de ces histoires-là. Il faut qu’on arrête les dépenses inutiles », lance-t-il. Ce n’est pas Djamila Sawadogo qui l’entendra de cette oreille, elle qui dit être là pour acheter un cadeau de Saint-Valentin, non pas pour un amoureux mais pour un inconnu. Dans le  jeu d’invisibilité que son groupe biblique de l’université Saint-Thomas d’Aquin  a organisé, ils ont décidé de s’offrir des cadeaux dans l’anonymat : « Le jeu consiste à tirer un nom au hasard et à offrir un cadeau à celui qui le porte. L’intéressé ne sait pas que tu vas lui offrir un cadeau de Saint-Valentin et toi non plus tu ne sais pas qui va te donner un cadeau. Le but est de renforcer les liens», nous explique la jeune étudiante. Sa camarade Julie Dibama a, elle,  décidé d’offrir un vuvuzela comme cadeau à « son amoureux inconnu » pour le match PSG/Réal de Madrid.  

Juste à l’entrée de la Boutique, Christian Kaboré a installé son stand d’emballage. Il fait ce travail depuis 1998. Ce spécialiste de l’emballage, grisonnant, nous a confié que les choses ont bien changé au fil des ans : « J’ai vu défiler ici toute sorte d’amoureux, mais cette année il n’y a rien. Ne viennent que des enfants, c’est l’amour scolaire ; le vrai amour n’existe plus », fait-il remarquer. 

Cette St-Valentin, chacun a sa manière de la fêter. Ainsi, Si Moazou Compaoré ne jure que par le match Réal de Madrid/ PSG, Rodrigue Tamadaho, « The manadja major VIP », lui, envisage de décorer sa boîte de nuit pour  la circonstance. « L’amour est la chose la plus belle et il faut la célébrer », a-t-il déclaré.

Félicité Zongo

 

J. Benjamine Kaboré

 

Encadré 1 : La marque d’une imposture commerciale

C’est qui même, ce saint Valentin qui nous fatigue autant depuis quelque temps ? Il y a à peine une dizaine d’années, très peu nombreux étaient sans doute ceux qui le connaissaient si ce n’est, pour  des raisons religieuses, ceux et celles dont c’est le saint patron. Et voilà que « tout à coup, brusquement, soudain », c’est devenu une fête incontournable, non pas dans le calendrier liturgique mais celui profane. Le 14 février est désormais attendu avec ferveur par certain(e)s, dans une certaine crainte pour d’autres et  ce, pour diverses raisons. Mais nombreux sont les amoureux transis qui sacrifient de bon cœur à cette nouvelle tradition inutilement budgétivore.

Dans cette Afrique où on avale sans retenue ni discernement tout ce qui nous vient de l’extérieur, la Saint-Valentin porte d’abord la marque d’une imposture commerciale imposée par les sociétés de téléphonie mobile et les commerçants de tout poil , en l’occurrence les vendeurs de bibelots abusivement appelés cadeaux , pour qui c’est toujours une occasion en or de faire de bonnes affaires  à grand renfort de tarifs promotionnels et de jeux divers.

 Sans  oublier  les vendeurs de fleurs, en caoutchouc de surcroît. Le comble du mimétisme dans la mesure où  les fleurs ne font pas vraiment partie de notre vécu quotidien tant et si bien que beaucoup qui ignorent leur langage offrent tout ce qui leur tombe sous la main, y compris des chrysanthèmes, traditionnellement réservés en Occident à la décoration …des tombes le jour de la Toussaint. On aurait même compris si c’était de la cola (incontournable dans nos cultures  de la naissance à la mort en passant par le mariage) qu’on offrait pour renouveler ses vœux à la personne  aimée, mais non, il faut qu’on fasse comme les Blancs.  Et que dire des gérants de maquis et grilleurs de gallinacés qui n’hésitent à  plumer leurs  clients prêts à tout pour faire plaisir à leur « tendre moitié » ?  

Pour des gens qui dessouchent des poulets entiers chaque jour que Dieu fait, a-t-on besoin d’attendre le 14 février pour en faire une preuve d’amour ? A quoi sert-il, du reste, de jouer aux perruches (ces oiseaux sont réputés rester fidèles jusqu’à ce que mort s’ensuive) un seul jour si c’est pour donner des coups de canifs dans le contrat le reste de l’année ? Pauvres de nous !

A l’allure où vont les choses, on ne serait pas étonné qu’un jour ces marchands… d’illusions nous amènent des halloweens.

F. Z. et  J.B.K.

 

Encadré 2: Deux  questions à l’Abbé Jacob Yoda, Chancelier et vicaire judiciaire à l’Archidiocèse de Ouagadougou 

Qui est saint Valentin pour l’Église catholique ?

Saint Valentin a été martyrisé à Rome vers 270 et inhumé sur la voie Flaminyenne et c’est le Pape Jules 1er qui a érigé une basilique sur son tombeau vers 350. Un autre pape, Pascal 1er , ordonne le transfert de ses reliques dans l’église Sainte-Braquesède au IXe  siècle. La St-Valentin comme fête des amoureux est le fait du monde profane car la fête de saint Valentin n’a rien de spirituel.  Il y a des saints qu’on connaît parfaitement mais concernant certains, il y a tout un mythe autour d’eux. Aujourd’hui, en plus de saint Valentin, il y a saint Méthodes et Cyrille au niveau religieux qui sont fêtés.

Le mercredi des cendres et cette fête dite païenne coïncident cette année.  Qu’est-ce que l’Eglise dit à ce propos ?

Je dirai que c’est une simple coïncidence du calendrier. La manière de célébrer cette fête n’a absolument rien à voir avec le spirituel. 

 

Dans ce sens, l’archevêque a écrit un mot destiné aux chrétiens. Il invite les fidèles à mettre l’accent sur le spirituel et à ne pas se laisser embarquer dans cette célébration. Le premier jour du carême, chaque fidèle doit faire l’effort de jeûner ; ce n’est pas un jour de réjouissances mais de pénitence. 

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