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Procès putsch manqué : Des préliminaires qui s’éternisent

L’audience de jugement du dossier du putsch manqué du 16 septembre 2015 a effectivement repris hier, 21 mars 2018, dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. S’il était à craindre une nouvelle suspension, eu égard au contenu de la sortie médiatique des avocats de la défense 48 heures plus tôt, cette reprise a eu le mérite d’avoir permis de boucler la mise en place des membres du tribunal. Cependant, les questions préliminaires et observations préalables, qui semblent s’éterniser, ont tenu en haleine tout le prétoire durant la journée d’hier.

 

Il était 8h08 quand le général Gilbert Diendéré a fait son entrée au prétoire. Sa destination première a été, tout naturellement, le box des accusés d’où des soldats subalternes, ses  coaccusés, se sont tenus debout, comme un seul homme, en signe de respect pour leur vis-à-vis. Celui-ci donne de chaudes poignées de mains çà et là ou lance un « hello » aux personnes loin de lui. C’est ce qu’il a fait d’ailleurs à l’endroit du public venu être témoin du déroulement du procès. Les preneurs d’images ne se sont pas fait prier pour réaliser le maximum de clichés et éblouir la salle des flashs de leurs appareils, une autorisation leur permettant de s’adonner à leur job jusqu’à 30 minutes avant le début de l’audience.

A 9h00, telle une horloge suisse, le greffier a annoncé l’entrée du tribunal. «Veuillez vous rasseoir, l’audience est ouverte. La dernière fois, nous l’avons suspendue lors du tirage au sort des juges assesseurs. Nous allons demander au greffier en chef de poursuivre l’opération dans le grade de colonel-major », a déclaré le président du tribunal, Seydou Ouédraogo. Le colonel-major Jean Calvin Traoré et le lieutenant-colonel Désiré Rouamba sont tirés au sort mais ils sont non comparants, c’est-à-dire pas dans la salle.

Le troisième à avoir été tiré, lui, était bel et bien là. Le médecin colonel Claude Armand Kabré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a eu le visa de toutes les parties au procès (procureur militaire, avocats de la partie civile et de la défense). Il sera donc tout simplement retenu et prié de regagner son siège en attendant d’être rappelé en temps opportun. Vient ensuite à la barre le lieutenant-colonel Adam Néré, qui repartira aussitôt après une observation d’Alioun Zanré, le procureur militaire. Celui-ci faisait savoir au président que la liste des colonels majors et colonels n’était pas encore épuisée et que, par conséquent, l’aspirant au juge assesseur titulaire devait patienter. Il y avait en réalité un mélange des grades dans les enveloppes tirées par monsieur tout le monde. Le colonel Ludovic D. M. Ouédraogo passe haut la main, aucune des parties n’ayant trouvé contre lui un motif de récusation. La liste des juges assesseurs titulaires est maintenant close puisque le premier, qui avait été retenu le 27 février, est le général de division Robert Tinga Guiguemdé.

Place à présent aux juges assesseurs suppléants, au nombre de trois également. Les tirés au sort sont respectivement le médecin colonel-major Koudougou Kologo, le lieutenant-colonel Vincent de Paul Ouédraogo et le lieutenant-colonel Adam Néré.  «Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les affaires qui vous seront soumises, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé ni ceux de la société qui l’accuse ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre délibération, de n’écouter ni la haine ni la méchanceté, ni la crainte ou l’affection : de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre et de conserver le secret des délibérations même après la cessation de vos fonctions. » C’est ce qu’a déclaré Seydou Ouédraogo, s’adressant aux six nouveaux juges qui ont déclaré, chacun à l’appel de son nom, «je le jure ». Ce cérémonial est imposé par l’article 29 du Code de justice militaire. C’est sur ces entrefaites que l’audience est suspendue à 9h55.

 

Encore les préliminaires !

 

A 11h18, la parole est donnée aux avocats de la défense et c’est Me Mathieu Somé, conseil du général Diendéré, qui se jette le premier dans le bain. «Le 27 février 2018, le débat s’est posé sur l’appellation chambre de jugement en lieu et place de chambre de première instance. Le 7 mars, nous avons reçu de nouvelles citations à comparaître dans lesquelles le parquet militaire a pris le soin de corriger cette erreur. Mais le décret du 23 janvier 2018 qui vous nomme indique que Seydou Ouédraogo est président de la chambre de jugement ; une juridiction qui a été supprimée. Il y a donc un souci qu’il faut régler avant toute chose ; juridiquement, nous sommes face à un obstacle », a-t-il soutenu. Pour lui, la composition du tribunal est  irrégulière parce que aucun juge n’a été désigné pour siéger devant la chambre de première instance. Il venait ainsi de soulever une première irrégularité.

La seconde, a-t-il poursuivi, concerne le tirage au sort du général de division Robert Tinga Guiguemdé. Me Somé a estimé que ce juge assesseur titulaire n’a pas été tiré au sort ce matin à l’audience dans la mesure où le tribunal qui a siégé la dernière fois n’était pas la bonne juridiction, selon lui.

La troisième irrégularité, selon l’avocat de Gilbert Diendéré, est que le tirage au sort effectué viole les articles 15 et 16 du Code de justice militaire. Ce dernier dit en effet que «toutefois, en cas d’impossibilité du respect de la hiérarchie dans la désignation des juges assesseurs, il en est passé outre par décision motivée du président de la chambre de première instance après réquisitions du procureur militaire ». A la lumière de l’article 16 donc, Me Somé a relevé que si le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, avait pris une ordonnance pour passer outre le 27 février dernier, il n’en a pas été ainsi pour le tirage au sort du jour. « Mieux, comment peut-on avoir un juge assesseur suppléant dont le grade est supérieur à celui d’un juge assesseur titulaire ? » a-t-il demandé. Il faisait notamment allusion au médecin colonel-major  Koudougou Kologo et aux deux juges titulaires qui venaient d’être tirés au sort, en violation de la règle sur la hiérarchie des grades. C’est au bénéfice de ces observations qu’il a demandé au président du tribunal de constater que la juridiction était irrégulièrement constituée et d’en tirer les conséquences de droit qui s’imposaient. Me Dieudonné Bonkoungou et Me Paulin Salambéré, des avocats de la défense, sont intervenus pour abonder dans le sens des préliminaires invoqués par leurs prédécesseurs.

 

La réplique du parquet et de la partie civile

 

Pour le substitut du procureur militaire, Sidi Bekayé Sawadogo, les avocats de la défense ont évoqué diverses questions qu’ils qualifient tantôt de questions liminaires, de préliminaires ou de préalables. Celles-ci, à ses yeux, ne sont ni plus ni moins que des incidents ou des exceptions de procédures telles que contenues  dans l’article 117 du Code de justice militaire. Cette disposition indique, en effet, que si l’inculpé, le prévenu ou le ministère public entend faire valoir des exceptions sur la régularité de la saisine du tribunal ou sur les nullités de procédure antérieure à la comparution, il doit, à peine d’irrecevabilité, déposer avant les débats sur le fond un mémoire unique. De plus, les exceptions et incidents relatifs à la procédure au cours des débats font l’objet d’un seul jugement motivé rendu à la clôture des débats. « Les questions liminaires, préliminaires ou préalables ne trouvant aucun fondement juridique dans le Code de justice militaire, nous vous demandons de déclarer ces exceptions irrecevables », a plaidé Sidi Bekayé Sawadogo, avant de demander au président du tribunal de tenir uniquement compte des mémoires déposés et non des questions soulevées.

«Vous-même dont on dit que vous avez été mal nommé, les avocats de la défense ont participé à la constitution de votre tribunal. Pourquoi vous accompagnez la constitution d’une juridiction irrégulière ? Je vous prie de déclarer toutes ces exceptions irrecevables, nous sommes à l’aise », a insisté le substitut Bekayé. « Nous pensons que vous êtes la bonne juridiction », a ajouté Alioun Zanré, le procureur militaire.

Du côté des avocats de la partie civile, Me Yacouba Neya, Me Guy Hervé Kam, Me Séraphin Somé, Me Prosper Farama et Me Awa Sawadogo se sont attelés à montrer «les contradictions de la défense ». « Tous ont parlé devant qui ? Ils ont déposé les exceptions devant qui ? Eux-mêmes (ndlr : les avocats de la défense) vous ont adressé leur mémoire, vous en tant que président du tribunal militaire, ils n’ont pas dit président de la chambre de première instance mais on n’en parle pas. Il paraît que quand on veut tuer son chien, on l’accuse de rage ; mais le chien qu’on veut tuer n’a pas la rage. Il faut chercher d’autres problèmes », a déclaré Me Guy Hervé Kam. A l’issue des débats, le président du tribunal a prononcé la reprise de l’audience à 16h, il était alors 14h 55.

A la reprise à 16h 07, Me Christophe Birba, l’un des avocats de la défense, a tout de suite fait savoir qu’il entendait récuser deux membres du tribunal : le président Seydou Ouédraogo et son juge conseiller. Il  a dit fonder sa demande sur trois éléments : le premier concerne directement Seydou Ouédraogo lui-même. En effet, en vertu de l’article 26 du Code de justice militaire qui fixe les incompatibilités pour siéger à une juridiction militaire, « nul ne peut, à peine de nullité, siéger comme président ou juge ou remplir les fonctions de juge d'instruction militaire dans une affaire soumise à une juridiction des forces armées » si, entre autres, « il a précédemment connu de l'affaire comme administrateur ou comme président ou juge de la chambre de contrôle de l'instruction ». Or, selon Me Birba,  Seydou Ouédraogo a déjà connu du dossier en 2016 en prenant une ordonnance de dessaisissement d’un certain nombre de magistrats.

Les deux autres éléments étroitement liés concernent à la fois les deux magistrats. L’avocat a brandi leur décret de nomination dont le ministre de la Justice, René Bagoro, partie prenant au procès en tant que membre de la partie civile, est cosignataire. Une situation qui, selon le plaideur, fait peser de forts soupçons sur l’impartialité des deux hommes et viole le sacro-saint principe de « nul ne peut être juge et partie à la fois ».

Dans le même ordre d’idées, Me Birba a produit des copies d’un courrier envoyé au ministre de la Justice par le président de la Cour d’appel pour lui proposer une liste de magistrats à nommer au tribunal militaire. Ce document révèle, selon l’avocat, que René Bagoro a écarté plusieurs personnes qui figuraient sur cette liste. C’est le cas, par exemple, du juge Jean-Marie Ouattara, dont le mandat à la tête de la Chambre de contrôle n’a pas été reconduit malgré le souhait du président de la Cour d’appel. La conclusion que l’avocat en a tirée est que le ministre «avait la possibilité de nommer qui il veut ». «Pourquoi écarter certaines personnes et nommer d’autres ? » s’est-il interrogé.

Après cette plaidoirie, le parquet militaire et la partie civile ont demandé au président de juger irrecevable la requête de Me Birba. Pour eux, le tribunal n’a pas compétence pour apprécier cette question. «Vous n’êtes pas habilité à vous juger vous-même. C’est quelqu’un d’autre qui doit dire si vous êtes impartial ou pas », a notamment soutenu Me Guy Hervé Kam, pour qui son confrère Birba devrait adresser sa demande à la Cour d’appel ou à la Cour de cassation. Et cette demande aurait dû être faite avant que le tribunal contesté ne prenne des actes.

Sur la question de fond, son collègue Me Prosper Farama, même s’il dit comprendre les doutes de la partie adverse sur l’impartialité des juges, a dit que ces suspicions n’étaient pas suffisantes pour les récuser. D’autant plus que René Bagoro a signé le décret dans le cadre de ses fonctions. A ce propos, le ministère public a argumenté qu’ «il fallait faire une distinction entre René Bagoro, ministre de la Justice, et René Bagoro, partie civile».

C’est sur ce point d’achoppement que le président Seydou Ouédraogo a suspendu l’audience à 17h 20 pour «des  raisons de sécurité», sans autre précision.

Le procès doit reprendre ce matin à 8h30 avec toujours au menu l’examen des questions préliminaires et des mémoires déposés par certains avocats.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

Hugues Richard Sama

Dernière modification lejeudi, 22 mars 2018 19:01

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