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Procès putsch manqué : La guerre des témoins aura-t-elle lieu ?

Hier, lundi 26 mars 2018, la chambre de première instance du tribunal militaire qui connaît du dossier du putsch manqué a vidé les observations, les exceptions et les incidents de procédure soulevés par les avocats de la défense. Le tribunal, soit s’est déclaré incompétent, soit a rejeté purement et simplement certaines requêtes. On le constate, tant bien que mal, le procès du putsch avance, et on s’achemine tout doucement vers l’examen du fond après les débats de forme qui ont été menés durant quatre jours d’audiences. Ce matin, le tribunal devrait procéder à l’examen de la liste des témoins. Une bataille en perspective quand on sait que la défense a cité à comparaître des personnalités dont la comparution s’annonce difficile à l’audience : le Mogho Naaba Boangho, le président Roch Kaboré, d’anciens ambassadeurs de France et des Etats-Unis, et le général Yacouba Isaac Zida, en exil au Canada.

 

 

Par jugement avant dire droit, c’est-à-dire une décision de justice qui intervient dans le cadre d’une procédure sans statuer sur le fond, la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou a rendu son verdict sur les préliminaires, les observations, les exceptions et incidents de procédure soulevés par les avocats de la défense. Le président Seydou Ouédraogo et les autres membres du tribunal ont fait noter que la chambre ne peut pas connaître des irrégularités sur sa propre composition parce qu’il y a une instance d’appel habilitée à le faire.

Ils ont estimé également que le pourvoi en cassation contre l’arrêt de renvoi n’a pas un effet suspensif et que par conséquent il n’y a pas lieu d’accéder à la requête aux fins de sursis au jugement formulée par la défense. En sus, les membres du tribunal se sont dits incompétents pour statuer sur la demande de récusation du président Seydou Ouédraogo et de son juge conseiller.

Grosso modo, la juridiction a écarté l’ensemble des questions soulevées soit pour irrecevabilité, soit pour incompétence ou encore pour décision déjà rendue par la juridiction compétente (recours en annulation contre le décret de nomination et sa suspension, défaut de pouvoir juger du président, renvoi pour cause d’inconstitutionnalité des articles 4 et 14 du Code de justice militaire au regard de l’article 134 de la loi fondamentale et du Pacte international sur les droits civils et politiques).

Passé cette délibération, le juge Ouédraogo a fait cas d’un mémoire au fin d’annulation de l’arrêt de renvoi introduit par la Société civile et professionnels d’avocats (SCPA) Somé et associés. L’avocat du général Diendéré a bâti son argumentaire sur un certain nombre de points. Le premier, pour violation des droits de la défense. Il a poursuivi que le général Gilbert Diendéré avait eu recours aux services de trois avocats étrangers (deux de la Côte d’Ivoire et un du barreau togolais) afin qu’ils l’assistent dans cette affaire. Mais le 25 novembre 2015, une décision du juge d’instruction déclarait irrecevable cette demande de constitution des avocats étrangers. Un avis que n’a pas partagé la justice supranationale, la Cour de justice de la CEDEAO, contraignant, de facto, le juge d’instruction à autoriser les avocats étrangers à plaider. Cependant, l’instruction du dossier était déjà terminée si bien que les conseils en question n’ont pas pu faire valoir leur expertise. A la lumière de l’article 172 du Code de justice militaire, Me Somé a déclaré que ce comportement peut être perçu comme une cause de nullité de la procédure en ce qu’il viole l’article 14 du Pacte international des droits civils et politiques ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

 

La puce du téléphone de Diendéré a disparu

 

Le deuxième motif est relatif à la perquisition effectuée au domicile de son client, le général Diendéré. «La loi dit que la perquisition se fait en la présence de  l’intéressé ou de quelqu’un qu’il aurait désigné.  La perquisition au domicile du général a été faite à son insu, il n’a pas non plus désigné quelqu’un pour le représenter», a soutenu Me Mathieu Somé. Se basant sur l’article 58 du Code de procédure pénale, l’avocat a martelé que cette procédure doit être purement et simplement frappée de nullité.

Le troisième point concerne l’expertise des objets saisis suite à la perquisition chez Diendéré. La démarche aurait été menée sans respect de la loi. Une loi qui, dans un premier temps, fait obligation de montrer les objets à l’accusé avant l’expertise. Ensuite, lesdits objets doivent lui revenir pour constat et à l’issue de quoi, il est dressé un P.-V. «Certains scellés ne nous appartiennent pas. Nous avons constaté la disparition  de la puce de son téléphone, une somme d’argent a aussi disparu. On nous dit que ce problème sera résolu mais rien n’a été fait. Monsieur le président, faite application de l’article 159 du Code de procédure pénale pour annuler le rapport d’expertise et, par voie de conséquence, l’arrêt de renvoi », a-t-il plaidé. Et d’ajouter que si d’aventure le tribunal venait à passer outre cela, son client demanderait l’inculpation de dix-neuf personnes dont il s’apprêtait à énumérer les noms. «Me Somé, est-ce qu’on ne peut pas différer cette étape ? Nous n’avons pas eu de demande dans ce sens.  Pour le moment, limitez-vous aux arguments. Ce point n’est pas contenu dans votre mémoire », a réagi  le président Seydou Ouédraogo.

 

«L’arrêt de mise en accusation purge tous les vices»

 

Dans sa réplique, le parquet militaire s’est étonné que ces aspects, discutés au cours du mois d’octobre dernier, aient refait surface, cette fois-ci, devant la chambre de première instance. Alioun Zanré a indiqué que les débats sur ces points ont été déjà épuisés et que l’arrêt de mise en accusation a purgé tous les vices. Les allégations de sommes d’argent disparues au domicile du général Diendéré ne sont pas fondées, selon le parquet, et ne viseraient qu’à ternir l’image de la police judiciaire.

Selon le substitut Sidi Bekaye Sawadogo, le président du tribunal n’est ni le censeur, ni la juridiction d’appel de la chambre de contrôle de l’instruction, et n’a donc pas compétence pour se prononcer sur des questions qui ont déjà été abordées et à tout le moins purgées.

Après l’examen du mémoire de Me Somé, c’était au tour de la SCPA Ouattara-Sory et Salambéré de se prononcer sur le sien. Des huit points évoqués, Me Anna Ouattara-Sory a souligné que l’accusé Omer Bationo avait bénéficié d’un non-lieu total mais a été quand même renvoyé devant la chambre de première instance pour y être jugé. Elle a dit son incompréhension de cet état de fait d’autant plus qu’il n’y a pas eu de nouvelles charges contre le colonel. Nonobstant les nouvelles charges, s’il y en avait, le juge d’instruction aurait dû, selon les textes, procéder à un supplément d’information à l’encontre du mis en cause. Toute chose qui n’a pas été faite. Elle a par ailleurs demandé au tribunal de prononcer la nullité des citations à accusé décernées contre Paul Sawadogo et Lassina Ouédraogo. En effet, les deux citations à comparaître ne contiennent pas d’informations sur les infractions reprochées aux intéressés et encore moins les textes ou dispositions légales qui punissent ces faits.

Pour sa part, le procureur militaire a reconnu que ces deux accusés avaient été déchargés des infractions qui pesaient sur eux.  Cependant, l’arrêt de renvoi citant toujours leurs noms, aux numéros d’ordre 68 et 69, le parquet n’a fait que prendre les diligences afin que ceux-ci puissent comparaître.  «Ce sont les membres du tribunal qui doivent tirer les conséquences qui s’imposent », a ajouté Alioun Zanré.  C’est sur ces entrefaites que l’audience a été suspendue à 10h23 pour dix petites minutes.

 

De nouvelles récusations contre Seydou Ouédraogo

 

A la reprise, à 10h36, le président du tribunal a déclaré avoir reçu une requête au fin de récusation déposée par les avocats du général Gilbert Diendéré (le cabinet Somé et associés, Me Olivier Yelkouni et Me Alahidi Idrissa Ba). Me Yelkouni a précisé que cette demande ne s’adressait pas au tribunal mais a été transmise à la chambre criminelle de la Cour de cassation. «Nous voulons juste vous informer que nous avons déposé une requête à la Cour de cassation », a-t-il insisté. Et Seydou Ouédraogo de l’interpeller : «Quelles en sont les conséquences ? C’est pour ça que la parole vous a été donnée. On peut juger ou on ne peut pas continuer de juger ? » L’avocat  dans sa réplique a demandé une application de l’article 655 du Code de procédure pénale ; lequel dit qu’«il sera sursis à la continuation de l'information et aux débats jusqu'à l'arrêt statuant sur la récusation ».

Le parquet militaire a, quant à lui,  estimé que les éléments de forme dans la demande n’étaient pas réunis : «La requête en récusation devait vous être notifiée par le secrétaire général de la Cour de cassation. Or ce sont les requérants qui vous ont saisi avec une copie». L’article 655 du Code de procédure pénale dispose en effet  que  « la requête est notifiée par les soins du secrétaire général au président de la juridiction à laquelle appartiennent le ou les magistrats récusés ». Sur la base de cette disposition, le procureur militaire a jugé qu’il n’était pas indiqué de surseoir au débat.

Revenant à la charge Me Yelkouni s’est fait plus précis : « Je n’ai pas saisi votre tribunal. J’ai saisi la Cour de cassation. Ce n’est pas un problème si vous voulez attendre d’être saisi officiellement. L’essentiel est que l’information soit portée à votre connaissance». Cette intervention de la partie adverse a fait réagir le procureur pour qui en matière pénale, les textes sont d’interprétation stricte. « A ce que je sache, Me Yelkouni n’est pas le secrétaire général de la Cour de Cassation », a fait observer Sidi Bekaye Sawadogo.

A vrai dire, cette condition est difficile à remplir puisque si le poste de secrétaire général est prévu dans les textes, il n’est malheureusement pas pourvu.

S’ajoute à cette requête une autre déposée auprès du premier président de la Cour d’appel de Ouagadougou. Cette demande a été introduite par la SCPA Ouattara-Sory et Salambéré  en vue de récuser le président du tribunal et son conseiller. Me Salembéré a indiqué qu’une copie avait été fournie au tribunal uniquement «à titre d’information».

 

«Je pense que je n’ai pas été compris»

 

Le procureur militaire a souhaité que cette requête connaisse le même sort que la précédente et pour les mêmes raisons. «L’article 650 du Code de procédure pénale exige que votre tribunal soit saisi par le premier président de la Cour d’appel. Et il ne peut y avoir de sursis à statuer. Les débats doivent continuer», a-t-il soutenu. « Je pense que je n’ai pas été compris. Est-ce que le parquet et la partie civile me dénient le droit de vous communiquer des pièces ? Ils n’ont pas ce pouvoir. Je ne vous ai jamais dit d’en tirer toutes les conséquences », a répliqué Me Salembéré. Pour délibérer sur les différents mémoires et tirer les conséquences de ces différentes requêtes, Seydou Ouédraogo a procédé à une suspension de l’audience à 11h20 afin de statuer sur ces nouvelles requêtes.

A la reprise à 16 heures, le tribunal a rendu ses arrêts. Concernant la requête de la SCPA Somé et associés, le président a estimé que tout avait trait à l’arrêt de renvoi et donc à la chambre criminelle de la cour de cassation. Par conséquent, le tribunal s’est déclaré incompétent.

Au sujet des requêtes de nullités contre les citations à comparaître de deux accusés (Paul Sawadogo et Lassina Ouédraogo), le tribunal a prononcé la nullité des deux citations.

Après ces délibérés, le président du tribunal a déclaré que puisque sa juridiction n’a reçu aucune notification émanant du premier président de la cour d’appel ou du secrétaire général de la Cour de cassation, l’audience allait se poursuivre. Mais il a indiqué que cette reprise serait pour le mardi 27 mars 2018 à 9 heures avec au menu l’examen de la listes des témoins produits par les différentes parties au procès.

Cette audience se tient ce matin sauf si entre-temps, la Cour de cassation ou le premier président de la cour d’appel saisissait le tribunal pour lui notifier les saisines effectuées par les avocats de la défense.

Mais il ne faut pas rêver, la procédure va suivre son cours et ce matin on devrait égrener la longue liste des témoins. Une bataille en perspective quand on sait que d’illustres témoins sont cités et que leur comparution pourrait être problématique, compliquée malgré l’insistance des conseils de la défense. C’est le cas notamment du Mogho Naaba Boangho, du président Roch Marc Christian Kaboré, des anciens ambassadeurs de France et des Etats-Unis, mais également du général Yacouba Isaac Zida qui lui est en exil au Canada. Si cette guerre a lieu, ce serait l’ultime combat avant que l’on entre dans le fond du dossier du jugement du putsch manqué du 16 septembre 2015.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

Hugues Richard Sama

Dernière modification lemardi, 27 mars 2018 20:04

Commentaires   

0 #2 OUATTARA karim 27-03-2018 13:51
Merci a vous car vous abattez un travail énorme. Je suis a Koudougou mais je suis de près le procès grâce a ce résumé suscint que vous nous proposé. Encore du courage
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0 #1 Neilson 27-03-2018 11:19
Puisque la loi autorise que ces hautes autorités soient entendues chez elles, je ne vois aucun problème; pour sûr, le Mogho Naaba ne posera pas de problème pour que la vérité éclate. Maintenant pour ce qui est des diplomates accrédités dans notre pays et qui n'y sont plus d'ailleurs, cela va être cailloux. Le Burkina peut demander l'extradition de Zida s'il existe un accord entre son pays d'accueil et le Burkina, donc à ce niveau aussi, pas de souci; quand au Président du Faso, il doit être le premier à vouloir que la vérité éclate, donc il n'y aura pas de guerre des témoins.
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