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«J’ai demandé de l’argent au général Bassolé pour les familles des soldats » (Fatouma Thérèse Diawara)

La deuxième femme à comparaître devant la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou s’est présentée à la barre le 26 octobre 2018 dans la salle des banquets de Ouaga 2000. Elle se nomme Fatoumata Thérèse Diawara et est accusée de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et de complicité de trahison. Si l’ex-belle-fille de «Golf» a rejeté en bloc les faits à elle reprochés, elle n’a pas nié avoir eu des échanges téléphoniques avec le général Bassolé, à qui elle a demandé de l’argent pour aider les familles des soldats qui vivaient des moments difficiles. Une affirmation qui est tout à fait le contraire de ce qu’a estimé le parquet militaire.

 

 

«Nous appelons à la barre Diawara Fatouma Thérèse. Vous êtes née le 12 septembre 1986 à Abidjan en Côte d’Ivoire. Gérante de société, vous êtes célibataire, mère d’un enfant. Burkinabè de nationalité, vous vous dites jamais condamnée ni décorée. Je m’en vais vous notifier les faits qui vous sont reprochés : complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et complicité de trahison. Est-ce que vous reconnaissez les faits ? ». Tels ont les propos du président de la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou, Seidou Ouédraogo, après avoir prononcé la reprise de l’audience à 9h 05. Face à lui et aux autres membres de la juridiction, se tient à la barre l’accusée, assistée de son conseil Me Seydou Roger Yamba et de Me Abdoul Latif Dabo qui a fait auparavant noter la constitution de la SCPA Somé et associés auprès de l’inculpée. Les faits reprochés en d’autres termes : le parquet militaire poursuit Fatoumata Thérèse Diawara pour avoir, d’une part, aidé et assisté le général Diendéré dans l’infraction d’attentat à la sûreté de l’Etat, qui se définit, entre autres, par le fait d’avoir voulu changer par la violence le régime légal ou de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ; d’autre part, Dame Diawara aurait aidé et assisté le général dans la trahison. La trahison, elle, s’entend par, entre autres, le fait de porter des armes contre l’Etat ou d’être en relation avec une puissance étrangère en vue de l’engager à entreprendre des hostilités contre le Burkina Faso ou en lui en fournissant les moyens soit en facilitant la pénétration des forces étrangères sur le territoire, soit en ébranlant la fidélité des armées, soit de toute autre manière.

«Je ne reconnais pas les faits, Monsieur le Président », a répondu la gérante de société. « Le tribunal vous écoute », a fait savoir Seidou Ouédraogo. «Je remercie le Seigneur d’être devant votre barre, car j’ai failli ne pas être là. Contrairement aux autres accusés qui ont défilé, je n’ai réellement pas de récit pour dire voilà ce que j’ai fait le 16 septembre 2015. J’étais à mon domicile. Ce qui m’a amenée ici est en rapport avec mes appels téléphoniques, donc je ne sais pas quoi dire pour ce qui est du 17, du 18, etc.», a raconté Fatoumata Thérèse Diawara. «Avez-vous reçu des appels d’autorités ivoiriennes et des deux généraux, Diendéré et Bassolé ?» a demandé le juge Ouédraogo. «Oui, Monsieur le président. Mais pour ce qui est des autorités ivoiriennes, c’est une seule personne, le colonel Zakaria Koné», a répondu l’inculpée. «Quelle était la substance de vos échanges avec le colonel ?», a ajouté celui qui assure la police de l’audience. «Je connais le colonel depuis 2003-2004. On a toujours été en contact. Il a connu ma mère quand celle-ci était toujours en vie, en Côte d’Ivoire. Quand il y a eu le coup, il m’a appelé pour prendre mes nouvelles», a-t-elle expliqué. «Avez-vous eu des échanges avec le général Bakayoko ? (ndlr : Soumaïla Bakayoko, officier supérieur de l’armée ivoirienne). «Non», a réagi la mise en cause. «Et avec le général Bassolé, quelle était la substance de vos échanges ?», a poursuivi Seidou Ouédraogo. «Je tiens à préciser que je connais le général Djibrill Bassolé depuis ma tendre enfance. C’est un ami de ma mère. Je lui ai demandé de l’argent pour aider les familles des soldats», a-t-elle fait savoir. «Avez-vous reçu de l’argent de la part du général Diendéré ?», a demandé Seidou Ouédraogo. «Je n’ai pas reçu 1 franc du général Diendéré», a-t-elle indiqué. «Monsieur le Procureur militaire, l’accusée est à vous pour vos questions et observations», a conclu le président de la chambre.

 

«Je l’ai informé d’une situation afin qu’il vienne en aide aux soldats »

 

«Madame Diawara, nous voulons comprendre la substance de vos échanges avec le général Bassolé. Vous dites que vous n’avez pas demandé de soutien financier. Pouvez-vous être plus explicite ?», venait d’introduire le ministère public. «C’était le 29 septembre, j’ai eu l’info que les soldats de l’ex-RSP étaient cantonnés et qu’ils allaient subir une attaque. J’ai appris qu’ils ont besoin d’argent pour leurs familles. Ils ne savaient pas ce qui allait se passer, s’ils allaient rester en vie ou pas. Donc j’ai appelé le général Bassolé pour lui exposer le problème. Leurs comptes étaient bloqués, ils étaient en cours de désarmement. C’était juste pour venir en aide aux familles des soldats, ce n’était pas pour soutenir ou financer le coup», s’est défendue l’inculpée. Et le parquet militaire de réagir : «Essentiellement, ce sont des officiers qui ont eu leurs avoirs gelés, ce n’était pas des soldats, Madame Diawara». «J’ai expliqué l’info qu’on m’a donnée, je n’ai pas vérifié de liste pour savoir si c’est vrai ou faux. Le général Bassolé, je l’ai informé d’une situation afin qu’il vienne en aide aux familles des soldats», a répliqué l’accusée. «Mais Madame, vous n’êtes pas de l’ex-RSP et encore moins des forces armées nationales. En me basant sur vos propos, vous n’avez pas de rapport avec les éléments, vous ne trouvez pas curieux qu’ils viennent vers vous afin de vous exposer leur situation ?», a ajouté l’accusation. «Non, Monsieur le Procureur, leurs familles aussi sont des civils, femmes, mères et enfants. Ils sont passés par le fils du général, Ismaël, pour me donner l’information», a précisé l’ex-compagne du fils de «Golf». «Mais selon vous, pourquoi il a partagé cette information avec vous ?», a renchéri la partie poursuivante. «J’ai fait 7 mois en prison. Je suis le SG (secrétaire général) d’une association dénommée ‘’Genre et prisons d’Afrique’’, j’ai côtoyé des meurtrières, des gens qui ont tué des enfants, mais je leur viens en aide. Qui suis-je pour les juger ? Je peux donner de l’aide aux policiers s’ils me le demandent, de même aux magistrats…», a contre-attaqué l’accusée. «Merci pour votre générosité de cœur, Madame Diawara», a déclaré le parquetier avant de chercher à savoir si l’inculpée utilise l’appellatif ‘’tonton’’ pour désigner le général Bassolé, chose qu’elle n’a pas confirmée.

«Comment avez-vous connu le capitaine Dao ?» demandé le ministère public. «Je l’ai aperçu au domicile du général Diendéré, mais c’est à la MACA (Maison d’arrêt et de correction des armées) que je l’ai connu. Dans la soirée du 28 septembre 2015, j’étais au domicile de mon beau-père, le général Diendéré. J’étais sur la terrasse. J’étais enceinte. Il y en avait une vingtaine, une trentaine de militaires. Il y a un qui a demandé à envoyer un sms au général Bassolé à travers mon téléphone. Le téléphone était configuré en anglais mais je l’ai aidé à l’envoyer. Le sms est parti, mais je n’ai pas eu de suite. Donc j’ai appelé le général Bassolé pour confirmer », a-t-elle raconté. Pour le parquet, c’est pourtant à travers ce message envoyé qu’il a été question du capitaine Dao. «Des gens que vous ne connaissez pas passent par vous, par votre téléphone pour envoyer un message. Votre téléphone est configuré en anglais, vous les aider à envoyer le message et vous le confirmer encore auprès du général Bassolé. Est-ce que vous ne trouvez pas cela curieux ? » a voulu savoir le ministère public. «Non, je n’ai pas besoin de le connaître, il travaillait avec le père de mon ex-compagnon, ce n’est pas quelqu’un que j’ai vu dans la rue », a riposté Dame Diawara.

 

«On peut faire du copier-coller pour mettre quelqu’un en prison »

 

Passé cette étape, l’accusation s’est focalisée sur les P.-V. de retranscription des appels téléphoniques et des messages. Selon le procureur militaire, il y a eu  des échanges entre une inconnue et le général Djibril Bassolé (voir encadré). A l’issue de la lecture de cette retranscription, voici la question du parquet : «Madame Diawara, est-ce que vous vous reconnaissez dans ces propos ? ». «Je ne me reconnais pas », a indiqué l’accusée qui dit avoir été ébahie par les exploits du parquet. En effet, les initiateurs de l’écoute ont préféré le mot inconnu (avec la mention qu’il s’agit d’une voix féminine) à défaut d’y afficher un nom. Mais pour le parquet, cette voix est bel et bien celle de l’inculpée. Son conseil Me Abdoul Latif Dabo s’est vu dans l’obligation de réagir : «Nous avons un problème avec cette pièce. A travers ladite pièce (I 76), il n’y a rien dans le dossier qui nous permet de savoir qui est l’auteur de cette retranscription. Primo, qui l’a faite ? Secundo, cette retranscription de conversation audio n’a jamais été confrontée à ma cliente en phase d’instruction.  C’est ici qu’on la brandit. On ne peut pas nous opposer un fait aussi grave sans nous dire qui l’a retranscrit et dans quelle condition. Est-ce que quand quelqu’un parle au téléphone, il dit point… point… ça paraît banal, mais qu’est-ce qui a été sauté ? Qui nous garantit l’authenticité de cette retranscription ? », a argué Me Dabo. D’après ses explications, la retranscription querellée aurait dû être faite par des Officiers de police judiciaire (OPJ) au lieu des services de renseignement, qui l’ont versée au dossier. Il y a vu une «violation flagrante» des droits de la défense. Son confrère Me Seydou Roger Yamba a abondé dans le même sens en soutenant «qu’on ne peut pas sortir une pièce en cours de jugement alors que notre cliente n’a jamais été confrontée à ladite pièce ». Pour lui, il faut tout simplement écarter cette pièce de la procédure.

«Nous ne sommes plus à ce niveau, devant la Chambre de contrôle de l’instruction (CCI), les avocats de Dame Diawara ont soulevé cet aspect. Ils n’ont pas eu gain de cause. Il y a un principe général de droit qui dit qu’une question ne peut être discutée deux fois », a répliqué le parquetier. «Si je comprends bien le parquet, il dit qu’il y a déjà eu l’arrêt de renvoi de mise en accusation (ndlr : qui purge le dossier de tous ses vices), donc tous ceux qui sont devant la chambre de jugement sont coupables. Non ! ce n’est pas parce qu’on a été renvoyé devant la chambre de jugement qu’on est d’office coupable », a-t-il soutenu. Son collège Me Abdoul Latif Dabo a reconnu que ladite pièce a été brandie devant la Chambre de contrôle de l’instruction et que son client a purement et simplement refusé de l’écouter en raison d’une situation qu’elle y a vécue (voir encadré). Pour lui il fallait que cette pièce apparaisse dès l’instruction du dossier avant d’atteindre l’étape de la CCI, qui est perçue comme le deuxième degré de l’instruction. Revenant à la charge, le procureur militaire, lui, a invoqué la possibilité qu’a le parquet de faire un supplément d’instruction pour expliquer l’apparition de ladite pièce en ce lieu. Face à ce qui était un incident de procédure pour les uns ou une «perturbation de procédure » pour les autres (avocats des parties civiles), le juge a coupé court aux joutes verbales : «Nous allons joindre cette exception au fond, la pièce sera discutée ultérieurement », a tranché Seidou Ouédraogo.

«Avec la technologie, tout est possible. Johnny Halliday et Bob Marley sont morts, mais ils peuvent avoir de nouveaux albums. Je vous ai dit ce que j’ai fait, je n’ai jamais dit ‘’il y a 4 jours de cela’’, je n’ai jamais dit qu’ils vont se battre’’, j’ai dit se faire attaquer. Avec une voix, on peut faire du copier-coller pour mettre quelqu’un en prison. Je suis passée devant la commission d’enquête. J’ai été interrogée devant le juge, mais il ne m’a jamais montré des écoutes », a expliqué Fatoumata Thérèse Diawara en réaction à la lecture de la retranscription qui lui avait été faite par le procureur. Il s’en est suivi une série de lectures de retranscriptions d’autres appels téléphoniques, mais l’accusée n’a pas souhaité y réagir, car ces retranscriptions contiennent trop de «copier-coller», et elle ne se reconnaît pas dans les expressions utilisées.

L’audition de l’accusée devait se poursuivre dans l’après-midi, mais a été suspendue à cause du décès du frère d’un des avocats des parties civiles. L’interrogatoire de Dame Diawara va reprendre ce 29 octobre 2018, à 9h. 

 

Aboubacar Dermé

 

 

Echanges téléphoniques entre Inconnue et Bassolé

 

Inconnue : Bonjour, Tonton…

Bassolé : Oui ça va bien…

Inconnue : Il y a un petit problème, ce sont les soldats là, le problème que je t’ai expliqué il y a 4 jours de cela, ils ont besoin de savoir s’ils auront l’argent avant de se battre…

Bassolé : Ok, il n’y a pas de problème, moi-même, tu évalues ça à combien ?

Inconnue : Je vais appeler pour m’assurer…

Bassolé : Je vais voir comment régler ça rapidement…

 

NB : Il est ressorti par ailleurs qu’il s’agissait de 20 millions de francs CFA, une somme qu'elle ne recevra jamais, selon ses explications.

 

«Face aux insultes, j’étais sidérée et crispée »

 

Selon les propos de Fatouma Thérèse Diawara, le juge de la chambre du contrôle de l’instruction avait déjà une idée arrêtée sur elle. «On me voyait comme la gonflée, celle qui aime la bagarre, est hautaine, virulente. Tu es devant un juge qui avait déjà une idée arrêtée, on te traite de tous les noms, on t’insulte. J’étais sidérée, crispée. Il a fallu que le parquet dise de dépassionner les débats. Ils m’ont proposé de mettre les écoutes, j’ai répondu que c’est bon, j’étais dépassée et je voulais rentrer chez moi. C’est la raison pour laquelle j’ai refusé de les écouter », a-t-elle fait savoir. «Les injures dont vous faites cas, je ne m’en souviens pas, pourtant j’ai participé à cette audience », a relevé le ministère public. «S’il vous plaît, il faut souvent avoir la crainte de Dieu, des avocats de la partie civile ont dit que je suis poursuivie pour crime contre l’humanité, que je vais porter des galons de maréchal, et le juge riait », a-t-elle précisé. «Mais ce ne sont pas les avocats des parties civiles qui ont demandé de mettre l’écoute téléphonique pour vous ? », a souligné le parquet. «Après ces insultes, je voulais rentrer chez moi, ça ne m’intéresse pas, les écoutes, je n’y crois pas », a-t-elle martelé. 

A.D.

 

«Nous ne sommes pas d’accord avec le fait de demander de bombarder un camp militaire »

 

Dame Diawara n’a pas reconnu avoir eu des échanges téléphoniques avec des responsables de l’armée ivoirienne : les généraux Soumaïla Bakayoko, Vagondo Diomandé, Gaoussou Soumahoro. Mais, selon le ministère public, c’est à travers le colonel Zakaria Koné que l’accusée a pu entrer en contact avec le général Bakayoko. Plus loin, le parquet dira ceci : «Nous constatons qu’elle dit ne pas connaître ces autorités militaires, mais quand viendra le moment, tout le monde va écouter. Nous ne sommes pas d’accord avec le fait de demander de bombarder un camp militaire, surtout quand on est censé être des pays voisins, des pays frères. Il y a des choses que nous évitons de dire devant cette barre, car c’est choquant. Nous avons aussi pour souci l’ordre public et la tranquillité», a déclaré le parquetier.

 

A.D.

 

Dernière modification lemardi, 30 octobre 2018 00:35

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