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Procès putsch manqué : «Je n’ai rien à voir dans cette affaire » (Sidi Lamine Oumar, sociologue malien)

 

Le 30 octobre 2018, était à la barre de la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou Sidi Lamine Oumar, un sociologue malien de 31 ans. Il était, selon le parquet, le représentant de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) au Burkina Faso et aurait pris une part active au putsch manqué du 16 septembre 2015. «Je n’ai rien à voir dans cette affaire, les P-V. ont été forgés pour m’accabler», s’est défendu l’accusé pendant que la partie poursuivante lui reprochait d’avoir promis au général Diendéré de lui apporter 5 ou 6 hommes basés au camp de réfugiés de Djibo pour soutenir le RSP dans le coup d’Etat.

 

 

 

 

«Par jugement avant dire droit no30 du 30 octobre 2018, la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou, statuant publiquement, contradictoirement, en matière criminelle et en premier ressort, déclare le mémoire irrecevable ». Cette décision de la juridiction est intervenue sous le coup de 11h, après trois heures de joutes oratoires sur des débats de procédures. Les conseils de Sidi Lamine Oumar avaient, en effet, introduit un mémoire pour demander la nullité de la poursuite engagée contre leur client (voir encadré). En dépit de cette décision rendue par le juge Seidou Ouédraogo et les autres membres de la chambre, Me Aouba Zaliatou et Me Michel Traoré ont jugé bon de continuer à assister leur client, à qui il est reproché l’« incitation à la commission de l’infraction d’attentat à la sûreté de l’Etat ».

 

«Monsieur Sidi Lamine Oumar, vous disiez ne pas reconnaître les faits, le tribunal vous écoute », lui a lancé Seidou Ouédraogo, le président du tribunal, lui donnant ainsi la parole.

 

«Monsieur le Président, si vous le permettez, je voudrais d’abord parler de mon interpellation. J’étais chez moi à Tampuy et j’ai suivi les événements relatifs au coup d’Etat comme tous les Burkinabè. Le 8 octobre 2015, j’ai fait un déplacement sur le Maroc. J’ai fait quelques jours là-bas et je suis revenu le 12 du même mois. Le 22 octobre, vers 18h 30, une dizaine de policiers et 2 gendarmes m’attendaient. Ils ont dit qu’ils ont besoin de moi, j’ai dit à un voisin que je partais à la gendarmerie. Nous sommes allés à la Brigade de Sig-nonghin. Nous avons été dans la cour de la police avant d’arriver à la brigade. On m’a demandé mon téléphone. Là-bas, j’ai été brutalisé, je pèse bien mes mots, j’ai été brutalisé. Je m’en suis remis à Dieu, je n’ai jamais pensé qu’on pouvait me faire ça. Je suis un cadre A, je ne suis pas venu ici, au Burkina Faso, par hasard. Mais je me suis dit que tout ce que Dieu fait est bon. Je suis vraiment déçu du comportement de certains individus », a dit le sociologue malien, né à Tombouctou, au Mali, en 1987. Il a mentionné avoir été interné avec «des délinquants » et avoir fait 48 heures sans manger, dans une cellule qui n’était  pas aérée. «Monsieur le Président, je suis un croyant, je ne mens pas. Je sais qu’un jour, je vais mourir et j’aurai à répondre devant Dieu ». Il aurait été aussi obligé d’uriner dans un sachet et de subir les railleries de responsables de la brigade qui, dans des éclats de rire, l’appelaient l’ami du général. «Si Dieu disait de m’ôter la vie, je le ferais, je n’aime pas perdre ma dignité. Après les 48h, on a envoyé quelqu’un parler avec moi en échange de ma liberté. J’ai répondu que je n’ai pas à collaborer avec eux. J’ai insisté pour qu’ils me disent ce dont on me reproche au juste. C’est là que quelqu’un a dit : tu vas pourrir en prison », a expliqué le représentant de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) au Burkina Faso. Par la suite, il a été placé en garde-à-vue à la gendarmerie de Paspanga et y a signé un document «pour sa libération» bien qu’une gendarmette  l’en avait dissuadé en lui faisant signe de la tête.

 

 

 

«Ce jour, j’ai pleuré comme un enfant»

 

 

 

Au fil du temps, selon son récit, Sidi Lamine Oumar a été conduit devant le juge d’instruction qui lui a notifié les charges qui pèsent sur lui dans le cadre du putsch manqué, en rapport avec des appels téléphoniques qu’il a eus au moment des faits. «Je n’ai jamais pleuré, mais ce jour-là, j’ai pleuré comme un enfant, tellement j’étais choqué. Vers 22h 30, 23h, on m’a déposé à la MACA (Maison d’arrêt et de correction des armées», a-t-il relaté non sans préciser qu’il a obtenu plus tard une mise en résidence surveillée.

 

«Monsieur Sidi Lamine Oumar, nous avons écouté votre récit émouvant. Mais nous sommes restés sur notre soif au niveau du parquet militaire. Pourquoi vous n’avez pas partagé cela avec le juge d’instruction ? Pourtant, vous avez été entendu trois fois ? », a introduit le procureur militaire. «D’abord, j’ai été entendu deux fois, ensuite si j’ai gardé le silence, c’est pour des raisons personnelles. J’étais méfiant. ‘’Si tu dis ça, on peut te compliquer la vie’’, me suis-je dit. Mais aujourd’hui, tout le monde nous écoute, vous voulez la vérité, c’est ce que je vous dis». Qu’à cela ne tienne, l’accusation a maintenu ses propos en martelant que Sidi Lamine Oumar a, bel et bien, été entendu à trois reprises. «Monsieur le président, ce que je veux faire observer est que, dans son récit, il a semblé dire qu’il n’a pas été bien traité mais nous l’encourageons à tout dire.  Il y a des propos contenus dans les P-V. de gendarmerie qu’il a reconnus au cours de l’instruction, mais il en conteste d’autres. Il dit par exemple : ‘’Ce que je conteste dedans, c’est le soutien de 5 ou 6 hommes que j’aurais promis au général Diendéré pour consolider le coup d’Etat. Je ne sais pas comment ils ont pu écrire ça, c’est tout’’ », a relevé le parquetier.

 

Selon la partie poursuivante, en s’étalant sur la manière dont il a été interpellé et placé en garde-à-vue, l’accusé veut remettre en cause les procès-verbaux dressés en ces lieux. «Il veut vous dire que ces P-V. sont bons pour la poubelle ou qu’il faut en retirer ce qui est bon uniquement», a-t-elle dit avant de s’adresser au mis en cause : «Monsieur Sidi Lamine Oumar, je vais vous lire des passages de P-V. sur commission rogatoire de la gendarmerie, si vous voulez les commenter, libre à vous ».

 

 

 

«Ce sont des P-V. forgés pour m’accabler »

 

 

 

«Au sujet du putsch, je l’ai appris sur France 24, le même jour vers 16h. Le même jour, j’ai reçu le colonel Abdoul Karim Traoré de 16h à 19h. Il a appelé le général Zagré (ndlr : Pingrénoma Zagré, chef d’état-major général des armées au moment des faits) qui lui a répondu qu’il était en réunion. Il a appelé le général Diendéré qui lui a dit de venir au ministère de la Défense et il s’y est rendu à partir de chez moi, sous la pluie », a lu le ministère public tout en demandant si l’accusé a une réaction. «Le colonel Abdoul Karim Traoré (A.K.T.) n’a jamais été chez moi, il n’est pas venu chez moi le 16 septembre, je ne l’ai pas vu. S’il y a quelqu’un qui l’a vu, il faut qu’il nous en apporte la preuve », a répliqué Sidi Lamine Oumar qui n’a pas renié son amitié pour le colonel. En plus de ce dernier, il dit connaître le Directeur administratif et financier du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale d’alors.

 

« J’ai reçu 250 000 francs CFA du colonel Abdoul Karim Traoré, mais ce n’est pas dans le cadre du putsch, il s’agit d’un prêt qu’il est venu me remettre, chez moi, le 16 septembre 2015 », a poursuivi l’accusation. Là aussi, la contre-attaque de l’accusé ne s’est pas fait attendre : «Monsieur le Président, vous voyez l’incohérence ! On a ajouté des zéros à ce que j’avais dit. Si j’avais reçu cet argent, je l’aurais dit, je ne vais pas vous mentir. On dit que le miel ne se dit pas doux. Je n’ai rien à voir dans cette affaire. On ne m’a pas éduqué à mentir, même si je vais mourir pour ça ». En réalité, il avait déclaré, plus tôt qu’il a reçu 25 000 francs CFA de la part du colonel A.K.T. et que cela représentait son «argent du mouton» (ndlr : les fidèles musulmans s’apprêtaient à fêter la Tabaski).

 

Autre extrait des P-V. : «Je suis prêt à mourir derrière vous, je peux vous fournir 5 ou 6 hommes. Je suis convaincu que Dieu sera derrière vous. Toutefois, je n’ai rien pu poser comme acte concret pour l’aider dans ce sens. C’était de l’hypocrisie… ». «Avez-vous un commentaire ? », a demandé le parquetier. «Merci, Monsieur le procureur, je suis très content, ça me met à l’aise encore. Est-ce qu’une même personne peut parler en s’insultant, en disant qu’elle est hypocrite ? C’est incohérent tout ça, monsieur le président ! Les P.-V ont été forgés pour m’accabler », a-t-il réagi. 

 

« A une question de savoir qui sont les auteurs du coup d’Etat selon vous, vous avez dit : concernant le général Bassolé (à qui il n’a jamais serré la main si ce n’est à la MACA), je n’en sait rien. Diendéré en est l’auteur principal, et A.K.T. en est complice dans la mesure où il a pris position pour le général Gilbert Diendéré ». Réaction de l’accusé : «Monsieur le Président, en quoi je peux me permettre de dire que le général Diendéré est l’auteur du coup d’Etat ? Ce sont des accusations très graves, ce que dit le parquet. Le général peut me poursuivre pour ça, je n’ai jamais tenu ces propos », a riposté Sidi Lamine Oumar qui a été aussitôt interrompu par le parquetier : «Je ne fais que lire ce qu’on vous a attribué en enquête préliminaire à la gendarmerie. Je me rends compte que vous ne savez  toujours pas ce que nous sommes en train de faire, ce n’est pas le ministère public qui vous prête ces affirmations ».

 

«Monsieur Sidi Lamine Oumar, qui vous a instruit de quitter le pays ? », a interrogé l’accusation. «C’est le colonel Abdoul Karim Traoré, il a dit qu’il connait les enquêtes au Burkina Faso. J’en ai parlé au général Diendéré qui m’a dit de ne pas bouger, car je n’ai rien à voir dans cette affaire », a-t-il fait savoir. «Quand la question vous a été posée de savoir où se trouvaient vos hommes, vous avez répondu que : je lui ai dit que mes hommes se trouvaient dans un camp de réfugiés à Djibo pour lui faire plaisir. Il n’en était rien, c’était pour lui faire plaisir et espérer qu'il me donne de l’argent à des fins personnelles » ; avez-vous un commentaire ? a conclu le ministère public. «Je n’ai pas d’observations, amenez ces preuves, je n’ai jamais été à Djibo, les gens ont pensé et écrit pour dire ce qu’ils veulent, je ne vais pas commenter ça davantage », a répondu l’inculpé aux environs de 13h.

 

Et comme il avait été convenu, la veille, de suspendre l’audience à cette heure, Seidou Ouédraogo a permis  aux militaires d’accompagner leur frère d’armes à sa dernière demeure (ndlr : le soldat de 1re classe Médanimpo Lompo. Cet accusé a été victime d’un accident de la circulation dans la matinée du 27 octobre 2018).

 

L’interrogatoire du sociologue se poursuivra ce vendredi 2 novembre 2018.

 

 

 

San Evariste Barro

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

Encadré

 

«Sidi Lamine Oumar pouvait être le premier à passer à la barre »

 

 

 

A la reprise de l’audience, à 9h05, Seidou Ouédraogo a donné la parole aux avocats des parties civiles pour avoir leur opinion sur le mémoire introduit par les conseils de Sidi Lamine Oumar. Dès que leur client a été appelé à la barre la veille, c’est Me Zaliatou Aouba qui s’était saisie du micro pour relever une irrégularité, selon elle, qui implique la nullité de la poursuite contre Sidi Lamine Oumar. En effet, la citation à comparaître adressée à l’accusé parle de «complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat » alors que la chambre du contrôle de l’instruction l’a renvoyé devant la chambre de première instance pour «incitation à la commission de l’attentat à la sûreté de l’Etat ». Pour ses conseils, Me Zaliatou Aouba et Michel Traoré, cette dernière infraction n’existe nulle part dans le code pénal burkinabè, donc, selon eux, le tribunal doit déclarer cette citation irrégulière et dire en conséquence que la poursuite à l’encontre du sociologue malien est nulle.

 

Me Guy Hervé Kam, un avocat des parties civiles, a invoqué l’article 117 du Code de justice militaire à son alinéa premier : «Si l’inculpé, le prévenu ou le ministère public entend faire valoir des exceptions sur la régularité de la saisine du tribunal ou sur les nullités de procédures antérieures à la comparution, il doit, à peine d’irrecevabilité, déposer avant les débats sur le fond un mémoire unique ». Pour lui donc, il y a eu un temps où les avocats de la défense ont soulevé ce genre de questions, et les débats de fond ont commencé depuis juin 2018, avec l’interrogatoire du sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo, le premier accusé appelé à la barre. Les débats sur le fond ayant commencé, il a demandé à la chambre de première instance de déclarer le mémoire irrecevable.

 

S’appuyant également sur le même article, la défense a soutenu que sa démarche est bel et bien fondée dans la mesure où ce n’est que la veille que son client a été appelé à la barre. «Les débats en ce qui  le concerne ont débuté hier, et nous n’en sommes pas encore au fond. Les autres débats concernant les autres accusés ne sauraient le lier. Je regrette, il est là pour répondre tout seul », a plaidé Me Aouba. Et son confrère Me Michel Traoré de renchérir : «La responsabilité pénale est individuelle, chacun répond de ses actes. Il est évident qu’il y a une connexité, une dépendance entre les accusés, mais ce n’est pas de cette connexité qu’il s’agit ici. Est-ce que les débats de fond concernant Sidi Lamine Oumar ont commencé ? Je dis non ! Nous pensons qu’il n’y a pas de polémique sur cet aspect. C’est ridicule, c’est insensé, ce n’est pas parce que Me Hermann Yaméogo est passé à la barre que le débat concernant Sidi Lamine Oumar a commencé ». L’accusé, vêtu en Kôkô-donda, se tient à la barre, attentif aux débats.

 

Le parquet tout en saluant «une brillante intervention » de la défense ne l’a pas suivie, car il s’agit d’une «lecture erronée de 117 ». Il a rappelé que le procès, en lui-même, a débuté le 27 février 2018 et que trois mois en gros ont été consacrés aux questions de procédures. Apportant de l’eau au moulin des avocats des parties civiles, il a estimé qu’il s’agit d’un seul et unique dossier qui implique 84 personnes et que l’ordre de passage des accusés serait une organisation propre à la chambre de première instance, présidée par le juge Seidou Ouédraogo. «Sidi Lamine Oumar pouvait être le premier à passer à  la barre dès le début des débats au fond », a-t-il fait observer.

 

C’est à l’issue de trois heures de joutes oratoires que le tribunal s’est octroyé une trentaine de minutes pour trancher. Le mémoire a été jugé irrecevable.

 

 

A.D.

Dernière modification ledimanche, 04 novembre 2018 18:45

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