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Présidentielle nigérienne : «Saï Bazoum» (1)

Présidentielle nigérienne : «Saï Bazoum» (1)

 

La campagne pour les élections législatives et présidentielle du 27 décembre 2020 s’est ouverte le 5 décembre dernier au Niger. Pour la conquête du fauteuil suprême, 30 personnalités se disputent l’objet de toutes les convoitises. Dans ce peloton touffu, un  fait la course en tête : Mohamed Bazoum de la formation au pouvoir, le Parti national pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), qui multiplie  meetings et  rencontres sectorielles à Niamey et à l’intérieur du pays. Le cri de ralliement de ses partisans qui rêvent d’un coup K.-O., «saï Bazoum», entendez «Bazoum ou rien» en haoussa.

 

 

Il y avait foule cet après-midi du vendredi 11 décembre 2020 au quartier Harobanda («derrière le fleuve» en djerma) dans la commune 5 de Niamey. Difficile de se frayer un passage entre les cars stationnés en quinconce aux abords de la voie et les militants qui avaient pris d’assaut la petite place où le candidat Mohamed Bazoum les avait conviés. L’orchestre communal tient en haleine le public bigarré où domine néanmoins le rose du parti. L’ambiance, déjà surchauffée, devient carrément électrique quand le champion arrive sur le coup de 17h30,  accueilli par des «saï Bazoum…saï Bazoum…saï Bazoum», qui montent crescendo au fur et à mesure qu’il prend son bain de foule. Comme c’est la règle ici, les rencontres commencent toujours par l’institutionnelle «fatiha», la sourate d’ouverture du Coran dont les 7 versets mettent l’accent sur la souveraineté et la miséricorde d’Allah.

 

«Ici, on ose et on vote rose»

 

Cette invocation faite, place maintenant aux choses plus terrestres, notamment les différentes interventions entrecoupées de plages musicales. Des préposé(e)s au «travaillement» rivalisent de générosité en jetant des billets craquants de toutes les coupures que de tout aussi préposés au ramassage s’empressent de récupérer pour les enfourner dans des sacs ad hoc à l’effigie  du dauphin désigné du président Mahamadou Issoufou qui, après ses deux mandats constitutionnels, a tenu parole en ne jouant pas indûment les prolongations comme nombre de ses pairs.

 

Entre deux prestations, Hamani Yacouba, le président de la commune hôte, égrène un chapelet de doléances : écoles, centres de santé, routes…tout ce qu’il y a de bien classique en période électorale. Des souhaits que celui qui est venu à la pêche aux voix promet d’exaucer s’il est élu au soir du 27 décembre. Si comme tout prétendant qui ne veut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, le « si » est de rigueur dans la bouche du philosophe de formation, la victoire dès le premier tour ne fait l’ombre d’aucun doute pour ses partisans. A l’image du slameur de service qui clame : «Au PNDS, il n’ y a que des lions (NDLR : c’est l’emblême du parti) La commune V fleurira en rose le 27 décembre. Ici, on ose et on vote rose».

 

Soudain, un remue-ménage dans les rangs. « Qu’est-ce qui se passe ?» s’interroge-t-on. La réponse ne tarde pas à tomber sous la forme d’une silhouette qui vient de faire son apparition. «C’est Nazirou Zarkin Waka, une star du cru», nous souffle un jeune homme transi d’admiration. Des fans et des groupies s’agglutinent autour de l’idole pour faire des selfies avec elle pendant que l’objet de toute cette attraction reste impassible, attendant son tour de passage. Même si on ne pige pas un traître mot de ce qu’il dit, à écouter cette voix envoûtante, on comprend mieux cette frénésie qui s’est emparée de la masse.

 

Mais plus que les airs entraînants, le fait marquant de cette manifestation électorale aura été le message de remerciements, à l’endroit  du PNDS et de son président, lu par la fille d’un certain Hama Issa Siddo, un militant de la commune V décédé il y a dix ans. Les yeux embués de larmes, la voix étouffée par les sanglots, elle a raconté comment la disparition du père a créé un grand vide dans la famille, tant du point de vue affectif que matériel, « mais ce vide a très vite été comblé par M. Bazoum qui a pris la place de notre père. Dès lors, nos soins, notre scolarité, notre vie quotidienne n’ont plus été un souci pour notre mère ». On entendait presque les mouches voler pendant ce témoignage émouvant  ponctué par une effusion entre l’orpheline et le père de substitution. « Ainsi est notre président ! », me glisse à l’oreille un militant, écharpe rose autour du cou. 

Ousséni Ilboudo

A Niamey

 

 

(1)               En haoussa, «nous voulons Bazoum, Bazoum ou rien»

            

 

Encadré 1

 

«Je ne vais pas vous mentir»

 

Ce n’est pas tous les jours qu’on entend un homme (ou une femme) politique dire qu’il ne peut pas promettre quelque chose ; qui plus est pendant les élections, période où les marchands d’illusions pullulent et essaient de vendre à qui mieux mieux leur  camelote politicienne. C’est pourtant ce langage de vérité que Mohamed Bazoum a tenu le jeudi 10 décembre 2020 au Centre international Mahatma-Ghandi de Niamey où il avait rendez-vous avec le monde des affaires pour présenter les grandes lignes de son agenda économique.

 

 

D’entrée, le candidat du Parti national pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) a campé le décor  de l’économie nigérienne « qui, dans sa structure actuelle, ne permet pas la promotion d’un secteur privé moderne ». En effet, a-t-il expliqué, sur quelque 66 000 entreprises dûment enregistrées, seulement environ 350 sont vraiment fiscalisées. Et le secteur informel, qui pèse 60% du Produit intérieur brut, ne représente pourtant que 3% des recettes fiscales. D’une manière générale, la pression fiscale est d’ailleurs très faible (14-15%) et l’objectif de celui qui ambitionne de présider aux destinées du Niger est de le porter à 20% en 5 ans.

 

 

Lucide, il n’ignore cependant pas les contraintes de tous ordres auxquelles il devra faire face pour mettre le turbo à une machine économique qui est loin de montrer toute sa puissance. Ainsi, de  l’enclavement de ce pays aride et vaste de 1,267 million de kilomètres carrés, du coût des transports et de l’énergie, de l’éducation dans la mesure où la grande majorité des populations est analphabète, etc. « Ce sont des paramètres sur lesquels nous n’avons pas d’emprise immédiate. Par contre, on peut actionner les leviers de la gouvernance ». Et de mettre le curseur sur les lourdeurs administratives, l’édiction et le respect de règles claires, une énergie en quantité et à un coût abordable, une école de qualité « pour disposer de cadres compétents », la stabilité du pays ainsi que la « tolérance zéro » dans la lutte contre la corruption, notamment à la Douane et aux Impôts. « Notre salut passe par là », a martelé Mohamed Bazoum qui semble vouloir aller à l’école rwandaise, reconnue comme un modèle en la matière.

Son auditoire, quoique réceptif à sa profession de foi, n’a  cependant pas manqué l’occasion de faire quelques commentaires et d’émettre certains  souhaits. Pour le président de l’Association des jeunes entrepreneurs, par exemple, « il ne suffit pas de créer des entreprises, il faut les rendre viables. Or,  80% des entreprises qui naissent meurent dans les 2-3 ans qui suivent leur création, faute de soutien et de suivi ». Il pointe aussi du doigt la politisation de l’administration publique et l’exigence de nommer des responsables aux bons profils, en privilégiant les compétences à la détention de la carte du parti. « Je vais nommer sur la base des compétences. Il y a des choses que je n’accepterai pas et il faut se battre pour avoir une administration vertueuse. Il y a souvent des règles qu’il faut juste respecter, comme je l’ai fait quand j’étais ministre des Affaires étrangères ou de l’Intérieur, même s’il faut être réaliste sur ce sujet,» promet le natif de Diffa aux confins de la frontière nigériane avant de faire un plaidoyer pro domo : « Je suis dépositaire d’une expérience utile parce qu’étant depuis 30 ans dans les arcanes de l’Etat. Je veux que vous me croyiez. »

OI

Encadré 2

Paroles dignes d’intérêt

 

Syndicaliste dans une autre vie, l’enseignant qui fut jadis un militant du syndicat national des enseignants du Niger (SNEN) puis l’un des leaders du l’Union syndicale des  travailleurs du Niger (USTN) était face à ses « camarades » le vendredi 11 décembre dans la matinée, toujours  au Centre international Mahatma-Ghandi de la capitale nigérienne. Mais le désormais candidat à la magistrature suprême a beau être « un des leurs », ses interlocuteurs ne l’ont pas moins soumis à une batterie de questions et de préoccupations, touchant à la santé de l’hôpital public, à l’éducation, au statut des enseignants…

Des préoccupations auxquelles le philosophe de formation a répondu avec un art consommé de la rhétorique, partageant parfois l’avis des uns, tempérant  quelquefois ceux qui sont trop virulents et promettant de faire ce qu’il peut faire. Voici quelques paroles dignes d’intérêt.  

 

« Nous sommes un régime né de la lutte avec les syndicats en 2009 (ndlr : contre le tazartché de Mamadou Tandja). Nous sommes arrivés au pouvoir marqués par ce compagnonnage. »

 

« Mon expérience du syndicalisme me permet de savoir que les syndicats ne cherchent pas autre chose que la satisfaction des intérêts matériels et moraux de leurs membres. Je connais les syndicats, ce ne sont pas les monstres qu’on veut dépeindre. »

 

« Si  je suis élu, nous verrons ensemble comment, en toute responsabilité, nous pouvons faire avancer les choses sur le dossier des contractuels. Je n’ai pas d’idée totalement arrêtée mais la contrainte des ressources est vraiment réelle. »

 

 

« Ce qui était initialement prévu, c’est qu’à partir de 2021, nous puissions exporter notre pétrole brut. Mais la COVID-19 est passée par là et il faut maintenant se projeter en 2022-2023. Nous n’aurons donc pas de ressources additionnelles pour honorer certains engagements. »

 

« Il ne faut pas tomber dans le sentimentalisme en faisant des promesses qu’on ne peut pas tenir…Les syndicats ont tendance à penser que tout est facile. Mais si on les implique…On fera donc les choses ensemble. Je vous enverrai mon numéro et si je le change, je vous tiendrai informé. Je serai plus accessible que ne l’a été le président Issoufou. »

 

« Il faut faire aboutir ce projet. Les trois milliards, on va les avoir ; ce n’est pas la mer à boire. J’ai été enseignant et si je l’étais resté, je n’aurai pas eu de maison. » (au sujet du projet de construction de logements sociaux pour les enseignants porté par le SNEN).

 

« Nous avons un vrai problème de gestion des ressources humaines, c’est incontestable ; de grandes défaillances auxquelles il faut remédier. On ne peut pas les nier. Il faut instituer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. »

 

« Le problème de l’éducation, quand le mal est fait, ce n’est pas dans l’instant qu’on sent les effets, c’est dans le futur et pour toujours. Comment nous pouvons penser que les petites filles là qui ne parlent même pas français, avec le BEPC, peuvent faire de bons enseignants après une année de formation ? »

 

« Nous avons deux hôpitaux de référence avec des plateaux techniques impressionnants mais qui ne sont pas fonctionnels, faute de personnel ; je vais y emmener des Cubains et les Nigériens n’auront plus besoin d’aller en Tunisie ou ailleurs pour certains soins. »

 

« Quand je vois un plombier ou un menuisier nigérien faire des travaux chez moi, je suis heureux ; c’est comme si je voyais un cosmonaute. Mais on me dit qu’ils sont mauvais, on leur préfère d’autres. On a construit beaucoup d’établissements professionnels et techniques mais les résultats sont encore décevants. »

 

« Le grand fléau du Niger, c’est la fécondité. Il faut lutter contre l’inflation démographique. »

 

Encadré 3

Les principaux candidats

 

Outre le grand favori de la compétition, la Cour  constitutionnelle  a validé le 13 novembre dernier la candidature de 29 autres prétendants à la magistrature suprême dont voici les principaux.

 

- le colonel Salou Djibo, le chef du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie,  qui a renversé en février 2010 le président Mamadou Tandja, coupable d’avoir voulu un 3e mandat pour terminer ses chantiers. Il avait tenu promesse en annonçant alors une transition d’une année à l’issue de laquelle il ne s’est pas présenté à la présidentielle. Il se présente sous les couleurs du parti Paix - Justice -Progrès (PJP) qu’il a créé.

 

-Seini Oumarou. A 70 ans, il porte l’espoir du Mouvement national pour la société de développement (MNSD), le parti de feu Mamadou Tandja, dont il a été le Premier ministre entre 2007 et 2009.

 

-Mahamane Ousmane. Premier président démocratiquement élu du Niger en 1993 deux ans après la conférence nationale souveraine, le fondateur du Congrès démocratique et social (CDS) sera victime en janvier 1996 du coup d’Etat mené par le colonel Ibrahim Baré Maïnassara.

-Ibrahim Yacouba. C’est le porte-drapeau du Mouvement patriotique nigérien (MPN). A 49 ans, il se présente pour la 2e fois, après une première tentative infructueuse en 2016. Il s’était alors classé 5e avec 4,5% des suffrages exprimés. Son soutien au président Issoufou lui vaudra néanmoins d’être chef de la diplomatie nigérienne de 2016 à 2018.

 

-Albadé Abouba. Présenté comme le principal artisan du règlement du conflit touareg, deux fois ministre de l’Intérieur, il a quitté le MNSD en 2015 pour fonder son propre parti, le Mouvement patriotique pour le développement (MPR) qui porte sa candidature. En 2016, il avait soutenu Mahamadou Issoufou, ce qui lui avait valu le portefeuille de l’Agriculture.

OI

Encadré 4

Hama Amadou, le grand absent

Rentré en novembre 2019 au bercail après presque quatre années d’exil, Hama Amadou est le grand absent des joutes présidentielles. Son ambition de se présenter a en effet été contrariée par la Cour constitutionnelle qui ne l’a pas retenu sur la liste des personnes autorisées à compétir. Cela, en raison de sa condamnation par contumace en 2017 dans l’affaire dite de « supposition d’enfant »,  relative à un trafic de bébés entre le Niger et le Nigeria voisin. Pour autant, l’ancien Premier ministre n’entend pas moins prendre une part active dans la campagne et se réserve le droit de donner des consignes de vote à ses militants. Il l’a affirmé au cours d’une conférence de presse tenue samedi dernier à son domicile.

OI     

Elections locales nigériennes

Répétition générale avant le 27 décembre

 

Deux semaines avant les élections couplées législatives-présidentielle du 27 décembre 2020, les Nigériens étaient convoqués aux urnes ce dimanche 13 décembre pour des locales, municipales et régionales. Reportée à maintes reprises, cette consultation n’a jamais pu se tenir depuis 2004, ce qui a obligé le gouvernement à proroger régulièrement le mandat des élus locaux par décrets pris en Conseil des ministres. Des milliers de candidats se disputent les sièges de conseillers dans les 266 communes que compte le pays.

Parmi les 25 800 bureaux de vote disséminés à travers le territoire, celui qui porte le numéro 00 logé à l’Hôtel de ville au quartier Zongo de Niamey. C’est là  que, peu après 10h ce dimanche, le président Mahamadou Issoufou a accompli son devoir civique. Voici ce qu’il a confié à la grappe de journalistes qui l’attendaient à la sortie de l’isoloir : «C’est un pari difficile que  la CENI a tenu et je voudrais l’en féliciter. Ce scrutin constitue une répétition dans la perspective des élections législatives et présidentielle. Je demande donc à tous les électeurs de sortir massivement voter dans le calme. Je salue et félicite tous les partis politiques qui ont mené une campagne apaisée et je leur demande de maintenir cette bonne

conduite. C’est aussi l’occasion pour moi de lancer un appel à la CENI et à toutes les institutions chargées de l’organisation des élections pour qu’elles assurent la sincérité et la transparence de tous les scrutins.»

 

Pour un peu, on croirait d’ailleurs que la passation des charges est en train de se régler entre le chef de l’Etat sortant et son dauphin désigné, Mohamed Bazoum. Un quart d’heure après en effet, c’est le candidat à la présidentielle du Parti national pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) qui faisait son entrée dans la cour de la mairie. Une fois qu’il a glissé son bulletin dans l’urne, il s’est « réjoui de voir que les choses semblent se passer normalement, ce qui n’était pas gagné d’avance dans la mesure où la date du 13 a été retenue sur le tard. Il y avait donc de réelles raisons de craindre que nous ne soyons pas tout à fait au point sur le plan organisationnel mais à l’évidence, les choses semblent bien se passer. »

 

Le rendez-vous d’hier constitue, il  est vrai, un test grandeur nature, non seulement pour la CENI mais aussi pour les différentes formations politiques pour  mesurer leurs forces réelles à la base avant la grande bataille à venir.

OI   

Dernière modification lelundi, 14 décembre 2020 21:16

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