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Investiture Mohamed Bazoum au Niger: Et l’alternance démocratique fut !

Dans un environnement africain où de nombreux dirigeants poussent des racines sur le fauteuil présidentiel, Mahamadou Issoufou a passé le vendredi 2 avril 2021 à Niamey le témoin républicain à son dauphin désigné Mohamed Bazoum. Les Nigériens viennent ainsi d’assister à la première alternance démocratique dans leur pays abonné jusque-là aux coups d’Etat.

 

 

Quand, le 1er août 1990, le directeur d’exploitation de la Société des mines de l’Aïr (SOMAÏR) qui résidait alors à Arlit et le jeune professeur de philosophie à Maradi se rencontraient quelque part dans le quartier  Nouveau marché de Niamey, ils étaient loin d’imaginer que cela donnerait naissance à l’un des projets politiques les plus viables du Niger encore moins qu’un jour, l’un passerait le témoin à l’autre à la tête de l’Etat. C’est pourtant ce qui s’est passé le vendredi 2 avril 2021. Trente ans après avoir porté ensemble le 22 décembre 1990  sur les fonts baptismaux le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), les deux hommes sont en effet entrés, toujours ensemble, dans l’histoire contemporaine du pays d’Hamani Diori avec l’investiture de Mohamed Bazoum, vainqueur de la récente présidentielle avec 55,66% des voix. A 61 ans, il succède ainsi à son mentor Mahamadou Issoufou, élu en 2011 puis réélu en 2016, réalisant ainsi la première alternance démocratique et pacifique entre deux civils depuis l’indépendance en 1960.

 

Le panégyrique d’Issoufou

 

Une raison suffisante pour que la cérémonie solennelle de prestation de serment en sept actes au centre international de conférence Mahatma Gandhi soit particulièrement émouvante.

Emotion quand le désormais nouveau président entre en scène peu après 11h 30 sous les vivats voire les hurlements de ses partisans qui criaient à tue-tête « saï Bazoum…saï Bazoum », le slogan-fétiche de campagne.  Emotion quand son prédécesseur, après lui avoir remis un exemplaire de la Constitution (son bréviaire dorénavant), l’étreint  chaleureusement dans un tonnerre d’applaudissements avant de rejoindre son fauteuil d’ancien président, non sans avoir pris un bain de foule, saluant individuellement tous les chefs de délégation, dont une dizaine de chefs d’Etat parmi lesquels le président Roch Marc Christian Kaboré. On se demande bien ce qui, à ce moment peut bien trotter dans la tête du Maréchal du Tchad Idriss Déby Itno, présent dans la salle, qui brigue un sixième mandat le dimanche 11 avril prochain. Emotion quand, consécutivement à l’audience solennelle de la Cour constitutionnelle le premier magistrat prête serment sur le Coran délicatement apporté par des guides religieux. Emotion enfin quand le héros du jour prend la parole à 12h 22 pour son tant attendu discours d’investiture qui durera quarante minutes. Quarante minutes au cours desquelles il a d’abord fait l’exégèse de trois décennies de compagnonnage sans la moindre ride avec son mentor dont il a fait un long panégyrique ; un «dirigeant exceptionnel» dont il a loué «la droiture, la loyauté, la rigueur, la générosité et le patriotisme». «Il est resté le même. Je n’ai jamais perçu, même à travers un regard, si furtif soit-il, quelque chose d’un tant soit peu douteux à mon égard… Comme homme  et comme dirigeant, il est digne de tous les hommages» clame-t-il.

 

Les 100 travaux de Bazoum

 

Mais en plus des couronnes de lauriers dressées à son « camarade, ami  et frère », ce que les Nigériens attendaient du président frais émoulu, c’est qu’il leur montre la ligne directrice de ce que sera son action les cinq prochaines années, un fil conducteur développé dans le « Programme de renaissance Acte III : consolider et avancer » sur la base duquel ses compatriotes lui ont confié leur destinée. « Je n’ai que trop conscience de ce que sont mes défis, surtout en succédant à une personnalité de cette envergure », reconnait-il avant de donner une photocopie de l’existant sociopolitique, culturel et environnemental avec lequel il devra composer. Allah en effet, témoin des engagements  de ce vendredi, jour de grande prière chez les musulmans, sait si  Bazoum sera confronté à 100  travaux, tous aussi herculéens les uns que les autres.

Priorité des priorités dans ce vaste territoire en grande partie désertique miné par le terrorisme depuis une décennie, la sécurité. Comme pour le lui rappeler de nouveau, le lendemain, une attaque a fait quatre morts dans les rangs de l’armée dans la région de Diffa. Le nouveau président en est convaincu, l’insécurité est importée au Niger du fait de la faiblesse des Etats malien et libyen notamment, d’où  l’importance, selon lui, de traiter le mal à la racine, en aidant ces deux pays à recouvrer leur stabilité et l’intégrité de leur territoire. En attendant, le «général » Bazoum, qui compte consacrer 17% du budget national au secteur de la Défense et de la Sécurité, promet qu’à Diffa comme à Tillabéri et Tahoua, il engagera « les actions qu’il faut pour mettre rapidement fin aux souffrances des populations dont la vie est empoisonnée par les rapts, les paiements de rançons, le paiement de l’impôt aux groupes terroristes, les extorsions, les enlèvements d’animaux et les crimes systématiques. Les forces de défense et de sécurité jouiront de mon plein soutien pour disposer de tous les moyens dont elles ont besoin pour le combat courageux qu’elles mènent ».

 

L’éducation, premier poste budgétaire

 

Le second grand axe de l’agenda présidentiel, c’est l’éducation. Celui qui fut enseignant dans une autre vie dépeint en effet un tableau on ne peut plus noir du système éducatif nigérien « qui souffre d’une crise grave ». Preuve de l’importance qu’il accorde à ce secteur qui aura, se convainc-t-il, un effet d’entrainement sur d’autres domaines (démographie galopante, mariages précoces, sécurité, etc.), l’allocation sectorielle des dépenses y consacrera 22% des ressources budgétaires, soit le premier poste, avant même la sécurité. « Je ferai de l’éducation un domaine dont je m’occuperai personnellement autant que je m’occuperai de la sécurité », assure-t-il. « Merci professeur » semble dire son auditoire qui redouble de youyous.

Dans son allocution inaugurale, le dorénavant Grand maître des Ordres nationaux a aussi dit un mot sur ses intentions en matière de gouvernance vertueuse. « Il est grand temps, a-t-il affirmé à ce sujet, que nous nous ressaisissions… Quiconque a une responsabilité dans l’administration publique répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes. Son parti, « sa base », sa famille, sa communauté ne lui seront d’aucun recours », jure-t-il, la main sur le cœur ou plutôt sur le livre saint de l’islam, promettant uniquement des promotions sur la base de la compétence technique et de la moralité ».

S’agissant particulièrement de la corruption - qu’on l’appelle pots-de-vin, surfacturations, commandes fictives ou partiellement livrées - et qui serait, de l’avis de beaucoup de Nigériens l’une des plaies de la décennie Issoufou, Mohamed Bazoum s’est voulu inquisiteur : «je serai implacable contre les délinquants parce que j’ai conscience du tort que porte la corruption sur le développement du pays». Les délinquants à col blanc, qui sont rarement loin des cercles du pouvoir, sont prévenus et c’est également à l’aune de la réussite dans cette lutte  que ses compatriotes jugeront son action politique.

« Je saurai moi-même, conclut l’orateur, si au bout des cinq prochaines années, j’aurai agi de façon à sensiblement améliorer, entre autres, la qualité de l’éducation, l’accès aux soins, à une meilleure alimentation, à l’eau potable, à un meilleur habitat, au courant électrique et à de meilleures routes au profit de tous les Nigériens ».

Disons donc rendez-vous dans cinq ans pour le bilan.

 

Ousseni Ilboudo

A Niamey

 

Encadré 1

 

Simon Compaoré, président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP)

« Il a une vision très nette de ce qu’il faut pour diriger le pays»

 

Pour  Simon Compaoré, président du Mouvement du peuple pour le progrès, le parti au pouvoir au Burkina, le président sortant Mahamadou Issoufou « a mené le bon combat et après avoir fait sa course, il a passé le relais » à quelqu’un « qui a de la consistance et une vision politique très nette de ce qu’il faut pour diriger le Niger ».

 

Si vos souvenirs sont encore frais, dans quelles circonstances avez-vous fait la connaissance du président Bazoum ?

 

Les premières fois que j’ai entendu parler de lui, cela émanait de trois personnes : le président Blaise Compaoré, les camarades Salif Diallo et Roch Marc Christian Kaboré. Mais celui qui fut vraiment un camarade du président élu parce qu’ils ont fréquenté ensemble à l’université de Dakar, c’est bien feu Salif Diallo. Comme on était amis et camarades, c’est ainsi que nous avons appris à connaître les hommes politiques de ce pays voisin dont le président Bazoum. Après, nous avons été tous ministres, il a été ministre d’Etat en charge de la Sécurité dans son pays, et je l’étais également dans le nôtre. Nous avons de ce fait eu des contacts réguliers, participé à des réunions, ici au Faso tout comme à l’extérieur. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup marqué.

 

Justement quand vous l’avez rencontré pour la première fois, qu’est-ce qui vous a frappé chez l’homme ?

 

C’est quelqu’un d’intelligent et de très politique.  Autrement dit, c’est un fin limier car rien qu’à l’écouter parler, on sent qu’il a de la consistance et une vision politique très nette de ce qu’il faut pour diriger un pays. Il se disait et lui-même me l’a confirmé, que sur les bancs, à l’université, on disait de lui qu’il était un étudiant brillant et un bon militant. Pour que ces deux aspects puissent bien se conjuguer, ce n’est pas souvent facile. Je dois aussi ajouter que c’est quelqu’un de simple, d’accessible.

 

Vous parlez de militantisme. On a parfois fait le parallèle entre lui et votre défunt camarade Salif Diallo, en termes de courage et de vision politiques. Est-ce une perception que vous confirmez ?

 

Tout à fait. Il a beaucoup fait pour le président sortant Mahamadou Issoufou et cela me ramène au parcours de Salif Diallo. Je crois qu’ils se sont contaminés et rien qu’en les voyant, on a l’impression qu’ils sont sortis du même ventre.

 Un fait marquant pour moi a été aussi la délégation qu’il avait conduite à Dori suite au décès de Harba Diallo, ce qui montre qu’il connait les hommes politiques du Burkina, aussi bien ceux de sa génération que des aînés comme Harba Diallo. Il m’a beaucoup séduit par sa capacité à analyser les situations et à prendre position mais aussi à diriger, puisque jusque-là, il est toujours le président du parti au pouvoir, le PNDS Tarayya.   

 

Vous l’êtes ici également, en quoi son élection à la tête du Niger peut renforcer d’abord les relations interpartis et ensuite au niveau étatique entre nos deux pays ?

 

A chaque fois que le PNDS Tarayya avait des activités d’envergure, on y envoyait une délégation. Moi-même j’y  suis allé à deux reprises, à la tête d’importantes délégations. Le président Bazoum a travaillé pour la consolidation des relations entre le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et son parti. Je lui en sais gré et lui dit merci. Connaissant les possibilités que nos partis ont, il ne manquera pas une fois à la tête de la République du Niger, de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que ces relations puissent aller de l’avant et être séculaires. Que ces relations résistent à ceux qui en ont posé les bases. Avec lui comme président, je ne doute pas qu’elles connaîtront des lendemains meilleurs. C’est quelqu’un qui est convaincu que c’est ainsi qu’on peut servir son pays et l’Afrique. D’ailleurs, c’est ce qui fait que le président sortant, Mahamadou Issoufou a fait œuvre utile en lui faisant confiance. Confiance à un camarade, un ami, un compagnon de lutte, pour lui succéder à la tête du pays. Cela ne court pas les rues et c’est le lieu de féliciter le président Issoufou car il a mené le bon combat, a achevé sa course et bravo pour avoir passé le relais.

 

Propos recueillis par

O.I.

 

 

Encadré 2

 

«Ce qui frappe tout de suite chez Bazoum, c’est son calme, même face aux situations complexes»

 (Chantal Diallo née Salembéré, épouse de feu Salif Diallo)

 

Son époux, Salif Diallo, défunt président de l’Assemblée nationale burkinabè, faisait sans aucun doute partie du premier cercle d’amis du président Mohamed Bazoum. Un long compagnonnage de 40 ans qui remonte jusqu’aux années 80, quand les deux étudiaient à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, l’un en philosophie, l’autre en droit. Autant dire que c’est un témoignage de premier choix que nous livre Chantal Diallo née Salembéré, pour qui le nouveau chef de l’Etat nigérien «sait faire preuve de calme et de pondération, même face aux situations les plus complexes».

 

Dans quelles circonstances exactes avez-vous fait la connaissance du Président Bazoum ?

 

Mohamed Bazoum fait partie, avec le Président Mahamadou Issoufou, le Professeur Abdoulaye Bathily, Mohamed Fall et quelques autres, des personnes que mon mari a tenu à me présenter très rapidement, parce qu'elles constituent le premier cercle de ses amis en Afrique de l'Ouest.

J'ai vite perçu l'intensité de leurs relations qui, au-delà du militantisme qui en est le socle, ont glissé sur le terrain familial, créant ainsi un formidable réseau fraternel qui se déploie à l'occasion des divers évènements heureux ou malheureux qui touchent les uns ou  les autres.

 

Qu'est-ce qui vous a tout de suite frappée chez l'homme à votre premier contact ?

 

Ce qui frappe en premier chez Mohamed Bazoum, c'est le calme et la pondération dont il sait faire preuve, même face aux situations les plus complexes. Il a un sens élevé de la mesure et sait prendre du recul avant de se prononcer sur une question ou une autre.

 

On a souvent fait le parallèle entre lui et votre défunt mari en matière de courage et de vision politiques. Confirmez-vous cela ?

 

Si Salif Diallo et Mohamed Bazoum ont entretenu des relations étroites pendant près de quarante ans avant que la mort ne les sépare, je ne pense pas que ce soit le fait du hasard. Ils avaient en commun un idéal pour les peuples d'Afrique. Ils ont acquis les outils intellectuels de leur lutte auprès des mêmes aînés et mentors. Cela crée forcément des similitudes dans la manière d'agir sur le terrain. Ils avaient cependant deux tempéraments très différents et cela enrichissait incontestablement leurs échanges.

 

On vous a souvent aperçue lors de ses meetings pendant la campagne. Quelle était sa principale force, selon vous ?

 

La force du candidat Mohamed Bazoum tenait au fait que sa campagne s'est faite sur un programme et sur des idées, dans le respect de ses adversaires.

Il est très important, pour la consolidation de la démocratie dans nos pays, que le débat politique pendant les campagnes électorales soit centré sur les programmes des candidats et rien d'autre.

 

Maintenant qu'il est le nouveau Président élu, de quels atouts et qualités dispose-t-il, selon vous, pour réussir son mandat ?

 

 Le nouveau Président élu du Niger s'est forgé une expérience des plus solides à travers les divers postes de responsabilité qu'il a occupés tout au long de sa riche carrière d'homme politique. Il a acquis une stature d'homme d'Etat par son parcours aux côtés du Président Issoufou, dont il a été l'un des principaux collaborateurs ces 10 dernières années. Nul doute qu'il saura consolider et renforcer les nombreux acquis engrangés lors des 2 mandats de ce grand homme qu'est le Président Mahamadou Issoufou, à qui je voue un profond respect et pour qui j’ai une très grande admiration.

 

Propos recueillis par

O.I.

 

Encadré 3

 

Fondation Issoufou Mahamadou

Retraite active pour un ancien président

 

C’est une retraite active que s’apprête à prendre le président nigérien Mahamadou Issoufou. Celui qui a passé le relais le 2 avril 2021 à son successeur  Mohamed Bazoum a en effet porté sur les fonts baptismaux le vendredi 17 mars 2021 à Niamey une fondation qui porte son nom.

 

« On dit souvent à l’endroit de ceux qui s’accrochent au pouvoir qu’il y a une vie après la présidence ; quelle sera la vôtre ?  » A cette question que nous lui avions posée au cours d’une interview le 27 février 2021 à sa résidence (cf. L’Observateur paalga n°10299 du 5 mars 2021), le président Mahamadou Issoufou avait répondu d’un ton un peu sybillin : «Le 2 avril, je passerai le témoin à mon successeur. Le 2 avril donc, je répondrai à votre question». On n’aura finalement pas eu besoin d’attendre cette échéance pour être fixé.

Une semaine avant de faire valoir ses droits à la retraire, le président sortant a en effet lancé officiellement le vendredi 27 mars 2021 au centre international de conférences Mahatma Gandhi de Niamey, la Fondation Issoufou Mahamadou (F.I.M.). «Penser et agir», telle est la devise de cette nouvelle organisation dont les domaines d’intervention seront la démocratie et les droits humains, l’idéal panafricain, la paix, le développement du capital humain, la renaissance culturelle du continent, l’accès à l’éducation et à la santé ainsi que le climat. Autant dire que pour une retraite, elle sera plutôt active.

 

O.I. 

Dernière modification lemercredi, 07 avril 2021 21:34

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