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Le président Gbagbo à l’Eglise catholique: «Beaucoup d’Ivoiriens aiment faire la chirurgie de la fourmi»

Une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux montrant l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo à la cathédrale Saint- Paul d’Abidjan. Il marquait ainsi son retour dans l’Eglise catholique, ce qui n’a pas manqué de susciter des commentaires. Ceci est la réaction, une sorte d’exégèse, d’un prêtre, le père Marius Hervé Djadji pour ne pas le nommer.

 

 

L’actualité religieuse en Côte d’Ivoire est marquée par le retour du président Laurent Gbagbo au sein de la grande famille des catholiques. De retour dans son pays, le président Gbagbo a participé à la messe le dimanche 20 juin dans la Cathédrale Saint-Paul d’Abidjan. Au cours de cette célébration, le cardinal Kutwa a accueilli le président Gbagbo. Comment comprendre ce retour d’un point de vue ecclésiologique dans la foi catholique ?

Le retour dans l’Eglise

 

L’Eglise naissante, dans son évolution dès les premiers siècles, va rencontrer deux grandes épreuves :  la persécution des trois premiers siècles et les hérésies. De l’extérieur, l’Eglise était attaquée par les empereurs, et de l’intérieur, des chrétiens posaient des actes ou développaient des pensées qui créaient la rupture avec la foi de l’Eglise. Ceux qui trahissent l’unité et la foi de l’Eglise seront répartis en trois groupes :

Les hérétiques : Ce sont ceux qui commettent une hérésie qui est une pensée, un enseignement qui remet en cause la doctrine de l’Église, ce que l’Église enseigne à partir de la Bible et de la Tradition apostolique.

L’apostat : C’est celui qui commet l’apostasie, c’est-à-dire qui renonce officiellement à la foi professée dans l’Église, le fait de prendre ses distances publiquement avec la pratique de l’Église.

Le schismatique : C’est celui qui crée un schisme, c’est-à-dire qui rompt la communion avec le pape, les évêques et toute l’Église. Il refuse la communion avec l’Église à travers ses actes ou des discours.

Parmi les frères et sœurs, beaucoup décideront de revenir dans l’Eglise. Ce retour créait une confusion dans les communautés chrétiennes. C’est ainsi que l’Eglise mettra en place des procédures de réintégration en fonction des cas, des actes posés et de l’impact au sein de l’Eglise.

 Il faut préciser que les procédures de réintégration et de retour étaient différentes d’une Eglise locale à une autre. C’est le cas des débats entre Clément d’Alexandrie et Rome. Avec l’évolution, aujourd’hui on a gardé dans la procédure de retour ou de réintégration dans l’Eglise, l’accueil et surtout la profession de foi publique, c’est-à-dire la récitation publique du Credo. Mais il faut dire que chaque Eglise locale, c’est-à-dire chaque diocèse en fonction des cas, peut instituer une procédure dans le cadre de ce qui est prévu par l’Eglise universelle.

L’acte posé par le président Gbagbo et le geste d’accueil du cardinal s’inscrivent dans la dynamique de ce qui se fait dans l’Eglise depuis les premiers siècles. Donc le cardinal est resté dans la Tradition de l’Eglise.

 

Pourquoi la profession de foi dans la réintégration dans l’Eglise ?

 

La foi de l’Eglise est résumée dans le Credo. Notons qu’il y avait plusieurs Credo dans l’Eglise naissante mais depuis les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381), en dehors du Credo des apôtres, nous avons le Credo de Nicée-Constantinople. Chaque fois que nous récitons le Credo, nous exprimons notre adhésion à la foi catholique, nous acceptons publiquement la doctrine de l’Eglise, la Bible, la Tradition, les enseignements des apôtres, des Pères, des Papes et des évêques.

Donc quand quelqu’un quitte l’Eglise, la personne se sépare de la foi professée par l’Eglise catholique. Quand elle revient on la soumet à la profession publique de cette foi. Et c’est ce que nous faisons quand nous entrons dans cette Eglise par le baptême. Le Credo est donc très important dans l’affirmation de notre foi. Voilà pourquoi pendant les messes, il faut le réciter entièrement ou quand on le chante on doit reprendre toutes les paroles. On ne fait pas de l’à-peu-près avec le Credo. Personne ne peut de lui-même changer les paroles du Credo ou les modifier.

La personne qui pose un tel acte est frappée d’anathème, est excommuniée selon le concile d’Ephèse (431). Malheureusement, aujourd’hui les chorales et même les pasteurs font de la fantaisie avec le Credo. On modifie les paroles, on chante ce qu’on veut.

 

Gbagbo le chrétien évangélique

 

Des débats il ressort que, Gbagbo étant évangélique, il ne pouvait pas être accueilli dans l’Eglise catholique. Il faut d’abord relever que les chrétiens évangéliques surtout ceux des grandes confessions évangéliques sont issus du courant protestant né au XVIe  siècle avec Luther. C’est ce qu’on appelle le schisme d’Occident. Les communautés évangéliques et l’Eglise catholique partagent la foi en la Sainte Trinité. Ils baptisent au nom de la Trinité. Donc ce sont des chrétiens comme l’affirme le concile Vatican II. Nous avons en commun la Parole de Dieu et le baptême. Donc un membre d’une grande communauté évangélique est un chrétien comme un catholique. Il est vrai qu’il y a des divergences sur plusieurs points au niveau doctrinal malgré les différents dialogues théologiques (je ne parle pas ici de petits groupes qui se disent évangéliques).

 

La démarche du président Gbagbo

 

Le président Gbagbo, baptisé catholique, est libre, selon ses propres convictions, d’abandonner la foi de l’Eglise catholique et de mener le parcours qu’il veut. C’est cela la liberté des enfants de Dieu. Tout le monde ne peut pas être chrétien, tout le monde n’est pas catholique. Être catholique ce n’est pas remplir les églises, c’est pratiquer la Bible et l’enseignement de l’Eglise. Quelqu’un qui quitte l’Eglise peut décider d’y retourner librement mais en acceptant la procédure de réintégration. C’est ce que le président a fait. Il a décidé sans contrainte de repartir dans son Eglise de baptême. Dans la Bible, il existe plusieurs retours à Dieu.

 

L’attitude du cardinal Kutwa

 

Dans l’attitude du cardinal d’Abidjan, on voit un accueil chaleureux. Cet acte montre ce qu’est l’Église, sa définition et sa mission. L’Eglise, comme le Christ sur la croix, doit avoir toujours les bras ouverts pour accueillir tous ceux qui acceptent de revenir à elle, de trouver en elle le réconfort, le soutien et l’accompagnement. Quand Barthimée fils de Timée jette le manteau et bondit, Jésus l’accueille et le guérit (Mc 10,46-52). Quand Zachée se présente comme le pécheur, c’est chez lui que Jésus fait un arrêt et mange (Lc 19,1-10). L’Eglise doit toujours s’arrêter, prendre le blessé, le déposer au dispensaire et le soigner (Lc 10,29-37). Le cardinal, ici, agit au nom de l’Église, et ouvre les bras pour accueillir. Il faut préciser qu’un retour est différent d’un accès aux sacrements. Ce qu’on a vu, c’est l’étape de l’accueil. Ensuite, il y aura la profession de foi. Mais tout cela se situe au niveau pastoral et est géré par la curie diocésaine. Au niveau des sacrements, celui qui revient dans l’Église doit remplir toutes les conditions qu’il faut avant d’y avoir accès.

 

Que retenir ?

 

Dans l’Église catholique, la réintégration des chrétiens qui reviennent se fait à tout moment, dans les villages, dans les villes. Donc ce qui s’est passé ce 20 juin n’est pas un fait extraordinaire. l’Église catholique ne tombe pas dans un triomphalisme. Le Cardinal n’a pas gagné un trophée. Le fait de l’accueillir et de le présenter à l’autel est un fait habituel. Il est vrai que, du fait de la personnalité, de son aura et de ce que représente le président Gbagbo, chacun peut faire des commentaires de salon et de bureau, mais pour l’Église catholique, c’est une joie ordinaire à l’instar de la joie que ressent chaque communauté lorsqu’un frère revient, lorsqu’il y a des baptêmes.

Au niveau politique, étant donné que beaucoup d’Ivoiriens aiment faire la chirurgie de la fourmi, l’on cherche à politiser cet évènement ordinaire. Certains perdront le temps à regarder les détails insignifiants, d’autres s’occuperont de la décoration, tout cela pour des buzz ou pour dire simplement que l’Eglise catholique a choisi son camp. Les Ivoiriens, les politiciens et les journalistes ne réfléchiront pas sur la parole forte du cardinal sur la réconciliation quand il utilise l’image du train et de la gare. Oui le train de la réconciliation a démarré et il doit aller jusqu’à la gare. Que faire pour que ce train arrive à destination là où nous attendent nos enfants et petits-enfants à qui nous lègueront la Côte d’Ivoire ? Est-ce que je serai celui qui déboulonnera les rails ou celui qui les entretiendra pour que le train arrive à la gare ?

Voilà le sujet d’examen que donne le cardinal en ce mois de juin à chaque Ivoirien.

Père Marius Hervé Djadji

Prêtre du diocèse de Yopougon

Docteur en théologie dogmatique

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                                                        La titraille est de la rédaction

 

Dernière modification lejeudi, 24 juin 2021 20:23

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