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Limogeage ministre de la Justice : Mécanogate (1) Spécial

Certains ont vite fait de parler de «mécanogate». Ce n’est pas tous les jours, il est vrai, qu’un petit mécanicien    fait sauter un ministre de la République. C’est pourtant ce qui est arrivé le jeudi 23 février 2012 avec le léger remaniement ministériel qui a emporté le garde des Sceaux, Jérôme Traoré (remplacé par Salamata Sawadogo), et fait déménager Albert Ouédraogo, dont les patrons ont profité pour l'envoyer des Enseignements secondaire et supérieur aux Droits humains.

 

Pour mémoire, il faut remonter aux cas Kouamé Lougué, débarqué du ministère de la Défense en janvier 2004 dans la tourmente de l'affaire dite du putsch présumé, et au sacrifice de Salif Diallo  à la Pâques 2008 sur l’autel de la cohésion gouvernementale pour voir un réajustement opéré juste pour régler une situation individuelle.

Comment pourrait-on ne pas voir une relation de cause à effet entre le fait divers qui a défrayé la chronique ces derniers jours (cf. L’Observateur paalga n°8071 du mardi 21 février 2012) et l’éviction de l’ex-ministre de la Justice ? Tout est parti, on le sait, d’une altercation entre  le gourou et le pauvre hère pour un incident, somme toute mineur, de la circulation. Et voici le jeune mécanicien de trente-deux ans, Adma Kima qu'il s'appelle, molesté et coffré pour lui donner une petite leçon, car on n’insulte pas impunément une autorité. L’opinion nationale a vite fait d’y voir le combat du pot de fer contre le pot de terre et l’utilisation privée de la force publique, qui nous a pourtant valu bien de misères ces derniers temps.

Ayant été, en partie, le canal par lequel le scandale est arrivé, et donc  à la base du limogeage de l’autorité, on peut être tenté d’en tirer quelque motif de gloriole, mais un média, astreint dans une certaine mesure à un devoir de compassion, ne saurait décemment tomber dans un tel péché d’orgueil en tirant à boulets rouges sur une ambulance. Tout au plus peut-on éprouver une certaine satisfaction de contribuer à l’évolution des mœurs politiques dans notre pays, car, il n’y a pas encore si longtemps que ça, le plus humble des deux protagonistes aurait été broyé par la machine et il n’y aurait rien eu.

De ce point de vue, on peut dire que les choses bougent dans le bon sens, et en réagissant aussi promptement pour faire baisser une tension qui montait perceptiblement, c’est sans doute ce signal fort que le Premier ministre, Luc Adolphe Tiao, et le président du Faso ont voulu donner ; même si, ce faisant, ils peuvent aussi donner l’impression qu’ici, c’est la rue qui a gouverné, et, surtout, qu'ils créent un dangereux précédent, car désormais, c’est la jurisprudence Jérôme qui devrait s’appliquer dans ce genre de cas.

L’avantage cependant, et il est énorme, c’est que dorénavant les responsables feront plus attention à ne pas poser des actes irresponsables et à ne plus se comporter  comme s’ils avaient droit de vie et de mort sur les autres. Car on n’a vraiment pas idée de refaire le portrait à quelqu’un (visage tuméfié, œil au beurre noir) juste pour une incivilité routière,  certes regrettable, mais qui est tout ce qu’il y a de banal dans cette ville de Ouaga. L’argument selon lequel le tout nouveau déflaté n’a pas donné l’ordre de bâtonner le mécano (il n’aurait plus manqué que ça)  n’opère pas, pour emprunter au jargon judiciaire, car s’il n’en est pas coupable, il en est à tout le moins responsable pour avoir créé les conditions du passage à tabac.

Si le chef du gouvernement et son mandant ont frappé aussi vite et fort, ce doit être, pensons-nous, pour trois raisons principales :

primo,  l’affaire Justin Zongo est encore fraîche dans les mémoires, et on n’a pas encore fini d’en solder tous les comptes. A Koudougou d'où tout est  parti, on commémore  du reste le premier anniversaire de la mort de cet élève dans des circonstances troubles après des passages à la police ; un drame qui avait  été à l’origine de violences sociales inouïes au premier trimestre 2011  avant que les militaires prennent le relais de la contestation par une séries de mutineries dans différentes garnisons du pays. Que se serait-il passé si, comme il y a un an, l’infortuné Kima (à Dieu ne plaise), était passé de vie à trépas entre les mains des services de sécurité ? A coup sûr, ç'aurait été reparti pour des mois tumultueux aux conséquences imprévisibles ;

deuxio, et conséquence de ce qui précède, Tiao a remplacé Tertius Zongo à la Primature et, pour marquer la rupture, un remaniement ministériel d’une ampleur rarement égalée a été opérée, même si, depuis, nombre d’anciens ministres ont été recyclés en ambassade. De nombreuses mesures sociales et économiques ont ensuite été prises pour colmater les brèches et raccomoder un tissu social mis à mal. Plus que toute autre donc, cette équipe, qui a fait de la communication un mode de gouvernement, est  censée être plus sensible aux questions de (bonne) gouvernance politique, économique et sociale et, son journaliste de PM n’entend pas que des dérapages viennent brouiller son message ;

tertio, et c’est peut-être le plus important, plus que la personne de Jérôme Traoré, que certains disent au demeurant bien sous tous rapports, c’est le symbole qu’il représentait qui a été puni : car si même le ministre de la Justice se fait justice lui-même, si celui qui est le principal garant de nos droits et qui, de tous les membres du gouvernement, doit être le plus pointilleux sur leur respect se laisse aller à de tels écarts de conduite, on ne sait plus quoi penser. C’eût été le patron d’un autre département que, pour être tout  aussi blâmable, l’affaire aurait été ressentie avec moins de désolation.

Le pauvre, sauf à avoir été ensorcelé comme on l'entend déjà,  n’a pas compris que le Faso n’est plus ce qu’il était ; qu’il y a une conscience citoyenne de plus en plus développée et que l’aigreur des petites gens est proportionnelle à leur misère, plus que jamais rampante sous les soleils de la IVe République.

Pour tout dire, on a beau instruire à charge et à décharge le procès du ci-devant garde des Sceaux, on lui trouve difficilement des circonstances atténuantes, et en bon juriste, il est bien payé pour savoir que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Le ministre remercié, il reste maintenant à savoir que qu'on va faire des autres protagonistes de l'affaire.

Car s'il est établi que le parquet est intervenu pour faire embastiller le mécano, on fait quoi même s'il est censé avoir obéi aux ordres de son supérieur hiérarchique ? De la même manière, les éléments de la sécurité qui se seraient rendus coupable des sévices doivent-ils s'en tirer à si bon compte ?

 

 

La Rédaction

 

(1) Néologisme formé sur le modèle du Watergate, le cambriolage en 1972 du siège du Parti démocrate, qui obligea le président Nixon à démissionner en 1974 ; ou, plus récemment, du «Monicagate», du nom de cette stagiaire de la Maison-Blanche avec qui Bill Clinton a entretenu des relations extraconjugales et faillit de ce fait être emporté par le scandale.

Dernière modification lejeudi, 18 janvier 2018 10:27

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