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5 ans après : Qu'avons-nous fait de notre insurrection ?

Déterminés à mettre fin au pouvoir à vie que l'ancien président Blaise Compaoré voulait s’offrir contre vents et marées, les Burkinabè se sont insurgés les 30 et 31 octobre 2014, mettant fin à 27 ans de règne du successeur de Thomas Sankara. Un exploit historique salué à travers le monde et qui devait ouvrir une nouvelle ère de démocratie et de progrès conforme aux aspirations du peuple. 5 ans après les résultats de ces Quatre Glorieuses sont diversement appréciés. Nous avons donné la parole à des citoyens de tous bords dont vous lirez les sentiments dans les lignes qui suivent.

 

 

Abdoul Karim Saïdou, politologue, enseignant à l'université Ouaga 2

« Les résultats restent extrêmement mitigés »

 

Les promesses, dans leur ensemble, restent au stade de la mise en œuvre. Les aspirations étaient diverses : politiques,  économiques, sociales et culturelles. De ce point de vue, il me semble que toutes les promesses n'ont pas été tenues. Au sujet de la principale revendication, relative à la modification de l'article 37, on peut dire que l'objectif a été atteint. En effet, le président du Faso n'a pas pu modifier la Constitution ; mieux, la Transition a sacralisé cet article, de sorte à ce qu'il ne soit plus possible au Burkina à un président de faire un troisième mandat alors que la volonté d'aller au-delà des deux mandats est perceptible dans bien des pays, notamment en Côte d'Ivoire et en Guinée. Le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels est donc un acquis.

Mais pour les autres préoccupations des insurgés comme l'emploi des jeunes, la lutte contre la corruption et les inégalités sociales ainsi que la mal gouvernance, les résultats sont extrêmement mitigés et largement en deçà des attentes  malgré les réformes.

 

Salimata Ouédraogo, étudiante en 3e année de sociologie

« Le chômage  prend de l’ampleur »

 

L’insurrection n’a pas tenu ses promesses ; nous n'en sommes pas du tout satisfaits. On nous a fait savoir que plus rien ne serait comme avant, mais on remarque que les mêmes problèmes  persistent. Pour ce qui nous touche de plus près, à savoir la question de l’emploi, la jeunesse est déçue. Le chômage  prend de l’ampleur  puisque les offres d’emploi se font rares. Et s’il y en a, il y a peu de places disponibles pour une multitude de postulants. Le pouvoir en place doit revoir sa gestion pour tendre vers les aspirations des populations. L’autre chantier où nous attendons sérieusement le pouvoir actuel, c’est la question sécuritaire. Il faut qu’il y trouve des solutions.

 

Daniel Brougou, étudiant en 2e année de SEG

« C’est comme si les gens étaient sortis pour rien »

 

En sortant les 30 et 31 octobre 2014, les populations s’attendaient à un vrai changement. Malheureusement, il n’en a rien été. Les attentes n’ont pas été comblées si bien que c’est comme si les gens étaient sortis pour rien. Cela dit, il faut aussi reconnaître  que  ces mauvais résultats sont en partie dus à  la survenue de l’insécurité, à laquelle s’est ajoutée la persistance de la fronde sociale.

 

Ouoba Djamila Sabine,  étudiante en 1re année de droit

« Le mouta-mouta continue »

 

On  nous a dit qu’il n’aurait plus de gouvernement mouta-mouta. Mais ça continue. Les conditions d’études sont toujours les mêmes, il y a le chevauchement des années académiques. Concernant les concours, le nombre de postes à pourvoir a été revu à la baisse, ce qui n’est pas de nature à arranger les choses. Le pire, c’est que nous sommes actuellement plombés par l’insécurité ; chaque journée avec son lot de décès et de déplacés.

 

Almamy,  SG du Syndicat national des musiciens du Burkina

« Après l'insurrection, on nous a fait vivre un recul démocratique »

 

L’insurrection a été  une mission historique, quand bien même elle aurait ses limites et ses acquis. Je crois que notre peuple a pu démontrer, par la pression populaire, qu’on peut arriver à un changement. Le peuple s’est organisé et est arrivé à prendre les choses en main. Il faut dire que l’insurrection a été biaisée par la prise de pouvoir des militaires du RSP, la force la mieux organisée que nous avons contestée. Aujourd’hui, nous attendons que la justice soit faite pour tous ceux tombés lors de cette insurrection et que les blessés soient pris en charge. Je ne regrette aucunement l’insurrection. Tous ceux qui avaient placé leur espoir en l’avènement du  régime Kaboré ont vite compris que c’étaient les mêmes qui composaient avec le régime Compaoré. Le peuple ne cesse de se battre pour de meilleures conditions de vie. C’est pour dire que les mêmes causes qui ont fait partir Blaise Compaoré demeurent, notamment l’impunité des crimes de sang et économiques. Cinq ans après, le peuple attend la justice et la vérité pour ceux qui sont tombés sous les balles. La transition qui  nous a été imposée était bel et bien illégale et illégitime parce que c’était des militaires qui étaient au pouvoir. On a vu également la gabegie qu’a causée cette transition et elle devra également répondre de ses actes. En tant qu’insurgés, nous avons toujours  soif de vérité et de justice, d’autant plus que ce contre quoi nous nous sommes insurgés demeure : les questions de crimes économiques et de sang, l’impunité grandissante, la misère dans les foyers. On vient nous imposer un Code pénal liberticide. Ceux qui sont arrivés au pouvoir par le biais de cette même insurrection continuent de tripatouiller les choses et de piétiner les libertés collectives et individuelles. Ils sont en train de criminaliser l’insurrection et les luttes populaires avec des interdictions de  marches. C’est un recul démocratique après une insurrection. Je veux dire que ceux qui sont au pouvoir sont victimes de leur incapacité notoire et congénitale à diriger. Voilà pourquoi  ils nous imposent les mêmes mesures liberticides et antisociales.

 

Adama Tapsoba, SG de l’Association des blessés de l’insurrection populaire (ABIP)

« Nous ne regrettons pas »

 

Nous sommes satisfaits. Nous ne regrettons pas d’être sortis pour l’insurrection. On ne voulait plus d’un pouvoir à vie et nous pouvons dire, même si le président actuel n’a pas encore épuisé son mandat, qu’il n’est plus question de pouvoir à vie.  De ce fait, nous pouvons dire que nous sommes satisfaits. Nous sommes sortis pour empêcher la modification de l’article 37.

Par contre ce que nous regrettons, c’est ce que notre pays vit actuellement avec les attaques terroristes à répétitions et l’insécurité, qui va avec. Néanmoins nous n’en voulons à personne.

 

Boubacar Bouda, militant du CDP

« La grande déception des abusés »

 

Tout dépend de la posture que chacun avait pendant la période dite insurrectionnelle. Ceux qui étaient dans une posture de conquête du pouvoir, peut-être il faut leur poser la question de savoir s’ils y sont parvenus. Mais ceux qui aspiraient véritablement à un changement réel, je ne suis pas sûr qu’ils aient la même lecture que ceux qui avaient l’ambition d’arriver au pouvoir. Si on considère les différentes couches qui ont pris part à l’insurrection, vous verrez que chacun avait son agenda. Il y a la grande majorité à qui on a fait croire naïvement qu’un changement viendrait simplement parce qu’on aurait donné un coup de balai. Ils ont cru naïvement que tous les problèmes sociaux que le Burkina Faso connaissait seraient par magie résolus parce qu’on aurait fait un jeu de chaise, remplacé X par Y. Je suis sûr qu’ils sont aujourd’hui désabusés. Par contre, il y a des gens pendant l’insurrection qui avaient des visées de pouvoir, qui cherchaient seulement à faire valoir la formule «ôtes-toi que je m’y mette ». Ceux-là ont conquis leur pouvoir à la grande déception de ceux qu’ils ont abusés.

 

Clément Mané, étudiant en SEG

« L’insécurité est venue tout gâter »

 

C’est vrai qu’au moment de l’insurrection, on avait de grands espoirs, mais s‘ils n’ont pas totalement été réalisés, ce n’est pas pour autant qu’il faut voir le verre à moitié vide.  J’estime que nous avons eu un peu gain de cause. Nous avons eu notre démocratie. Des avancées ont également été faites au niveau infrastructurel (infrastructures routières, hospitalières, universitaires). Ce sont des choses à saluer. Néanmoins, beaucoup reste à faire notamment en ce qui concerne le volet sécuritaire. Je pense que le pouvoir actuel gagnerait à négocier avec l’ancien pouvoir pour trouver une solution car c’est  l’insécurité qui est venue tout gâter.

 

Me Hermann Yaméogo, président de l’UNDD

«Elle a fait reculer le pays au point qu’on craint la chute de l’Etat »

 

Rétrospectivement, qu’est-ce qu’on a obtenu ? Il y a eu, dans la foulée de l’action, une aggravation du dépérissement de l’autorité de l’Etat. L’insurrection a semé dans l’esprit des Burkinabè, surtout des jeunes, la désobéissance, le sentiment qu’on peut tout rejeter, qu’on peut mettre à terre tous les tabous. Elle a eu pour conséquence de mettre en place une transition dans des conditions troubles et obscures ; une transition qui a prôné l’apartheid électoral en décidant, par la force d’une loi et contrairement à la Constitution, qu’une catégorie d’hommes ne pouvait pas se présenter aux élections. Une violation de la loi fondamentale qui a aussi porté substantiellement atteinte au corps électoral, le premier des pouvoirs ; car au-delà des individus qui sont privés de ce droit, c’est le peuple qui a aussi été privé du libre choix de ses candidats. Cette grave erreur a poussé les autorités à violer, au-delà des textes nationaux, des instruments internationaux qui condamnaient ces pratiques. L’insurrection a mis en place une transition qui a méconnu les règles de bonne gouvernance, procédé à des arrestations, mené une gestion cavalière qui a fait fuir des capitaux et enfin dissous le Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Cette dissolution en soi dans un contexte d’insécurité généralisée dans la sous-région était d’une très mauvaise inspiration parce que quelles que soient les critiques que l’on pouvait faire sur le RSP, on aurait pu trouver des solutions beaucoup plus douces. Le RSP aidait à faire du Burkina Faso un verrou sécuritaire ; lequel a sauté avec le départ du régime Compaoré et, plus grave, avec cette dissolution. Tous ces éléments ont engendré une crise économique, sociale et, pire, qui a ouvert la porte aux djihadistes qui aiment les Etats faibles. Ces derniers ont pénétré dans le pays, prouvé que nous n’avions pas le contrôle de notre Etat, à telle enseigne que nous sommes obligés de demander de l’aide ailleurs. Tous les bailleurs de fonds, toutes les instances internationales montrent une situation dans laquelle nous avons plus de 500 à 600 morts, des déplacés internes au nombre de 600 000 à 800 000, des territoires abandonnés, une économie en chute. On ne peut donc pas dire que cette insurrection a tenu ses promesses, elle a plutôt fait chuter le pays en termes de matériel, de développement. Elle nous a fait reculer au point où nous en sommes à avoir peur, à craindre du dépérissement, de la chute de l’Etat. 

 

Tahirou Barry, candidat déclaré à la présidentielle de 2020

«Le rêve s’est transformé en une amère désillusion »

 

«Le peuple qui a mené l’insurrection populaire avec tous les risques encourus avait un rêve qui était d’opérer un changement qualificatif à tous les niveaux de la vie nationale après 27 ans de gestion d’une génération en crise de légitimité. Cinq ans après, ce rêve s’est transformé en une amère désillusion : chômage, misère, morosité économique, inégalités, injustices, politisation de l’Administration, favoritisme, etc.

Aujourd’hui encore, les attentes sont plus fortes que jamais et la classe dirigeante aurait tort d’ignorer cette forte déception qui s’enracine profondément.

 

Alpha Yago, porte-parole de la Génération Blaise Compaoré

« L'échec est total sur toute la ligne »

 

Le temps faisant son œuvre et ses effets, il faut prendre un minimum de recul. Le temps est le meilleur révélateur des choses. Ceux qui ont voulu le départ de Blaise Compaoré disaient se battre pour le changement. Mais demandons-nous aujourd'hui de quel changement ils parlaient.

L'alternance en principe, c'est pour aller de l'avant. Or, nous remarquons que le pays a reculé dans tous les domaines. Le MPP, en venant au pouvoir, avait promis de l'emploi aux jeunes en l'espace de 6 mois ; mais faites vous-même le constat aujourd'hui : c'est désastreux. L'échec est total sur toute la ligne. Sur le plan sécuritaire, nous avons plus de 600 victimes, civils et militaires confondus. Ce bilan macabre n'a jamais eu lieu sous aucun régime dans notre pays.

Toutes les énergies devraient être mobilisées pour qu'on retrouve la quiétude et le vivre-ensemble mais la priorité est ailleurs, le régime voulant coûte que coûte se maintenir au pouvoir. C'est un mépris total vis-à-vis du peuple. La stabilité et la paix étaient nos premières richesses mais aujourd'hui nous les avons perdues et refusons de fédérer toutes les compétences pour les retrouver. C'est très dommage.

 

 Emile Pargui Paré, secrétaire national du MPP chargé de la formation politique

« Les attentes des insurgées restent entières… »

 

De mon point de vue, les véritables attentes des insurgés n’ont  toujours pas  été comblées. En réalité, l’insurrection populaire d’octobre a concentré en elle une volonté déterminée du peuple de rompre avec le régime ancien de Blaise Compaoré.  Les divers slogans à l’époque réclamaient une rupture politique, économique, sociale et la justice, surtout dans les dossiers Norbert Zongo, Thomas Sankara. Quand on regarde très bien, la rupture politique prônée sous le slogan « plus rien ne sera comme avant » n’est pas effective. Cela devait nous amener à une rupture politique, avec de nouvelles institutions politiques et administratives qui devaient nous conduire à une nouvelle réforme, à une nouvelle république. Cinq ans après, cette rupture n’est pas là et se fait attendre.

Il y a eu des avancées du point de vue des réformes électorales, un système électoral qui a permis des élections transparentes, libres, non contestées. Mais ce n’est pas que  pour les élections que le peuple s’est insurgé. La rupture sociale tant attendue n’y est pas. On peut saluer certes la volonté du régime Roch Marc Christian Kaboré de résoudre pas mal de problèmes sociaux en dépit du contexte de terrorisme dans lequel il évolue, de la fronde sociale qui n’a cessé de se manifester.

On peut saluer les efforts qui ont été faits dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la couverture en eau potable…

Mais les insurgés n’ont pas vu leurs attentes comblées. Les attentes en matière de justice sociale et de rupture politique restent entières et le peuple n’est pas content de cela. 

 

 

 

Propos recueillis par

Abdou Karim Sawadogo

Dernière modification ledimanche, 03 novembre 2019 15:35

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