Expo arts plastiques : Sambo Boly peintre de l’invisible
- Écrit par Webmaster Obs
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Sambo Boly est un peintre à part dans le microcosme artistique burkinabè. Il trace sa voie, à nulle autre pareille, dans l’art contemporain. Son expo à l’Institut français de Ouagadougou, du 14 janvier au 12 février 2022, permet de suivre la permanence et l’évolution de son art depuis deux décennies.
Cette exposition dénommée Quête d’Identité est une rétrospective qui retrace plus de deux décennies d’un travail artistique qui s’élabore loin des canons et poncifs de l’art contemporain. C’est un travail pictural reconnaissable parmi mille autres et l’on oserait l’expression « identité graphique » si l’on ne craignait que l’on confonde ce travail d’artiste avec une production de masse. En effet, il n’est pas besoin d’une signature au bas de la toile ou à son revers pour reconnaître son travail : sa façon particulière de dresser sa toile, d’y disposer les couleurs et les dessins est déjà une signature. Toutefois, même si le travail de Sambo Boly s’inscrit dans la continuité, il n’est jamais dans la reproduction de l’identique.
C’est Leonard de Vinci qui disait que la peinture est une chose mentale car elle fait plus appel à l’intelligence qu’à la vue. Ainsi sont les toiles de Sambo Boly ; elles sont plus des énigmes à déchiffrer que des représentations à admirer. Ces toiles, mi-abstraites mi-figuratives, invitent le spectateur à entrer dans un univers onirique et mystique et à arpenter des flaques de bleu, des rivières d’ocre, des plages de jaune, des éclaboussures de noir, toutes traversées parfois par cette écriture étrange qui oscille entre l’idéogramme et l’alphabet arabe.
Dans ces paysages, l’homme est présent mais jamais il ne fait foule. C’est souvent un personnage esseulé, parfois deux, quelquefois l’esquisse d’un visage ou une silhouette. En fait, dans l’univers de Sambo, l’homme est un élément parmi d’autres, il n’en occupe ni le centre ni n’en constitue le sujet central. A cela, on peut y voir une vision animiste ou écologique du monde.
Toutefois, dans cette expo, il y a trois tableaux avec des figures humaines qui retiennent l’attention. Il y a le tableau baptisé Exode, où il y a une multiplicité de figures mais ce sont des masques de plusieurs couleurs. Dans le second, Surveillant de totem, il y a deux yeux d’un bleu glaçant qui vous scrutent et vous figent. Dans le dernier, Cri de réclamation, c’est au centre de la toile, un visage avec la bouche grande ouverte qui pousse un cri. Comment ne pas penser au célèbre tableau d’Edvard Munch. Mais ici, le peintre burkinabè semble être allé chercher le personnage du Munch au milieu du pont pour le ramener sur la rive, le rendre plus proche du regardeur pour que son cri ne passe pas à côté de la ville, à côté de la vie des regardeurs. Car comme dit Césaire, un homme qui crie n’est pas un ours qui danse. Il nous fait entendre ce cri !
Ce tableau montre que la plaquette de l’exposition qui le présente comme un artiste peu nourri de l’histoire de l’art et des mouvements artistiques ne lui rend pas justice. Comment penser que cet artiste qui est sur la scène contemporaine depuis trois décennies, qui voyage de par le monde et rencontre les artistes du monde entier ne connaisse pas l’art contemporain. Si l’on ne sent pas les influences de façon manifeste, il y a néanmoins chez lui un dialogue avec l’histoire de l’art comme l’atteste cette toile qui entre en résonance avec Le Cri du peintre norvégien. Il est évident que pour s’écarter d’un chemin et s’en frayer un nouveau, il faut l’avoir emprunté auparavant.
Sambo Boly est un artiste autodidacte mais d’une grande intelligence ; il a très vite compris que son apport à l’art se trouve dans la préservation de sa singularité et non la dissolution sous la tutelle d’un maître. Enfant ayant grandi à Sabcé, dans un village de Kongoussi, il a appris beaucoup sur les colorants naturels utilisés pour la teinture des habits, des objets et des maisons. Aussi puise-t-il la majeure partie des pigments de sa peinture dans la nature : plantes et sols de Sabcé.
Ce qui retient aussi l’attention, ce sont ses toiles qui sont souvent des entrelacs de tissus, un croisement de bandelettes qui rompt avec la surface plane et lisse du tableau de peinture. Et une toile ainsi faite apparaît comme la métaphore la plus juste de la vie car peindre sur cette surface bosselée, inégale, rétive, c’est comme vivre. Qui signifie imposer sa présence au monde malgré les difficultés…
Alcény Saïdou Barry