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Niger : On tire ou on ne tire pas ?

 

Attention, faites vos jeux, rien ne va plus ! Nous ne sommes pas dans un casino, avec tables et roulettes. Mais l’image s’y prête quelque peu pour décrire le suspense, l’incertitude, pour ne pas dire l’attente angoissée de la suite que la CEDEAO va donner à son ultimatum à l’encontre du général Tchiani et du Conseil national de la sauvegarde de la patrie (CNSP). En effet, la petite semaine que l’organisation régionale a donné aux auteurs du coup d’Etat du 26 juillet 2023 pour ‘’rendre le pouvoir au président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum’’, a expiré hier dimanche à 24 heures. Alors, on fait quoi maintenant ?

 

 

L’adresse à la nation, émouvante et offensive à la fois, faite par le nouvel homme fort de Niamey à l’occasion du 63e anniversaire de l’indépendance du pays donnait à penser à plusieurs observateurs que malgré l’artillerie lourde de sanctions économiques, financières et diplomatiques, le CNSP ne cèderait pas aux injonctions de la CEDEAO. La raison ? Beaucoup apportent de l’eau à son moulin.

 

En effet, des autorités coutumières et religieuses, des leaders de partis politiques, d’organisations de la société civile du Niger ont ouvertement apporté leur soutien au nouveau pouvoir, tandis que des pays voisins, le Mali et le Burkina en l’occurrence, ont  annoncé qu’une intervention militaire serait considérée comme une agression et entraînerait leur riposte.  La Guinée, la Mauritanie, le Tchad et, dans une moindre mesure, l’Algérie, sans avoir annoncé qu’ils se battraient aux côtés du Niger, ont clairement indiqué qu’ils étaient hostiles à l’emploi de la force contre les putschistes ou, à tout le moins, qu’ils n’en faciliteraient pas la mise en œuvre. Au sein même des pays où les gouvernants sont favorables à cette ‘’opération de police’’ anti-putschistes de la CEDEAO, à savoir le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Sénégal par exemple, les opinions publiques sont bien partagées. Elles sont majoritairement hostiles ou moyennement sans avis, et ce sont des élus, voire des institutions républicaines, qui expriment un scepticisme, un rejet ou font une dénonciation en règle de cette « dernière option, l’usage de la force », que la CEDEAO n’écarte pas.

 

Mais qu’a-t-elle comme atout pour mettre sa menace à exécution avec succès ? Les chefs d’état-major des armées des pays membres qui sortent d’un conclave de 3 jours, tenu à Abuja du 1er au 4 août, ont certainement fait le tour de la question sans se priver d’en ajouter d’autres, par exemple : comment éviter que les otages des putschistes, véritables boucliers humains, notamment le président déchu Mohamed Bazoum et sa famille, pâtissent d’une éventuelle offensive militaire ? Et les ressortissants des autres pays de la CEDEAO qui vivent au Niger, comment leur éviter de possibles représailles ? Par ailleurs, comment épargner les civils nigériens ou même éviter qu’ils s’alignent en masse derrière le nouveau pouvoir ? Et on en oublie, des interrogations, des considérants, des impondérables, qui sont autant d’inconnues qui nous ramènent à la question que pourraient se poser les troupes que la CEDEAO larguerait sur Niamey : « On tire ou on ne tire pas ? »

 

Violente question qui met à nu 2 pièges dans lesquels l’organisation ouest-africaine s’emmêlent les pinceaux au risque de se discréditer de plus en plus aux yeux des populations, mettant ipso facto en péril son principal objectif : construire une CEDEAO des peuples intégrés et solidaires dans une prospérité partagée.

 

Le premier piège, c’est celui de son Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté par les chefs d’Etat en 2001. Le second piège qui découle du premier dans la résolution de la crise du pouvoir au Niger, c’est l’ultimatum des chefs d’Etat au général Tchiani rendre le pouvoir hic et nunc, sinon gare à l’usage de la force ! La fin de non-recevoir qu’oppose le CNSP à cette injonction est un pied de nez qui, s’il reste impuni, achève de convaincre que la CEDEAO est un tigre en papier avec des principes à la noblesse plus scintillante que le tranchant de ses dents. Mais si la CEDEAO veut se vêtir des attributs d’un tigre qui ne proclame pas que sa tigritude mais tue sa proie et la mange, on voit d’ici les dégâts collatéraux d’une guerre qui déstabiliserait plus encore le Sahel et la région ouest-africaine.

 

C’est pourquoi si l’on vote pour un ‘’Oui’’ massif pour le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel à celui relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, on dit « non » à la manière de s’en prévaloir à géométrie variable. Celle qui consiste, pour l’organisation régionale, à faire si peu, sinon rien contre la menace des groupes intégristes qui déstabilisent des Etats membres et à sortir l’artillerie lourde contre des officiers qui veulent sonner la révolte de leurs compatriotes contre, et l’incurie des ‘’pouvoirs démocratiquement élus’’ et les rapts, rapines et meurtres perpétrés par les groupes armés terroristes, rebelles ou révoltés contre des Etats et leurs institutions.

 

Ce Protocole additionnel se révèle encore un piège pour la CEDEAO quand elle s’avère incapable d’empêcher des révisions constitutionnelles intuitu personae et ad hominem, portes ouvertes à la perpétuation de pouvoirs non exempts de reproches en matière de bonne gouvernance et de respect des droits de l’homme. Alors, ce que la CEDEAO ne peut faire du dehors des Etats pour diverses raisons, doit-elle s’en prendre à des forces internes ou à des initiatives nationales qui veulent remédier aux insuffisances démocratiques et de bonne gestion de la chose publique ? Ne doit-elle pas privilégier l’accompagnement de ses initiatives internes, prenant au mot leurs auteurs avec les populations pour témoin au lieu de vouloir jouer les Zorro extra contextuels, passant plus pour un syndicat de chefs d’Etat que d’un outil d’intégration des peuples ?

 

Les lois sont faites pour les hommes, pas l’inverse, dit-on. Dès lors dès qu’une loi incommode la majorité, au risque de nuire au contrat social et institutionnel, par manque d’efficience ou d’efficacité dans sa mise en œuvre, il importe de la relire. Il en va de la loi comme des Actes fondateurs des organisations de coopération et d’intégration régionale.

 

Alors, la CEDEAO, prise au piège de difficultés réelles à appliquer son Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, partout et tout le temps, doit éviter d’autres pièges en aval, comme cet ultimatum contre le général Tchani qui s’avère improductif et pourrait être contre-productif si l’usage de la force nuisait aux otages, aux ressortissants de la CEDEAO, aux populations civiles et aux équilibres déjà si fragiles des pays du Sahel, voire de toute la région ouest-africaine.

 

Alors, général Tinubu, chef de l’Autorité des chefs d’Etat de la CEDEAO, on tire ou on ne tire pas sur Niamey ?

 

La rédaction    

 

Dernière modification lemercredi, 16 août 2023 20:21

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