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Recherches génétiques contre le paludisme: Bana, premier pas vers l’élimination du moustique

Bana est un village situé à une vingtaine de kilomètres du centre-ville de Bobo-Dioulasso. Jusqu’à une époque récente, pas grand monde n’avait entendu parler de ce patelin qu’on confondait facilement, par son nom, à Bama, autre localité de la province du Houet. Depuis, le village a acquis une renommée auprès de la communauté scientifique mondiale pour avoir abrité le premier lâcher de moustiques génétiquement modifiés en Afrique  le 1er juillet 2019. 

 

Des tranches de patates baignent  dans l’huile chaude. Un peu plus loin, des jeunes décortiquent des amandes de karité, un pigeon picore des épis de maïs fraîchement récoltés. Partout résonnent des bruits de pilon. Du milieu des cases au toit en chaume s’échappent des volutes de fumée du repas que préparent les femmes. Bienvenue à Bana, petit village à la nature généreuse et à la végétation luxuriante. Les habitants de cette localité, somme toute banale dans cette partie bien arrosée du Burkina, ont tous la particularité d’être devenus des co-acteurs d’un projet de recherche scientifique visant l’élimination d’un mal qui touche tous les continents, le paludisme.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 627 000 personnes sont décédées de cette parasitose dans le monde en 2020, principalement des enfants âgés de moins de 5 ans  vivant en Afrique.

Au Burkina, selon les autorités en charge de la Santé, plus de 12 millions de cas de malaria ont été recensés dans les centres de santé avec 4 355 décès enregistrés rien qu’au cours de l’année 2021. L’OMS s’est fixé pour objectif d’atteindre un monde sans paludisme d’ici à 2030.  

Malgré les promesses de vaccins  tel le R21/Matrix-M, la résistance du parasite aux médicaments antipaludiques constitue une menace à l’atteinte de cet objectif, d’où l’idée d’attaquer le mal par plusieurs fronts.

Parmi les nombreuses options sur la table des scientifiques, l’impulsion génétique. 

Derrière cette expression se cache un phénomène qui permet de propager rapidement une caractéristique donnée à travers une espèce par le biais de la reproduction sexuelle. Le rôle de l’impulsion génétique est d’augmenter la probabilité qu’un gène modifié soit hérité par la descendance. En temps normal, un gène a 50% de chances d’être transmis à la descendance. L’impulsion génétique, elle, permet de porter jusqu’à 99% cette probabilité. Elle peut avoir de nombreuses applications, parmi lesquelles l’élimination d’espèces invasives et la lutte contre les maladies transmises par des agents vecteurs. Le projet Target Malaria en a fait son cheval de bataille.

«Consortium de recherche à but non lucratif qui vise à développer et partager des technologies génétiques nouvelles, durables et économiques visant à modifier les moustiques et à réduire la transmission du paludisme», Target Malaria réunit des institutions de plusieurs continents. En Afrique, le projet est présent dans 5 pays dont le Burkina, à travers  l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS), basé à Bobo-Dioulasso.

Pour comprendre le sens du projet, il faut savoir que sur les plus de 3 500 espèces de moustiques dans le monde (837 sont présentes en Afrique), seules les femelles (le mâle ne pique pas) de 3 espèces apparentées sont responsables de la plupart des cas de paludisme : Anopheles gambiae, Anopheles coluzzii et Anopheles arabiensis. Si l’impulsion génétique rendait la descendance de ces 3 espèces de moustique entièrement mâle ou si les femelles devenaient stériles, ces espèces disparaîtraient et c’en serait fini du paludisme. C’est cette double quête que poursuivent les scientifiques de Target Malaria.

C’est en 2012 qu’a débuté l’aventure au Burkina avec l’instauration d’un dialogue entre l’équipe de l’IRSS et la communauté de Bana. Ce village a été choisi, explique la chargée de l’engagement des parties prenantes, Dr Léa Paré/Toé,  après que les chercheurs ont longuement étudié les caractéristiques des moustiques qui s’y trouvent et obtenu l’accord des populations. Bana a aussi profité de son accessibilité et de sa proximité avec l’insectarium. 

Le processus se voulait inclusif et participatif. « Nous sommes dans un co-développement. On participait à tout et chaque fois, on demandait d’abord notre consentement», explique l’un des notables de Bana et porte-parole du chef,  Tchièssira Sanou. 

L’un des défis majeurs que devait relever l’IRSS, c’était de rendre accessible le langage scientifique aux populations afin d’assurer la compréhension du projet par tous. Des linguistes et une troupe de théâtre ont été mis à contribution. Les résultats ont été au rendez-vous. Nous  avons pu en faire le constat en échangeant avec quelques habitants qui, bien que n’ayant jamais mis les pieds dans une salle de classe, ont une grande compréhension de notions qui ne sont accessibles qu’aux entomologistes.

Selon Tchièssira Sanou, s’il y avait quelques inquiétudes au début, elles ont toutes été dissipées grâce au travail d’information continue. 

Fanta Traoré, que nous avons retrouvée en pleine cuisine, était membre du comité de plainte et elle rassure. A l’en croire, aucune plainte n’a été portée à leur connaissance.  

Pendant que l’équipe de Target Malaria travaillait à susciter l’engagement des populations de Bana, au niveau du laboratoire, les scientifiques ont reçu des œufs importés de moustiques mâles stériles sans impulsion génétique. Ils ont croisé à plusieurs reprises cette souche produite par l’Imperial College de Londres avec une souche résultante  ayant le fonds génétique des populations locales de moustiques au Burkina pour avoir une souche plus proche des moustiques qu’on trouve localement.

Sur le plan réglementaire,  l’IRSS a obtenu en 2018 de l’Agence nationale de biosécurité (ANB) une autorisation pour lâcher à petite échelle ces insectes. Comme nous l’explique en langue dioula Fanta Traoré, lorsque ces moustiques s’accouplent avec des femelles, les œufs pondus par celles-ci n’éclosent pas. Etant sans impulsion génétique, la modification  génétique n’affecte qu’une génération de moustiques modifiés. Autrement dit, ces moustiques mâles non seulement ne piquent pas mais aussi mourront avant d’avoir une progéniture.

L’opération a été effectuée le 1er juillet 2019. Tout le village était sorti, se souvient, le porte-parole du chef. Ce jour-là, environ 6 400 moustiques mâles stériles génétiquement modifiés sans impulsion génétique de l’espèce Anopheles gambiae et environ 8 500 autres  non modifiés ont été libérés à Bana.

 L’objectif du lâcher n’était pas d’avoir un impact quelconque sur le paludisme ou sur la densité du moustique. Ça, les habitants le savaient également. Il visait plutôt à collecter des informations utiles pour la suite des recherches. Le lâcher était suivi d’un recapturage dans les 20 jours qui ont suivi. De nombreux jeunes du village, à l’image de Doulaye Sanou, s’y sont mis en tant que bénévoles pour capturer dans les concessions ou dans l’environnement les moustiques grâce à des techniques qui leur ont été apprises.  Une belle expérience, affirme-t-il, lui qui se félicite aujourd’hui d’être maintenant capable de faire la différence entre des moustiques mâle et femelle.

La période de surveillance s’est poursuivie pendant 7 mois  au cours desquels l’équipe du projet à pu en apprendre énormément sur le moustique génétiquement modifié. Il est apparu notamment, selon l’investigateur principal du projet, le Pr Abdoulaye Diabaté, qui en avait fait le point, que les moustiques mâles stériles modifiés sans impulsion génétique n’ont pas survécu aussi longtemps que ceux qui n’ont pas été modifiés et que les moustiques modifiés ont été recapturés dans des essaims importants pour la reproduction. A ce propos, le Dr Léa Paré/Toé indique que l’expérience a montré que les moustiques modifiés en laboratoire se comportent de la même manière que ceux sauvages, une fois dans la nature.

S’appuyant sur ces résultats, l’équipe du projet a entamé la seconde phase des recherches, celle portant sur les moustiques mâles biaisés sans impulsion génétique. Ces moustiques sont porteurs d’une modification génétique qui mène à des mâles fertiles qui produisent une progéniture majoritairement mâle, jusqu’à 95% en laboratoire.  Les œufs de la souche mâle biaisée sont arrivés en mars 2022 et font actuellement l’objet d’étude à l’insectarium. Quant à Bana, des collectes de moustiques sauvages s’y déroulent régulièrement.

Le chemin vers l’ultime étape, à savoir le lâcher de moustiques génétiquement modifiés avec impulsion génétique, est encore loin et dépendra, indique le Dr Léa Paré, en plus de la recherche scientifique, du cadre réglementaire et de l’accord des populations.

 

Hugues Richard Sama

 

 

Dernière modification ledimanche, 17 septembre 2023 19:00

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