Aveugle mais vendeuse de sable: « Maman Anne » ou le symbole de la résilience
- Écrit par Webmaster Obs
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Toutes les conditions étaient réunies pour qu’elle se laisse envahir par le découragement mais ce mot ne figure pas dans son vocabulaire. Le sort jettera son grain de sable dans l’évolution normale de Kouré Ilboubo dit Anne (nom de baptême), née en parfaite santé. Frappée par la varicelle à l’enfance, la native de Kiendpalogo dans le Sanmatenga perdra pour toujours la vue, faute de moyens financiers pour minimiser les dégâts. Devenue aveugle, elle se résigne dès lors et s’adapte à son environnement avec l’aide des siens, notamment de son époux, cultivateur, qui depuis leur union lui a toujours été d’un grand secours. Sauf que la nature n’a pas fini de faire subir à Anne les coups de la vie : son ultime soutien sera rappelé auprès de son créateur. Abandonnée à son propre sort, Kouré va tenter l’aventure malgré sa condition. De Kiendpalogo à Ouagadougou, c’est un parcours du combattant pour Anne. A son arrivée dans la capitale burkinabè, une seule option s’offre à elle : vendre du sable pour avoir sa pitance quotidienne. Immersion dans l’univers de cette quinquagénaire.
Yasmina Khadra dans « Les Vertueux » disait ceci : « Des choses incroyables vous tombent dessus, détournent le cours de votre existence et le bouleversent de fond en comble. A beau fuir au bout du monde, vous réfugier là où personne ne risque de vous trouver, celles-ci vous suivent à la trace comme une meute de chiens errants ». Certains appellent ces choses mektoub, selon lui. D’autres, par contre, se voulant philosophes déclarent : « c’est la vie ». Aux yeux de cet écrivain algérien, ces choses-là, avaient un visage, une odeur et mieux, un nom : Dieu. Sévère et miséricordieux, le Tout-Puissant pouvait faire d’un vaurien un notable, d’un insolent un gibier de potence et était capable de bien d’autres choses encore. C’est aussi l’avis de Kouré Ilboubo. Mais n’allons pas vite en besogne, quelques pas en arrière s’imposent.
Un 1er janvier 1966 naissait à Kiendpalogo (dans le Sanmatenga) un bébé de sexe féminin. Ses parents le baptisent Kouré Ilboudo à l’état civil.
Ayant à peine profité de son enfance, Kouré est atteinte de la varicelle. Malheureusement, il n’y avait pas de dispensaire à cette époque dans son village. Conséquence, ses yeux vont payer le lourd tribut et cesser de remplir leur principale fonction.
Dés lors, elle a dû apprivoiser tous les gestes du quotidien. Elle y arrive pour certains, avec difficultés par moments pour d’autres et sans succès des fois. Au fur et à mesure que les années passaient, ses parents s’inquiétaient de son avenir. Finalement, « j’ai eu la chance qu’un homme ait bien voulu faire de moi sa femme », raconte-t-elle d’un ton teinté d’humour. Et de poursuivre d’une voix nostalgique : « Pour un mariage arrangé, j’étais heureuse. A l’époque, mon mari cultivait pour subvenir à mes besoins ».
Le début du calvaire
Après leur mariage, Kouré et son époux s’installent à Tamnéré dans le Plateau central. De cette union, sont nés beaucoup d’enfants mais un seul a survécu. Il a aujourd’hui 32 ans. Cependant, « je suis sans nouvelle de lui depuis sept ans maintenant car il est allé chercher de l’or », a-t-elle expliqué.
Si cette alliance a permis à Kouré d’oublier son handicap, ce bonheur ne sera pas définitif puisqu’elle va à nouveau subir les coups du destin. En effet, son mari attrapera la lèpre. Conséquence, il ne pouvait plus cultiver jusqu’à ce que le pire survienne. Désormais veuve, elle se retrouve livrée à elle-même.
Avec ce handicap, Kouré Ilboudo essaie de mener une vie, la plus ordinaire possible. Chose qui s’avère un combat, fait remarquer la quinquagénaire étant donné que l’ouïe, le toucher et l’odorat seront ses seuls alliés pour accomplir les gestes du quotidien.
Mais ne dit-on pas que le malheur ne vient jamais seul ? Eh bien, après le décès de son époux, sa belle-fille est répudiée à son tour. Celle-ci décide alors de rallier la capitale burkinabè. C’est ainsi « qu’elle m’emmènera, vu que j’étais sans assistance », explique Kouré.
A Ouagadougou, la seule option qui s’offre aux deux aventurières, puisque ne connaissant personne, était de vendre du sable pour se nourrir. C’est ainsi qu’elles se lancent toutes deux dans cette activité. Mais cela ne sera que de courte durée du moins pour la belle-fille car celle-ci fut reprise par son époux. A nouveau seule, Kouré est cette fois-ci rejointe par sa sœur aînée aussi veuve, pour l’épauler. Ouigo Sophie Ilboudo, elle, évolue dans la collecte à longueur de journée des sachets d’eau utilisés. Ce qui lui permet de toucher 900F à la fin du mois pour trois sacs de 50 Kg collectés.
Un quotidien réglé à l’image d’une horloge
Nous sommes un mardi de mars. Il est environ 7h lorsque Kouré et Ouigo Ilboudo en compagnie de leur petit-fils de sept ans quittent le domicile. Direction : le terrain de Zico, un espace vide où officie la première. A destination, Kouré du haut de ses 1m 56 se bat comme elle peut tandis que sa frangine, de son côté, se lance à la traque des sachets d’eau dans les recoins de Ouagadougou. Mais comment cette handicapée visuelle opère-t-elle ? Sur place, pas de temps à perdre. Avec ses pieds nus, Kouré identifie le gravier puis évalue la quantité en caressant le sol à l’aide de la pomme de sa main ou d’un balai. Passé la phase de rassemblement, elle tamise le produit, histoire de dissocier le sable du gravier. Elle forme des tas dont le sceau se vend à 1000F. Le processus est reproduit jusqu’à ce que la fatigue l’oblige à observer une pause. En l’espèce, elle a marqué une suspension après avoir réuni trois tas et ce lorsque le soleil était au Zénith.
Pour elle, une chose est de disposer de quoi vendre, une autre est d’avoir toujours la clientèle. A ce propos, elle dit n’avoir rien écoulé depuis des semaines. Et les six tas déjà mobilisés depuis des mois sont à ses yeux illustratifs. Conséquence : elle ne peut s’offrir qu'un plat de haricot. Cependant, il arrive que de bonnes volontés lui offrent de quoi manger, a-t-elle reconnu avant de lancer, sourire aux lèvres : « Dieu ne m’a pas abandonnée. La chance est aujourd’hui de mon côté, j’ai eu un bon plat de riz avec une sauce pâte d’arachide ». Elle poursuivra son travail au bout de deux heures de repos. Et c’est ainsi tous les jours.
Solidarité des autres vendeuses
Avec Anne, l’idée de concurrence n’est pas à l’ordre du jour. C’est en tout cas ce que donnent de voir plusieurs femmes, plus d’une dizaine environ qui officient depuis plus de dix ans maintenant sur cet espace vide en vue de subvenir aux besoins des leurs. Parmi elles, Tinga Kaboré. Pour elle, s’il est vrai qu’elles sont toutes dans la précarité, elle s’estime cependant chanceuse contrairement à Anne Kouré qu’elle n’a pas manqué de plaindre : « C’est toi qui n’as pas de mari, ni enfant, encore moins de soutien et pire tu as perdu complètement la vue. Elle suscite la curiosité et malgré sa condition, elle ne se lamente pas. Mieux, elle a surmonté son handicap pour travailler ». C’est d’ailleurs pourquoi on ne l’abandonne pas à son sort, a lancé la pionnière des lieux.
Toujours sur la question de solidarité à l’endroit de Kouré, Tinga Kaboré ajoute : « Lorsqu’un client vient chez Anne, on l’assiste jusqu’à ce que la vente soit bouclée. Cela dans l’optique d’éviter qu’elle se fasse arnaquer ». Mais les choses ne se passent pas bien pour autant. En clair, les mésaventures ne manquent pas. En la matière Anne dit s’en souvenir et n'oubliera pas de si tôt : « On a déjà volé quatre de mes tas il y a deux ans maintenant. Ce qui fait que j’ai perdu 4000F à raison de 1000 F le tas de sable associé au gravier. Ce jour-là, je pensais avoir à faire à un client mais hélas. Celui-ci a ramassé ma marchandise sans me remettre le moindre sou, même s’il est vrai que je n’arrive pas à identifier les billets contrairement aux pièces de monnaie. En quittant les lieux, l’intéressé a été rattrapé par mes amies mais il a promis renvoyer l’argent, ce qu’il n’a pas fait jusqu’à nos jours ».
Au domicile de « Maman Anne »…
Il est un peu plus de 18 h au terrain de Zico et Anne attendait son guide impatiemment. Celle-ci ne tarda pas à se présenter. C’est l’heure de regagner leur domicile. Tout comme les fois précédentes, le rituel est le même, Ouigo saisit sa sœur par la main et direction la maison. Tout au long du trajet plein de détours, une phrase de la guide revient en boucle telle une chanson : « attention, il y a un caillou par ici, un trou par-là… » Au bout d’une trentaine de minutes de marche, elles franchissent la porte d’entrée de la maison. Et c’est Anne qui parvient à ouvrir la porte après plusieurs tentatives infructueuses de sa sœur aînée. Pas de temps à perdre, il faut cuisiner, balance Anne à Ouigo. Et de nous confier que c’est sa grande sœur qui prépare d’habitude. Cependant, il lui arrive de s’en occuper. Et ce fut le cas récemment lorsque sa sœur était malade. Pour s’en sortir, Kouré fait déposer tout le nécessaire à un endroit qui lui sera facile d’accès. Et l’étape suivante a été d’allumer le bois pour concocter un plat de tô (pâte de maïs), nous confie-t-elle sourire aux lèvres. Au-delà de ce plat, Anne assure pouvoir aussi préparer seule, du haricot, du riz.
Mais pour l’heure, c’est Ouigo Ilboudo qui est à la manœuvre. Au menu, du tô puisqu’il ne reste que de la farine de maïs et en très petite quantité, fait remarquer Kouré Ilboudo. Ce plat est accompagné de sauce à base de feuilles sèches de baobab. Avec ce met, les sœurs se disent reconnaissantes à Dieu car « à plusieurs reprises, on s’est retrouvé sans rien à manger puisque aucune de nous deux n’avait un rond. Malgré ça, mendier ne nous traverse pas l’esprit », clarifient-elles.
Roukiétou Soma
Encadré
Le rêve d’Anne
A son arrivée à Ouagadougou en fin 2020, Anne a habité à Wattinonma dans une maisonnette. Elle se retrouvera quelque temps à la rue. Ce fut un moment pénible dont le seul souvenir lui donne des frissons. Finalement, une autre bonne volonté lui offre l’hospitalité en lui précisant toutefois qu’elle peut être mise à la porte à tout moment. Dans la pièce, une entrer-coucher, qui leur sert d’abri, il n’y a pas de toilettes. Leurs besoins, ils les font dans des pots, explique-t-elle. « Et lorsque l’occasion se présente, on se cache pour aller jeter ça dans les toilettes d’un voisin. Le cas échéant, on s’en débarrasse dans un espace vide », révèle la native de Kiendpalogo.
Son souhait est d’avoir un toit propre à elle, sans crainte de se retrouver du jour au lendemain dans la rue. Et avoir une autre occupation serait parfait. Et en la matière, elle assure avoir sa petite idée.
Encadré
Du temps pour Dieu
Cela fait 30 ans à présent que Kouré s’est convertie au christianisme, plus précisément au protestantisme, d'où son prénom Anne. Si le clair de son temps, elle le passe sur son lieu de commerce, ce n’est pas pour autant que Dieu n’a pas de place dans sa vie. Bien au contraire. C’est pourquoi, elle dit consacrer les mercredis et dimanches au Seigneur en partant à l’église de son quartier où elle se fait appeler « maman Anne ».